Des parasites manipulateurs
Publié le 18 Avril 2022
Une chenille du papillon géométridé Thyrinteina leucocerae avec des pupes de la guêpe parasitoïde Glyptapanteles sp. "Les larves adultes du parasitoïde sortent de la chenille et tissent des cocons à proximité de leur hôte. L'hôte reste vivant, arrête de se nourrir et de bouger, tisse de la soie sur les pupes et réagit aux perturbations par de violents balancements de tête (informations complémentaires). La chenille meurt peu après l'émergence des parasitoïdes adultes des pupes. Photographie du professeur José Lino-Neto."
Article extrait de Glyptapanteles et de pourlascience
Pour se reproduire, certains parasites modifient le comportement des organismes qu’ils infectent, jusqu’à les pousser au suicide. On commence à comprendre les mécanismes physiologiques et évolutifs de cette « manipulation ».
Exemple 1 avec la Petite douve du foie :
Les fourmis sont rarement immobiles. Pourtant, il arrive que certaines d'entre elles restent figées, des heures durant, au sommet d'un brin d'herbe. De temps à autre, elles mettent patte à terre pour se nourrir, puis remontent sur leur promontoire. Ce va-et-vient se poursuit jusqu'au jour où un mouton ou une vache broute le brin d'herbe… et la fourmi. Ce « jeu de la vie » a une explication : les larves d'un ver parasite, la petite douve du foie (Dicrocœlium dendriticum), infectent l'insecte et modifient son comportement ; la fourmi devient la proie d'un herbivore, qui avale du même coup les larves de la douve. Devenus adultes, les vers se reproduisent dans l'herbivore, et leurs œufs sont évacués dans l'environnement avec les excréments de l'animal, et ils contaminent un troisième hôte, un escargot. Celui-ci achèvera le cycle parasitaire en libérant des larves qui seront ingérées par une fourmi, etc.
Ici, un parasite change le comportement de son hôte : il favorise sa transmission à un autre organisme, ou permet à ses larves d'être libérées dans un habitat favorable à leur développement. On parle de « manipulation parasitaire » ou de « parasitisme manipulateur », même s'il est évident que le parasite ne « décide » en rien de manipuler son hôte : ce comportement a été sélectionné au cours de l'évolution.
2/Autres exemples
Les exemples abondent tel celui d'un crustacé d'eau douce et saumâtre, un gammare. Il nage près de la surface lorsqu'il est parasité par un ver trématode, si bien qu'il est plus souvent avalé par les oiseaux aquatiques.
La manipulation parasitaire a été soupçonnée dès les années 1950, puis démontrée au début des années 1970. Depuis lors, les chercheurs ont identifié des parasites manipulateurs parmi les virus, champignons, bactéries, protozoaires (unicellulaires à noyau), insectes et divers groupes de vers, tels les nématodes et les trématodes.
Le plus souvent, le parasite modifie plusieurs traits de son hôte : sa morphologie (sa couleur, notamment), sa physiologie (l'hôte consomme plus d'oxygène, produit un surplus de glycogène et de lipides, par exemple), mais aussi son comportement, comme nous allons le voir.
Après avoir rappelé les mécanismes physiologiques et moléculaires de la manipulation parasitaire, nous en examinerons les causes évolutives et les conséquences sur les écosystèmes.
3/ Exemple parlant d’une guêpe ( Glyptapanteles)
Toutes les espèces tendent à s'adapter à leur habitat en produisant la descendance la plus abondante possible. Les parasites n'échappent pas à la règle. Mais leurs ruses sortent de l'ordinaire. Ainsi, certaines guêpes produisent un venin qui pousse leurs proies à protéger leurs larves. Dans d'autres cas, le venin paralyse la proie, de sorte que les larves de la guêpe parasite s'en nourrissent.
La guêpe américaine Glyptapanteles illustre le premier mode opératoire. Elle contraint la chenille du papillon Thyrinteina leucocerae à devenir le garde du corps de sa progéniture (voir la figure 2). La guêpe pond plusieurs dizaines d'œufs à l'intérieur de la chenille. Leur éclosion libère jusqu’à 80 larves qui quittent l'hôte 11 à 16 jours plus tard, et se métamorphosent en nymphes, ou pupes.
Cependant, lorsqu'elle est dérangée, elle commence à se débattre violemment. N'étant plus encline à manger, la chenille affectée finit par mourir. Il a été démontré dans des recherches expérimentales (Grosman, et al.) Que ce comportement consiste à frapper et à repousser d'éventuels prédateurs des pupes, tels que la punaise du bouclier Supputius cincticeps, améliorant ainsi leurs chances de survie.
La chenille du papillon change alors brusquement de comportement : elle cesse de se nourrir et de se mouvoir. et défend les pupes parasites contre les prédateurs à l'aide de violents mouvements de la tête. Les observations de terrain ont confirmé que cette protection contre les prédateurs est efficace et qu'elle profite exclusivement au parasite. En effet, la chenille meurt lorsque les guêpes adultes émergent des pupes.
Comment s'explique une telle manipulation ? Les auteurs de cette découverte, Amir Grosman et ses collègues de l'Université d'Amsterdam et de l'Université fédérale de Viçosa, au Brésil, ont montré que quelques larves de la guêpe restent à l'intérieur de la chenille au lieu de se transformer en nymphes. Ces larves suicidaires produiraient des sécrétions responsables du changement de comportement de la chenille. Il s'agit d'un exemple de ce que les évolutionnistes nomment la sélection de parentèle : le comportement des larves suicidaires a été sélectionné au cours de l'évolution des guêpes, car il favorise la survie d'individus génétiquement apparentés, en l'occurrence les pupes protégées par