Enquête mycologique, épisode 25, Tubaria conspersa

Publié le 2 Octobre 2021

Identifier un champignon n’est pas chose aisée au premier abord et c’est pourtant une démarche essentielle pour éviter toute fâcheuse méprise qui peut devenir fatale si on consomme un champignon toxique ou mortel. L’enquêteur de la brigade d’identification des champignons apprécie tout particulièrement d’arpenter les forêts pour recenser tous les gangs fongiques qui s’y trouvent.

 

Scène du crime

 

Nous sommes le 30 août 2021, dans la forêt dite du Frohnerwald, qui se trouve sur le ban de Woelfling. Cette forêt de feuillus au sol calcaire est aussi connue pour une terrible légende qui fait encore frissonner les habitants de la contrée. Il s’y trouve un immense trou marécageux, le Tiefe Pfuhl dont la profondeur reste inconnue. Ce trou aurait été créé par Dieu pour punir la méchanceté humaine. Selon la légende, un seigneur mauvais et cupide passa autrefois avec son attelage à cet endroit. Il renversa volontairement un enfant et c’est à ce moment que le sol s’ouvrit pour l’engloutir. Depuis règne toujours à cet endroit une atmosphère pesante. Après avoir interpellé un champignon pas très facile, le rhodocybe tacheté (voir l’enquête n°22), c’est un autre petit champignon qui allait attirer l’attention de l’enquêteur.

Tubaria conspersa (Tubaire voilée ) – Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Tubaria conspersa (Tubaire voilée ) – Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Arme du crime

 

Le champignon pousse au sol, sur des débris et la base de son pied agglomère des débris organiques. Il s’agit donc vraisemblablement d’un champignon saprophyte.

 

Profil du suspect

 

La morphologie du champignon est classique, avec un pied et un chapeau. Il est petit, d’un diamètre de chapeau inférieur à 2 cm Il possède des lames, non libres et légèrement décurrentes.

Lames de Tubaria conspersa (Tubaire voilée ) – Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Lames de Tubaria conspersa (Tubaire voilée ) – Photo Gilles Weiskircher (Anab)

La couleur de son chapeau est roussâtre ochracé. Ce qui attire surtout l’œil de l’enquêteur sont les restes de voile blanc persistant sous forme de flocons sur le bord du chapeau et sur le pied.

Restes de voile sur le chapeau de Tubaria conspersa (Tubaire voilée ) – Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Restes de voile sur le chapeau de Tubaria conspersa (Tubaire voilée ) – Photo Gilles Weiskircher (Anab)

L’enquêteur sait qu’il est en présence d’un gang qu’on désigne par l’acronyme LBM ou Little brown mushrooms, c’est-à-dire les petits champignons bruns. On les appelle aussi les champignons naucorioïde. Ils sont d’identification difficile.

 

Couleur de sporée

 

La sporée est brun tabac, typique de ce gang

 

L’examen par la police scientifique

 

Pour aller à l’espèce, un examen microscopique s’impose.

 

Les spores sont amygdaliformes (en forme d’amande), à paroi mince et lisse.

 

Spores de Tubaria conspersa. Microscopie x1000  (Tubaire voilée ) – Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Spores de Tubaria conspersa. Microscopie x1000 (Tubaire voilée ) – Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Les cheilocystides sont lagéniformes, c’est-à-dire en forme de bouteille.

Microscopie x1000- Cheilocystides de Tubaria conspersa. (Tubaire voilée ) – Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Microscopie x1000- Cheilocystides de Tubaria conspersa. (Tubaire voilée ) – Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Tous les éléments sont réunis pour affirmer que le champignon est le tubaire voilé (Tubaria conspersa)

 

La conclusion de l’enquêteur

 

Les LBM, disons-le clairement, ce n’est pas une partie de plaisir à identifier. Le mycologue habitué arrive à circuler dans les différents genres grâce à la morphologie, mais il faut une certaine habitude. Les tubaires sont un groupe qu’on observe assez fréquemment, caractérisé par des lames arquées, dans les bois humides et clairs, sur débris ligneux ou terre nue et des caractéristiques microscopiques particulières. Décomposeur de la matière organique, ses services rendus lui valent d’être remis en liberté. Il pourra ainsi continuer à veiller sur le Tiefe Pfuhl, endroit magique où des profondeurs de la terre, le mycélium tisse sa trame pour l’équilibre de la forêt. Le seigneur cupide et mauvais ne savait pas qu’un autre monde essentiel à sa forêt vivait sous ses pieds et que le mépriser était creuser sa propre tombe. C’est peut-être un des symboles caché de cette légende.


Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)

Rédigé par ANAB

Publié dans #champignons

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