Les origines des chevaux domestiqués enfin dévoilées
Publié le 29 Octobre 2021
Elle était une énigme de la Préhistoire. Si la domestication du cheval moderne est plus tardive que ce que l'on pensait, elle s'est faite aussi dans une région inattendue.
Comme un cheval au galop. L'expression peut sembler anodine, elle est primordiale pour comprendre l'expansion de l'homme à la surface du globe. Or, la question de sa domestication divise les Préhistoriens depuis des décennies. La plupart des animaux qui nous entourent - chiens, vaches, cochons - sont issus de l'élevage au Néolithique, il y a 9 000 à 10 000 ans. Quid des équidés ?
Leur domestication semble beaucoup plus tardive, il y a environ 5 500 ans sans que l'on puisse l'expliquer. Tout comme les chercheurs ignoraient dans quelle région du monde cette étape clef du développement des sociétés s'était faite. Depuis quelques années, ils avaient jeté leur dévolu tour à tour dans la région ibérique (Espagne), puis anatolienne (Turquie), puis dans les steppes d'Asie centrale (Kazakhstan). Ces dernières, plus précisément autour de Botaï (au nord du pays) abritent près de 300 000 ossements ce qui en faisait un "foyer de domestication" idéal pour les archéologues. Or, en 2018, Ludovic Orlando, chercheur CNRS au laboratoire Anthropologie moléculaire et imagerie de synthèse (CNRS/Université Toulouse III - Paul Sabatier/Université Paris Descartes) et ses confrères, ont séquencé les génomes de 20 de ces spécimens. Conclusion : ils ne sont pas la source des chevaux domestiques actuels et, au contraire, se sont révélés les ancêtres directs des chevaux de Przewalski que nous considérons aujourd'hui comme les derniers chevaux sauvages sur Terre.
Cette même équipe, associée à des dizaines d'autres chercheurs internationaux (162 au total), mais aussi le CEA et l'Université d'Evry, a alors essayé d'élargir au maximum le champ de recherche à l'ensemble de l'Eurasie, c'est-à-dire du Portugal à la Sibérie en passant par la Mongolie. Les résultats de ces travaux sont publiés le 20 octobre dans la prestigieuse revue Nature. "Au total, nous avons séquencé les génomes de 273 chevaux ayant vécu entre 50 000 et 200 ans avant notre ère, détaille Ludovic Orlando. Avant de comparer les résultats avec les génomes de chevaux domestiques modernes." Et bingo ! Grâce à cette cartographie exhaustive, les scientifiques ont ciblé un profil génétique d'abord cantonné aux steppes pontiques (nord du Caucase) entre deux fleuves, la Volga et le Don, puis qui s'est étendu partout de l'Atlantique à la Mongolie. "Cette espèce a remplacé toutes les populations de chevaux sauvages en quelques siècles à peine. Ce qui est vertigineux", résume Ludovic Orlando qui voit en cette découverte des origines des chevaux domestiqués près de quinze années de travail récompensées.
Comment expliquer alors ce "grand remplacement" ? Dans leur étude, les paléogénéticiens révèlent une carte spatiale et temporelle de l'Europe qui montre avec plusieurs couleurs et de façon saisissante les différences génétiques entre chevaux dans une période comprise il y a 5 000 à 4 000 ans. Et à partir de 4 000 ans (ou entre 2 000 à 2 200 avant l'ère chrétienne) une seule couleur va l'emporter. "Sur la base d'une sélection naturelle, un seul type s'impose", poursuit Orlando. Les chercheurs ont longuement étudié leurs résultats et les séquences entre le génome de ce cheval et ceux des populations qu'il a remplacées. "Selon moi, deux gènes sont à l'origine de cet essor démographique. Le premier a pu développer un syndrome lombaire, c'est-à-dire un dos plus solide et une aspiration naturelle à la locomotion ; le second, est une sorte de "gène de la docilité" qui a déjà pu être étudié en laboratoire sur des souris", pense Ludovic Orlando. Ces deux caractéristiques peuvent expliquer le succès de cette espèce à un moment où les déplacements à cheval se généralisaient un peu partout sur Terre.
L'extrême précision dans le temps - un brutal changement entre 2 000 à 2 200 av. J-C - ouvre aussi de nouvelles perspectives sur les migrations humaines : la dernière grande vague de peuplement de l'Europe est le fait les Yamnayas, un peuple venu en masse du pourtour nord de la mer Noire il y a 5 000 à 4 700 ans. Et nous avons dans nos gènes 30 à 40% de séquences génétiques issus de cette culture Yamna. Pour autant, ce peuple est souvent présenté pour avoir "envahi" l'Europe à une vitesse fulgurante. Souvent aussi ces hommes ont été dépeints comme une horde déferlante à dos de canassons. Or, cette étude montre que la domestication du cheval se fait finalement environ 500 ans plus tard. Ce peuple des steppes dont nous sommes les héritiers n'était donc pas si cavalier.