La végétation des bordures de parcelles agricoles, des espaces importants pour le contrôle biologique

Publié le 18 Mars 2022

paru sur agronomie.asso
Anna Pollier(1), Armin Bischoff(2), Manuel Plantegenest(3), Yann Tricault(4)

Résumé

Souvent négligées, les bordures herbacées des parcelles agricoles sont des Infrastructures Agroécologiques (IAE) très importantes et qui ont des intérêts agronomiques et écologiques souvent méconnus. Elles peuvent, par exemple, contribuer à améliorer le contrôle biologique. Cet article vise à expliciter le rôle de la végétation des bords de champ pour alimenter l’ingénierie agroécologique. Les analyses s’appuient sur des relevés botaniques et entomologiques, ainsi que sur la mise en place de mélanges d’espèces tests le long des cultures (blé et colza). Nous avons mis en évidence l’importance de la végétation spontanée des bordures et surtout du couvert en plantes entomophiles en fleurs dans la régulation des ravageurs. La présence de bandes multi-espèces optimisées pour la production de ressources florales pour les auxiliaires des cultures accroît la régulation des ravageurs. Les résultats obtenus dans ce travail montrent l’intérêt de ces espaces non productifs et permettent de formuler de nouvelles pistes de gestion de la végétation semi-naturelle dans les agrosystèmes.

Le contrôle biologique par conservation

Les insectes ravageurs sont responsables de dégâts qui peuvent induire des pertes de rendement très significatives en cas de fortes pullulations. Le contrôle de leur population est donc un enjeu agricole majeur. Différents moyens de lutte sont efficaces incluant la lutte mécanique, agronomique et chimique. Les ravageurs peuvent également être attaqués par des auxiliaires ou ennemis naturels (araignées, insectes prédateurs ou parasitoïdes) naturellement présents dans l’environnement et capables de coloniser les parcelles agricoles. On parle dans ce cas de contrôle biologique. Cependant, le contrôle biologique est souvent négativement influencé par les autres méthodes de lutte et notamment par la lutte chimique (Figure 1). La lutte biologique par conservation consiste à gérer ces auxiliaires en adoptant des pratiques qui leur sont favorables et/ou en les favorisant par le maintien ou le développement de leurs habitats « ressources » . Elle s’appuie notamment sur la préservation ou l’implantation, autour des parcelles agricoles, d’infrastructures agroécologiques (« IAE » : haies, fossés, jachères, bandes fleuries…) apportant les ressources ou autres fonctions d’habitat (pollen, nectar, proies et hôtes alternatifs, refuges, hibernation…). Ces infrastructures sont favorables au maintien des ennemis naturels à proximité des cultures et parfois nécessaires à la réalisation de l’ensemble de leur cycle biologique. Une grande diversité végétale dans le paysage environnant une parcelle agricole se traduit généralement par une augmentation de l’abondance des auxiliaires (plus forte concentration de ressources dans le milieu) qui exercent un effet limitant sur les ravageurs (contrôle biologique des ravageurs). Ce mode de lutte biologique pourrait contribuer au développement de systèmes agricoles économes en produits phytosanitaires.

Les moyens de lutte contre les ravageurs des cultures et leurs impacts sur les arthropodes.

Les moyens de lutte contre les ravageurs des cultures et leurs impacts sur les arthropodes.

Les bordures de parcelles agricoles et les arthropodes

Les bordures sont définies ici comme des espaces occupés par une végétation herbacée qui peut être spontanée ou semée (bandes fleuries, bandes enherbées) et qui s’étendent entre deux espaces cultivés (champs) ou entre un espace cultivé et un milieu d’un autre type : route, chemin, champ, haie, bosquets, fossé (Figure 2). Ces habitats semi-naturels font partie des IAE mais leur importance pour la biodiversité est souvent négligée car méconnue. Leur gestion en faveur des ennemis naturels des ravageurs représente un élément clé du contrôle biologique par conservation.

La végétation herbacée présente dans les bordures de parcelle fournit aux arthropodes des abris et des sites d'hivernage , des plantes hôtes (cas des herbivores) et d’autres ressources comme des proies alternatives pour les ennemis naturels . De nombreux ennemis naturels utilisent également le pollen et le nectar fournis par les plantes entomophiles (visitées par les insectes) comme ressources alimentaires complémentaires . Le nectar floral est par exemple une ressource alimentaire importante pour de nombreux hyménoptères parasitoïdes, syrphes ou chrysopes à qui il fournit le sucre nécessaire au métabolisme des adultes tandis que les larves sont carnivores

Bordure de parcelle agricole

Bordure de parcelle agricole

Dispositif expérimental

L’objectif de notre étude était de mettre en évidence l’importance des bordures de parcelle agricole herbacées pour la lutte biologique contre les principaux ravageurs des cultures d’hiver de blé et colza. Pour cela, deux expérimentations ont été menées chez des agriculteurs prévoyant une culture du blé et/ou de colza, autorisant l’accès à leurs parcelles, et acceptant de répondre à un questionnaire concernant leurs pratiques. Parmi ces agriculteurs, huit ont également accepté de travailler le sol et de préparer le lit de semences pour l’implantation de bandes herbacées et fleuries semées sur une bordure de champ.

La première expérimentation avait pour objectif d’évaluer l’influence d’une bande herbacée de végétation spontanée jouxtant les parcelles cultivées sur le niveau de contrôle biologique des ravageurs présents dans la culture. Pour ce faire, des relevés floristiques et entomologiques ont été effectués sur 32 parcelles de blé et 32 parcelles de colza du Maine-et-Loire, aux printemps et étés 2014 et 2015.

La seconde expérimentation avait pour objet de comparer les influences respectives de trois types de bandes herbacées (fleurie multi-espèces, enherbée et spontanée) implantées en bordure de culture sur le contrôle biologique des ravageurs. Installées en 2014 le long de 8 parcelles en Anjou et Ille-et-Vilaine, elles ont été maintenues deux ans sur une succession colza (2014) - blé (2015) avec une fauche tardive. Les relevés botaniques et entomologiques ont été réalisés aux mêmes périodes que dans la première expérimentation.

 

Les ravageurs principaux et leurs ennemis naturels en cultures de blé et de colza

Lors de cette étude nous avons dénombré les insectes et évalué les dégâts des ravageurs dans les parcelles des deux cultures. Dans le blé, les pucerons (toutes espèces), les larves de criocères (Oulema spp.) et les dégâts imputables aux larves de criocères ont été quantifiés (Figure 3a). Dans le colza, les ravageurs suivis étaient les pucerons (toutes espèces), les méligèthes (Meligethes aeneus) et les charançons. Nous avons également quantifié les dégâts des charançons des tiges (Ceuthorhynchus napi) et des siliques (Ceutorhynchus assimilis) (Figure 3b). Dans les deux cultures, les ennemis naturels suivis par comptage étaient les coccinelles (larves et adultes) et les syrphes (larves et adultes) prédateurs des pucerons. L’activité des parasitoïdes a été estimée par le taux de parasitisme des pucerons (par le dénombrement des momies) dans le blé et le colza et le taux de parasitisme des larves de méligèthes dans le colza.

Les ravageurs, les dégâts et les ennemis naturels suivis dans (a) le blé et (b) le colza au cours de cette étude.

Les ravageurs, les dégâts et les ennemis naturels suivis dans (a) le blé et (b) le colza au cours de cette étude.

L’importance de la végétation herbacée spontanée pour le contrôle biologique

Pour tenter de mettre en évidence des relations entre la composition végétale des bordures de parcelle agricole et les abondances d’arthropodes observés dans les cultures, la végétation spontanée a été caractérisée par trois variables établies sur la base des relevés botaniques : la diversité végétale (nombre d’espèces), le couvert en plantes entomophiles en fleurs et le couvert en plantes de la même famille que la culture en place (Brassicaceae pour le colza et Poaceae pour le blé). Ces dernières peuvent attirer les mêmes ravageurs que les cultures, augmentant le risque de dégâts. Les valeurs prises par ces variables ont été mises en relation avec les données d’abondance entomologique correspondantes, recueillies dans la bordure et dans le champ, à 5m et 50m de distance.

Pour le blé, le couvert en plantes entomophiles en fleurs dans la bordure au moment du relevé était corrélé positivement avec l’abondance des larves de syrphes (prédatrices de pucerons) à 5m dans le champ, des coccinelles (adultes et larves) à 50m ainsi qu’avec le parasitisme des pucerons à 5m (Figure 4a). La diversité de la bordure et le couvert en Poaceae n’étaient pas corrélés significativement avec les variables entomologiques. Dans les parcelles de blé suivies, les ennemis naturels étaient donc plus abondants et actifs lorsque les bordures étaient riches en plantes entomophiles en fleurs.

Pour le colza, l’augmentation de la diversité végétale ou du couvert en Brassicaceae dans la bordure s’accompagnait d’une réduction des dégâts des charançons des tiges, observés à 5m dans le champ. Cependant, une plus grande diversité était également corrélée à un plus faible taux de parasitisme des larves de méligèthes à 5m et 50m et à une plus forte densité des pucerons comptabilisés à 50m dans la parcelle. Enfin, l’importance du couvert en plantes entomophiles était corrélée négativement avec l’abondance des pucerons à 5m et le parasitisme des larves de méligèthes à 5m mais positivement avec l’abondance des coccinelles à 50m dans le champ (Figure 4b).

La végétation spontanée de bordure semble donc exercer un effet important sur les ravageurs et/ou leurs auxiliaires dans les premiers mètres de la parcelle. Cet effet se dilue en plein champ. Les plantes entomophiles en fleurs, qui fournissent des ressources alimentaires précieuses pour les ennemis naturels (pollen, nectar floral et extra-floral), favorisent généralement le contrôle biologique des ravageurs dans le blé et le colza. En revanche, un accroissement de la diversité végétale présente dans les bordures de parcelle n’améliore pas le contrôle biologique. Contrairement à notre hypothèse, le couvert en plantes de la même famille n’a pas d’influence sur le contrôle biologique (blé), voire une influence légèrement positive (colza).

Relation entre l’importance du couvert en plantes entomophiles en fleurs et les abondances des insectes présents ou le taux de parasitisme dans (a) le blé et (b) le colza à 5m.

Relation entre l’importance du couvert en plantes entomophiles en fleurs et les abondances des insectes présents ou le taux de parasitisme dans (a) le blé et (b) le colza à 5m.

Gestion de la végétation herbacée en bordure pour accroître le contrôle biologique

Lors de la seconde expérimentation,  trois bandes différentes (l=5m ; L=30m) ont été implantées sur une même bordure de huit parcelles. Les trois types de bandes herbacées ont été obtenus (1) en laissant se développer une végétation spontanée (modalité SV) herbacée (stock semencier indigène du sol), (2) par le semis d’un mélange de deux poacées Ray-grass Lolium perenne et Fétuque Festuca arundinacea, commercialisé en France (modalité GS) et (3) par le semis d’un mélange de 32 espèces végétales appartenant à 14 familles (modalité WS). Ce mélange était constitué de plantes indigènes, annuelles et pérennes, incluant des espèces couvrantes et des espèces entomophiles choisies pour offrir une longue période de floraison. Des comptages et observations d’arthropodes (ravageurs et auxiliaires) ont été réalisés dans les bandes et à des distances de 5 m et de 30 m vers l’intérieur des parcelles de blé, la première année, et de colza, l’année suivante. La prédation des pucerons a également été estimée en exposant des individus-proies fixés à un support déposé dans la végétation (bandes et culture). Les deux années la diversité végétale comme le couvert en plantes entomophiles en fleurs étaient statistiquement supérieurs dans les bandes multi-espèces par rapport aux deux autres bandes.

En parcelles de colza (Figure 5a), l’abondance des pucerons était supérieure dans les bandes multi-espèces par rapport aux autres bandes mais en général relativement faible en face de ces bandes (à 5m et 30m dans la culture). Les espèces de pucerons rencontrés dans les bordures n’attaquaient généralement pas le colza et représentaient donc des proies alternatives pour les insectes auxiliaires, tels que les syrphes et les carabes. L’abondance de ces prédateurs était d’ailleurs supérieure dans les modalités multi-espèces, au sein des bandes comme dans la culture. Concomitamment, la prédation des pucerons dans les bandes multi-espèces (WS) mais aussi à 5m de ces bandes était significativement supérieure par rapport aux autres modalités.

En parcelles de blé (Figure 5b), des différences significatives ont également été observées pour les ennemis naturels. Il y avait plus de syrphes et de coccinelles dans les bandes multi-espèces et à 5m de ces bandes par rapport aux autres modalités. Cependant nous n’avons pas observé d’effet correspondant et homogène sur l’abondance et la prédation des pucerons. Dans les bordures de blé, nous avons également observé les relations entre plantes entomophiles semées et insectes auxiliaires d’intérêt. La Marguerite Leucanthemum vulgare et la Tanaisie Tanacetum vulgare étaient souvent visitées par les parasitoïdes. Les coccinelles ont été observées très souvent sur Dactile Dactylis glomerata et Bleuet Centaurea cyanus. Enfin, les syrphes affectionnaient particulièrement la Mauve Malva sylvestris et l’Achillée Achillea millefolium. La végétation spontanée qui a poussé naturellement dans les bandes multi-espèces semblait très attractive pour les pucerons non ravageurs du blé, toutes espèces confondues. Citons notamment la Vesce Vicia sativa, la Patience Rumex obtusifolius, le Gaillet Galium aparine et la Cirse Cirsium vulgare.

L’ensemble des résultats obtenus au cours de cette seconde expérimentation indique que les ressources offertes par les bandes multi-espèces augmentent probablement l’abondance locale des auxiliaires. Cette augmentation favoriserait un meilleur contrôle biologique à proximité des bandes, en particulier des populations de pucerons. Les espèces semées joueraient un rôle important dans l’attraction des ennemis naturels que compléteraient les espèces spontanées en accueillant des proies alternatives.

 

 Abondance des arthropodes dans les bandes (jaune) multi-espèces (WS), de végétation spontanée (SV), enherbée (GS) et à 5m (vert) et à 30m (violet) de ces bandes dans les parcelles voisines de a) colza et b) blé. Dans chaque histogramme, des lettres différentes indiquent des différences statistiquement significatives.
 Abondance des arthropodes dans les bandes (jaune) multi-espèces (WS), de végétation spontanée (SV), enherbée (GS) et à 5m (vert) et à 30m (violet) de ces bandes dans les parcelles voisines de a) colza et b) blé. Dans chaque histogramme, des lettres différentes indiquent des différences statistiquement significatives.
 Abondance des arthropodes dans les bandes (jaune) multi-espèces (WS), de végétation spontanée (SV), enherbée (GS) et à 5m (vert) et à 30m (violet) de ces bandes dans les parcelles voisines de a) colza et b) blé. Dans chaque histogramme, des lettres différentes indiquent des différences statistiquement significatives.

Abondance des arthropodes dans les bandes (jaune) multi-espèces (WS), de végétation spontanée (SV), enherbée (GS) et à 5m (vert) et à 30m (violet) de ces bandes dans les parcelles voisines de a) colza et b) blé. Dans chaque histogramme, des lettres différentes indiquent des différences statistiquement significatives.

Les préconisations

Les bordures herbacées de nos cultures sont des milieux peu connus mais qui semblent être très intéressantes par le rôle qu’elles peuvent jouer pour amplifier le contrôle biologique naturel des ravageurs des cultures. La gestion actuelle de ces bordures (coupes rases, répétées, précoces) ne permet pas d’utiliser au mieux les fonctionnalités de ces milieux (services écosystémiques). En termes de gestion des agrosystèmes, ce sont des milieux sur lesquels il est facile d’intervenir afin de favoriser la lutte biologique par conservation. Plusieurs préconisations peuvent être proposées afin d’améliorer l’impact de cette végétation sur le contrôle biologique dans une démarche agroécologique : 1) augmenter les surfaces des bordures herbacées sur les exploitations agricoles pour accroître la quantité globale de ressources offertes aux ennemis naturels ; 2) diminuer la largeur des parcelles (par exemple à 3 passages de pulvérisateurs) ou implanter des bandes multi-espèces au sein même des parcelles agricoles, de manière à réduire la distance moyenne entre la culture à protéger et la bande herbacée ; 3) favoriser une fauche tardive de la végétation après la floraison des plantes entomophiles pour accroître la quantité et étendre la durée de disponibilité des ressources florales fournies aux ennemis naturels; 4) éviter de traiter ou fertiliser à proximité immédiate des bordures de parcelles afin de diminuer la dérive des intrants utilisés et leurs impacts sur la végétation et les arthropodes vivants dans les bordures ; 5) établir un diagnostic de la végétation des bordures à l’aide d’outils existants (Le Bris, 2016) afin d’orienter la composition de la bande herbacée pour accroître la contribution d’espèces végétales particulièrement favorables au contrôle biologique ; 6) encourager la présence d’espèces adaptées à un objectif de gestion qui pourra poursuivre plusieurs objectifs simultanément incluant l’augmentation du contrôle biologique mais également, par exemple, le soutien à la pollinisation, la maîtrise des flux de polluants vers le milieu naturel ou la fourniture d’habitat à des espèces d’intérêt cynégétique ou patrimonial.

Rédigé par ANAB

Publié dans #préserver les ressources

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