L’homme qui écrasait des champignons (car il existe!)
Publié le 25 Août 2021
Alors que je savourais une tisane le matin en lisant le journal Républicain Lorrain du 20 août 2021, mon regard a tout de suite été attiré par toute une page consacrée aux champignons. Dès qu’il pleut à verse, on est presque certain de voir fleurir des articles sur les champignons, poussant comme les carpophores par une belle journée d’automne.
C’est un encadré de cet article, qui non seulement m’a fait avaler de travers ma tisane, mais m’a surtout mis dans une sombre colère.
Dans cet encadré, le mosellan quinquagénaire Pascal nous livre ses secrets et son expérience sur les champignons. Il est écrit : « Respectueux et précautionneux, l’amateur met en revanche un soin tout particulier à piétiner chaque amanite panthère ou phalloïde qu’il croise. Pas question de laisser quelqu’un s’intoxiquer avec des spécimens aussi dangereux »
Oui, vous avez bien lu, Pascal prend soin d’écraser tous les spécimens dangereux.
Lire cela m’a fait bondir du siège, à défaut presque d’en tomber. Il faut écraser tous les spécimens dangereux ! Il est important de rappeler certaines choses et aujourd’hui je pousse un coup de gueule
Aucun champignon n’est dangereux, oui, je le répète, aucun. Si chaque année des gens s’intoxiquent, ce n’est pas la faute au champignon mais bien à l’ignorance et la bêtise de ceux qui les cueillent. Je touche moi-même des amanites phalloïdes, les sent et j’en ai même goûté la saveur qui n’est pas désagréable, en recrachant évidemment après avoir goûté. Je suis toujours vivant pour en témoigner. L’intoxication a lieu quand on avale le champignon, pas quand on le touche ou le sent. Les réseaux sociaux ne sont pas étrangers à toutes ces intoxications. Considérant les réseaux sociaux comme un supermarché ou une pharmacie, certains voient dans tout ce qui dépasse du sol un moyen de subsistance. Les services secrets de la mycologie mènent actuellement une enquête poussée dans les frigos de ces gens pour voir si la famine explique éventuellement ce comportement. Les réseaux sociaux promeuvent l’immédiateté dans l’identification, mais je suis désolé, l’identification est quelque chose qui nécessite de l’expérience et du travail.
Ensuite, ces amanites sont aussi des champignons mycorhiziens, c’est-à-dire que leur mycélium fait des associations avec les racines des arbres. Sans cette méchante phalloïde et ses congénères, pas de sucres, d’eau et de minéraux pour que l’arbre grandisse. Sans tous ces champignons, nos arbres ne seraient pas aussi grands et beaux. Ce sont eux qui font nos forêts. Drôle de façon de les remercier.
De plus, ces amanites et tous les autres sont aussi une source de nourriture non négligeable pour bon nombre d’invertébrés, limaces, insectes, etc, mais peuvent aussi servir de toit.
Enfin, de quel droit se permet-on de piétiner des espèces juste parce qu’elles ne nous conviennent pas ? Je décerne au Républicain Lorrain un très mauvais point sur le message qui est véhiculé, scandaleux à l’heure où on constate un effondrement généralisé de la biodiversité. La digitale pourpre, plante mortelle, il faut l’arracher préventivement pour éviter les futures intoxications ? C’est sans oublier qu’on fabrique avec elle un médicament qui sauve chaque année des vies.
Stricto sensu, piétiner un champignon ne va certes pas nuire à l’organisme qui pousse dans le sol, le mycélium, mais tout de même, quel message délétère est véhiculé ici. Je doute que le lecteur lambda fasse toutes ces différences.
Coup de gueule passé, tout ça mène à plusieurs remarques :
- il y a encore du travail pour qu’on considère les champignons comme des membres de l’écosystème, même des membres essentiels, et pas simplement comme des aliments à manger. Mais heureusement la communauté mycologique est de plus en plus active.
- le Républicain Lorrain aurait tout intérêt à faire rédiger ses articles sur les champignons par des gens compétents ou les faire relire par des mycologues avant publication, d’autant que Pascal, le phalloïde killer, ignore aussi que c’est uniquement le coprin noir d’encre qui est toxique avec l’alcool et pas le coprin chevelu mais bref, c’est un détail que je mets sur le compte de l’ignorance.
- s’il y a bien une chose qui est encore plus toxique, c’est l’ignorance et si une espèce mériterait vraiment d’être piétiné pour sa nuisibilité sur tout le vivant, c’est la nôtre.
La prochaine fois que vous croiserez la belle phalloïde, ne faites pas comme Pascal, mais penchez-vous pour la voir de plus près et dites lui tout simplement merci pour ce qu’elle fait pour l’écosystème forestier.
Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)