Le nénuphar géant d’Amazonie, un modèle d’optimisation mécanique

Publié le 24 Mai 2022

Gros plan sur la structure des veines ramifiées de la feuille de nénuphar géant d’Amazonie.

Gros plan sur la structure des veines ramifiées de la feuille de nénuphar géant d’Amazonie.

Paru sur pourlascience le 30/3/20222

L’architecture des immenses feuilles flottantes du nénuphar géant d’Amazonie (Victoria cruziana) est optimale en termes de rigidité et d'économie de matière.
Les feuilles de nénuphar géant d’Amazonie (Victoria cruziana) sont les plus grandes feuilles flottantes du règne végétal : elles peuvent atteindre près de 3 mètres de diamètre – dix fois plus que les autres espèces de nénuphars – alors que leur limbe, la partie la plus fine, ne fait qu’environ 1 millimètre d’épaisseur. Malgré cela, elles peuvent supporter le poids d’un petit enfant. Comment expliquer ces caractéristiques exceptionnelles ? Alexander Erlich, chercheur en mathématiques appliquées à l’IBDM (Institut de biologie du développement de l’université Aix-Marseille), et ses collègues se sont penchés sur cette question.

« Nous avions l’intuition que leurs caractéristiques étaient hors normes, raconte Alexander Erlich. C’est bien le cas ! » Les chercheurs ont d’abord mesuré, sur des plantes du Jardin botanique d’Oxford, la déformation de feuilles de différents nénuphars (du genre Victoria et Nymphea) sous l’effet d’un poids déposé à leur surface. La rigidité des Nymphea est environ 40 fois moindre que celle des Victoria. Est-ce l’impressionnant réseau de vascularisation de ces dernières qui explique à lui seul cet écart ?
Alexander Erlich et ses collègues ont montré que c’est toute la configuration architecturale des feuilles, très différente, qui est en cause. Celle des Nymphea ressemble à des disques plats tandis que les Victoria présentent une architecture vasculaire très prononcée, avec un réseau fractal de veines ramifiées composé systématiquement de huit grosses veines d’environ 5 centimètres de diamètre, sortes de poutres maîtresses rayonnant à partir du pétiole (la tige), reliées perpendiculairement entre elles par de plus petites veines disposées très régulièrement. Et le rapport entre l’épaisseur des plus grosses veines et celle du limbe est d’environ 50 pour Victoria, au lieu de 2,7 pour Nymphea.
« Sur la base des mesures de rigidité, mais aussi des modules d’élasticité du limbe et des veines (déterminés à partir d’essais de traction), nous avons réalisé des simulations numériques pour étudier la force avec laquelle la feuille flottante résiste aux déformations, explique le chercheur. Nous avons testé différentes géométries à volume constant de biomasse : des feuilles sans vascularisation, à épaisseur homogène ou non, avec une structure constituée uniquement d’un réseau de vascularisation, enfin avec une architecture comparable à celle de Victoria cruziana. » Résultat : seule l’architecture subtile du nénuphar géant produit ces impressionnantes caractéristiques mécaniques. Pour une quantité de matière végétale donnée, cette structure est la plus robuste qu’il soit possible d’imaginer. Un exemple parmi tant d’autres d’optimisation de la nature grâce à l’évolution et la sélection naturelle.

a résistance mécanique des plantes est suffisante pour supporter le poids d’un bébé.

a résistance mécanique des plantes est suffisante pour supporter le poids d’un bébé.

Il faut ajouter que ces feuilles peuvent grandir de 40 centimètres par jour en repoussant les autres plantes, grâce à leur rebord recouvert d’épines. Ces caractéristiques combinées offrent un avantage certain à ce nénuphar sur les autres espèces dans la course à l’espace et à la lumière pour les besoins de la photosynthèse : une surface étendue pour une faible biomasse est un gage d’efficacité en particulier dans les bassins éphémères, à sec une partie de l’année, où vit cette espèce. Et avec cette envergure, la rigidité élevée des feuilles est probablement ce qui rend la plante capable de résister au poids des échassiers qui s’y posent parfois, aux violentes précipitations dans ces régions tropicales ou encore aux forts vents qui pourraient les retourner.

« Nous avons également répliqué la structure de feuille de Victoria cruziana en plastique, par impression 3D, ajoute Alexander Erlich. Ses qualités en termes de rigidité sont assurées jusqu’au bord de la feuille. » De telles architectures pourraient inspirer la conception de plateformes marines autoportantes, par exemple pour des panneaux solaires photovoltaïques.

Rédigé par ANAB

Publié dans #Apprendre de la nature

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Y
sur ce sujet, on est en plein dans le biomimétisme
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R
Oui Yves tout à fait. Il ne reste plus qu'à appliquer cette découverte sur la construction de bâtiments ou d'autres choses.
T
Article très intéressant, que je viens de partager, de ce coté de la Manche.<br /> Merci!
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R
Merci Toll. Content de ce partage. Pour en avoir chez soi, faut juste une grande et belle mare...