Maître Renard, cambrioleur de haut vol
Publié le 22 Juillet 2022
paru sur l'Alsace le 16/7/2022
article recommandé par Bernard. Merci Bernard
Aujourd’hui encore, le renard, bel animal sauvage, n’est jamais très loin du seuil même de nos portes et l’été qui égrène les fratries de jeunes renards parcourant la campagne est une bonne saison pour observer leurs frais minois chahuteurs dès potron-minet.
L’été venu, les grands prés de fauche concentrent le travail des paysans soucieux de combler leurs remises à foin. Émergent alors dans les lentes montées de brume du lever du jour de frêles silhouettes qui ondulent et dansent dans une ambiance festive. C’est parfois une fratrie complète de jeunes renards qui s’attardent dans la lumière matinale, excités par la provende de campagnols rendus vulnérables par la coupe fraîche des hautes herbes. Buses, hérons, cigognes, corneilles et pies, chats domestiques et parfois encore chats errants ou sauvages, les amateurs de petites proies faciles participent aussi souvent à ces chasses matinales fort opportunistes.
Persécuteur de poulaillers
Aux heures calmes d’avant l’aube, quelques ombres glissent comme des flammes rousses ou grises, de longues fuites ondulantes qui traversent les chemins forestiers, remontent de vagues pistes franchissant les talus et se perdent dans les épaisseurs du crépuscule. Pour maître Renard, qui a de tout temps et par prudence instinctive préféré les crépuscules ou la nuit noire au plein jour, le soir qui gagne la campagne, c’est l’heure du départ des maraudes indélicates, des prouesses diaboliques à se rire de nos esquives grotesques, de nos indignations burlesques, de nos persécutions les plus savantes. Cet animal insolent et libertin est l’image parfaite du malandrin persécuteur de poulaillers, l’ombre pâle voilant le chant des coqs, Rastignac tranquille des matins de brume assis sur les collines villageoises. Mais le soir, c’est aussi pour ce personnage distingué, un songe qui prend son temps, le feutre doux de l’étouffoir sur les résonances d’un clavecin, la lucidité saisie par une acuité dépouillée des violences du jour, la beauté lunaire qui vacille sur la plainte des hulottes.
Sur l’ados moussu bordant la coulée d’encre d’un chemin creux, entre les bouquets bleus des cépées de coudriers, dans la veine empesée d’une piste, ce guetteur d’ombres attend patiemment l’heure du départ pour sa ronde de nuit. Et dans la gueule noire de son terrier ouvert au couchant, une lueur pâle apparaît comme une floche de brume dans la vigilance tutélaire qui précède l’appel de l’aventure, étrange minois grimé d’un clair de lune que balaye l’ombre de deux baliveaux, habit de rouille taillé dans l’inspiration des eaux fortes qui trempent les heures hasardeuses.
Vieux ribaud des bâfrées nocturnes, de quels menus larcins va-t-il compromettre sa bonhomie d’apparat tranquillement chaloupée sur ces voies tiraillées par l’appel du ventre ? Une nichée de lapereaux extirpée de leur rabouillère, un nid de grives éventré, un passage de grenouilles pillé, ou contre mauvaise fortune, quelques restes d’une vieille charogne engloutie sans façon ?
Peu lui importe la nature de la provende et pour manger, l’animal oublieux de son image fait fi de toute élégance et ignore tout du moindre raffinement. Le hasard de la rencontre fait l’affaire et il faut prendre exemple sur ce pragmatisme à l’usage des humbles.
Une présence d’ampleur exceptionnelle
Si l’on considère la carte de répartition du renard en Alsace, on constate immédiatement une couverture géographique englobant la totalité du territoire. Un fait d’exception pour un animal sauvage, d’autant plus que de manière générale, il habite l’ensemble de l’hémisphère nord excepté l’Islande, le Groenland et la Crête. En Alsace, le renard roux fréquente toutes les unités géographiques, de la ligne de crêtes vosgienne aux rives rhénanes, y compris dans les zones périurbaines de plaine et à l’intérieur même de l’ensemble des villes. Un phénomène qui en dit long sur ses exigences en termes d’habitat d’une plasticité a priori illimitée.
Pour conclure, on peut dire du renard qu’il est doué d’une vitalité et d’un opportunisme qui lui ont certainement permis de faire face aux effroyables campagnes de destruction dont il a été victime notamment durant les années 1970-80 suite à l’apparition de la rage en Alsace (le gazage des terriers n’a été interdit par arrêté ministériel qu’à partir du 10 mai 1991).