Enquête mycologique, épisode 26, Pluteus cervinus
Publié le 9 Octobre 2021
Identifier un champignon n’est pas chose aisée au premier abord et c’est pourtant une démarche essentielle pour éviter toute fâcheuse méprise qui peut devenir fatale si on consomme un champignon toxique ou mortel. L’enquêteur de la brigade d’identification des champignons apprécie tout particulièrement d’arpenter les forêts pour recenser tous les gangs fongiques qui s’y trouvent.
Scène du crime
Nous sommes le 2 septembre 2021, dans la forêt dite du Grosswald, qui se trouve sur le ban de Sarreinsming. C’est un petit forest trip de 6 km que parcourt l’enquêteur par le Grosswald et sa forêt voisine, le Lehwald. Depuis quelques jours un soleil radieux est revenu, faisant écho à Joe Dassin et sa célèbre chanson sur l’été indien. Ne se promenant pas dans l’optique de croiser un champignon, un spécimen allait tout de même croiser sa route.
Arme du crime
Le champignon pousse sur une souche de hêtre. Aucun doute possible qu’il s’agisse d’un champignon saprophyte
Profil du suspect
La morphologie du champignon est classique, avec un pied et un chapeau. Il est de taille moyenne, de couleur brune. De petits détails attirent tout de suite l’oeil : des fibrilles brunes sur le chapeau, le même type de fibrilles sur le pied. Une faible odeur de radis mais surtout, et c’est une observation qui s’annonce déterminante, des lames libres avec un reflet rosâtre.
Fibrilles sur le chapeau de Pluteus cervinus (Plutée à couleur de cerf) - Photo : Gilles Weiskircher (Anab)
Des champignons à lames libres, il n’y en a pas une flopée. Les amanites (elles ont un voile général de type flocons sur le chapeau et/ou une volve à la base du pied, un voile partiel sous forme d’anneau, des lames blanches et sont mycorhiziennes), les lépiotes (lames blanches, également du voile partiel sous forme d’un anneau, saprophyte), les agarics (saprophyte, du voile partiel sous forme d’anneau, des lames roses puis brun chocolat à maturité) et enfin les plutées (saprophytes, à sporée rose)
L’enquêteur sait tout de suite qu’il est en présence d’un membre du gang des plutées. C’est un groupe assez caractérisé et plutôt facile à identifier. Néanmoins il faut prêter l’œil à un détail quand on cherche à les identifier, le revêtement de la pellicule qui regroupe le chapeau. Selon les espèces, ce revêtement peut-être granuleux, méchuleux, ridé, velouté.
Couleur de sporée
La sporée est rose typique de ce gang
L’examen par la police scientifique
Pour aller à l’espèce, un examen microscopique peut s’imposer.
Le revêtement est fibrilleux, confirmé au microscope par les hyphes parallèles, ce qu’on appelle dans le jargon un cutis.
Cuticule en cutis. Microscopie x1000- Pluteus cervinus (Plutée à couleur de cerf) - Photo : Gilles Weiskircher (Anab)
Chez les plutées, l’examen des pleurocystides donne également des informations. Chez certaines espèces, elles sont caractérisées par une morphologie métuloïde avec des crochets à l’extrémité.
Pleurocystides métuloïdes. Microscopie x1000 - Pluteus cervinus (Plutée à couleur de cerf) - Photo : Gilles Weiskircher (Anab)
Tous les éléments sont réunis pour affirmer que le champignon est le plutée couleur de cerf (Pluteus cervinus), le plutée le plus commun de nos forêts.
La conclusion de l’enquêteur
Les plutées sont un petit groupe de champignons qui méritent le détour et permettent de se familiariser avec la notion de morphologie de la cuticule (nom consacré à l’enveloppe qui protège le chapeau). Cette cuticule est beaucoup étudiée en mycologie, dans des groupes comme les russules par exemple mais aussi les plutées. Sans rentrer dans les considérations microscopiques, observer si cette peau est fripée, poilue, avec des mèches, avec des poils, c’est déjà récupérer une précieuse information en vue d’une identification.
Un très beau lieu avec des photos stupéfiantes sur ce groupe de plutée : http://blog.mycoquebec.org/blog/un-regard-sur-les-pluteus/
Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)
Glossaire
Cutis : revêtement du chapeau formé d’hyphes allongées en filaments couchés et serrés (apprimés).
Cystides : cellules stériles de l'hyménium (ou de la trame) des basidiomycètes.
Les cystides situées sur l’arête des lames sont des cheilocystides, celles entre les basides de l’hymenium (lames ou tubes) sont appelées pleurocystides.
Méchuleux : chapeau ou pied orné de méchules : petites mèches.
Métuloïde : cystide modifiée à paroi épaissie et réfringente, souvent ornée de cristaux à l’apex. Appelée aussi pleurolamprocystide.
Mycorhizien : relatif à une association entre un champignon et une racine de plante
Pleurocystides : cellules stériles entre les lames (voir cystides)
Saprotrophe : organisme vivant obtenant sa nourriture de la matière organique morte.