Enquête mycologique, épisode 22, Clitocella mundula
Publié le 30 Août 2021
Identifier un champignon n’est pas chose aisée au premier abord et c’est pourtant une démarche essentielle pour éviter toute fâcheuse méprise qui peut devenir fatale si on consomme un champignon toxique ou mortel.
Ce n’est pas un secret que les enquêteurs de la brigade d’identification des champignons aiment sillonner la forêt, surtout lorsque la saison automnale s’annonce. Notre enquêteur était loin de soupçonner qu’il allait croiser un champignon surprenant dans un endroit qui l’est tout autant.
Scène du crime
Nous sommes le 30 août 2021, dans la forêt dite du Frohnerwald, qui se trouve sur le ban de Woelfling. Cette forêt de feuillus au sol calcaire est aussi connue pour une terrible légende qui fait encore frissonner les habitants de la contrée. Il s’y trouve un immense trou marécageux, le Tiefe Pfuhl dont la profondeur reste inconnue. Ce trou aurait été créé par Dieu pour punir la méchanceté humaine. Selon la légende, un seigneur mauvais et cupide passa autrefois avec son attelage à cet endroit. Il renversa volontairement un enfant et c’est à ce moment que le sol s’ouvrit pour l’engloutir. Depuis règne toujours à cet endroit une atmosphère pesante et c’est là que notre enquêteur tomba sur un champignon qui allait lui donner du fil à retordre.
Le Tiefe Pfuhl (Woleffling 57) Biotope de Clitocella mundula (Entolome élégant) Photo Gilles Weiskircher (Anab)
Arme du crime
Le champignon pousse au sol et en groupe de plusieurs dizaines. Il semble à priori saprophyte vu que la base du pied agglomère des débris organiques.
Profil du suspect
La morphologie du champignon est classique, avec un pied et un chapeau. Il possède des lames, non libres, et décurrentes (tombant le long du pied). La morphologie est dite clitocyboïde, c’est-à-dire en entonnoir. L’enquêteur est très intrigué par ce champignon au chapeau brun grisâtre, car il ressemble aussi bien au meunier (Clitopilus prunulus) qu’à un clitocybe blanc. L’enquêteur, qui a l’habitude de ces champignons, est pris au dépourvu, surtout avec cette couleur de lame beige et qui se teinte de noir. Cette observation est à noter, car ce n’est pas courant.
L’odeur est complexe à définir, chimique mais aussi une odeur faible de farine. Par contre, la saveur est très amère. C’est à garder dans un coin de l’esprit aussi. La décision est prise d’appréhender le suspect et de l’emmener à la brigade pour un contrôle d’identité plus poussé.
Couleur de sporée
La réalisation d’une sporée est indispensable quand on ne sait pas par quel bout attraper un champignon. La sporée est de couleur rose.
C’est une première surprise pour l’enquêteur. Ca exclut l’hypothèse d’un clitocybe. Avec des lames non libres, l’enquêteur a le choix entre un entolome ou d’autres petits groupes comme les rhodocybes ou les Clitopilus.
Les entolomes ont des spores géométriques, en forme de polyèdre. Il faut faire appel à la police scientifique.
L’examen par la police scientifique
L’examen des spores montre qu’elles ne sont pas polygonales mais bosselées verruqueuses.
Un entolome est donc exclu, mais le Clitopilus également qui a des spores avec des côtes. Il faut donc creuser dans les rhodocybes.
Avec un sol calcaire, des lames qui noircissent, l’odeur légèrement farineuse et la saveur franchement amère, le rhodocybe tacheté (Clitocella mundula) correspond. Un test à la potasse sur la cuticule, qui vire au brun rouge, confirme l’identification.
Coloration chapeau (test potasse) sur Clitocella mundula (Entolome élégant) Photo Gilles Weiskircher (Anab)
Les rhodocybes sont un petit groupe appartenant à la famille des entolomes. Plusieurs genres constituent ce groupe et leur particularité est d’avoir une sporée rose et des formes de spores particulières.
La conclusion de l’enquêteur
Le règne fongique est immense, avec rien qu’en France métropolitaine plus de 20 000 espèces recensées. Il est impossible pour n’importe quel enquêteur de tous les connaître. Un bon enquêteur en connaît près de 200.
Néanmoins, avec une bonne méthodologie, un bon enquêteur pourra toujours vous dire lesquels sont exclus lorsqu’il fait une détermination. Comme une enquête judiciaire, le nom de coupable n’est pas évident d’emblée et il faut collecter des observations, faire des examens jusqu’à resserrer l’étau. Pour l’enquêteur, c’est une rencontre inédite et c’est ce qu’il apprécie le plus dans la découverte des champignons.
L’enquêteur regarde encore le gouffre marécageux et ce champignon. Peut-être un signe chtonien du Tiefe Pfuhl qui l’invite à faire amende honorable et profil bas devant l’étendue de son ignorance.
Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)