L’exemple d’un papillon pour prévenir la disparition des friches
Publié le 12 Août 2022
paru surl'Alsace le 6/8/2022
Transmis par Bernard Merci Bernard
Présidée par le Mulhousien Christian Rust, l’association strasbourgeoise Imago a mené des recherches sur la Laineuse du prunellier, un papillon de nuit protégé, présent dans la plaine du Rhin. Elle met en garde contre un risque de disparition de l’espèce, dû à des projets d’aménagement sur les dernières friches haut-rhinoises.
Christian Rust, président de l’association strasbourgeoise Imago, alerte contre un risque de disparition de la laineuse du prunellier, un papillon de nuit protégé récemment localisé à Munchhouse, à l’endroit d’un projet de construction d’une unité de méthanisation.
En s’intéressant de près à la Laineuse du prunellier – ou Eriogaster catax –, on est loin de s’imaginer qu’il s’agit d’un papillon de nuit, certes protégé en France et au niveau européen mais dont l’avenir paraît incertain, avec un risque de disparition considéré comme « élevé ». Du moins dans le Haut-Rhin.
Cette espèce, peu étudiée localement, on la trouve dans la plaine du Rhin, entre Colmar et Mulhouse, région la plus sèche d’Alsace. « Elle n’est pas en danger mais elle est très localisée, ce qui, au-delà de l’obligation légale de la protéger, la rend vulnérable », nuance le Mulhousien Christian Rust, président de l’association Imago (lire par ailleurs), laquelle a effectué plusieurs recherches sur l’ Eriogaster catax entre 2017 et 2021
Ces travaux révèlent que la Laineuse du prunellier occupe des « microhabitats constitués de formations arbustives » (des fourrés composés de prunelliers ou d’aubépines), soit dans des clairières sèches, soit dans des lisières forestières, voire dans un contexte dit « semi-ouvert » comme les landes. Elle dispose néanmoins de moins en moins d’habitats favorables, « particulièrement dans les forêts claires de la Hardt, du Rhin et du Nonnenbruch ».
L’impact de l’activité humaine et du dérèglement climatique
Si, depuis les années 2000, des actions de gestion lui ont été bénéfiques – instauration de sites Natura 2000 , abandon de l’exploitation des mines de potasse –, l’espèce a globalement régressé depuis le XVIIIe siècle, d’après les données recueillies par l’association. Il y a d’abord eu l’arrêt du pâturage dans les forêts de la Hardt à la fin du XVIIIe puis l’arrêt du taillis sous futaie vers 1950. Sans parler de ses prédateurs naturels, les oiseaux en général et le coucou en particulier, l’activité humaine a également eu un impact : « les activités cynégétiques [se rapportant à la chasse] comme l’agrainage et la mise à disposition de pierre à sel dans les clairières ont provoqué une destruction progressive de la structure végétale ».

Selon un spécialiste de l’espèce en Bavière, Ralph Bolz, les papillons adultes seraient « très sensibles » à la pollution lumineuse artificielle, ce qui expliquerait pourquoi les sites de présence en Alsace sont systématiquement observés à distance de sources lumineuses. Autre « menace » identifiée ? Le dérèglement climatique, qui pourrait être responsable de la « quasi-absence de nids en 2020 ». Aujourd’hui, « tous les projets d’aménagements sur les dernières friches du territoire, qu’ils soient de nature économique ou industrielle, doivent considérer l’espèce pour sa conservation par des inventaires ciblés », préconise Imago.
« Un bon indicateur de l’état de la Hardt »
Le projet de construction d’une unité de méthanisation par la SAS Kaligaz à Munchhouse (lire par ailleurs), où la Laineuse du prunellier a été localisée en 2022, c’est en partie ce qui a poussé l’association de Christian Rust à « sortir du bois » pour mettre en garde. « Ce papillon est un bon indicateur de l’état de la Hardt, permettant de s’assurer que des friches, industrielles, agricoles, favorisent encore la connexion entre les différentes forêts et, au besoin, de retravailler ces passages pour que cette espèce parapluie soit mieux protégée. Pas besoin d’avoir une forêt millénaire. Il suffirait, dans l’idéal, de planter des haies, de mettre en place des corridors agricoles. »
L’exemple de l’ Eriogaster catax ne serait d’ailleurs que la partie immergée de l’iceberg, permettant à l’association strasbourgeoise d’assumer son rôle premier, à savoir celui d’informer. D’autres espèces sont concernées – comme la Bacchante, papillon forestier –, ou ont même disparu ces dernières années (l’outarde canepetière, le Pipit farlouse) dans la Hardt agricole.
Christian Rust reste, lui, persuadé, qu’il est encore temps d’agir. « Chacun peut agir à son échelle pour préserver ces espèces. En devenant membre de l’association, en participant à des sorties, en sensibilisant le grand public. » La piste de l’action « intra associative », Imago joignant ses connaissances aux forces et à l’expérience d’Alsace Nature et de la Ligue pour la protection des oiseaux, est également évoquée, alors qu’un nouveau cycle de Mesures agro-environnementales et climatique (MAEC) doit se mettre en place en 2023.
SURFER Plus d’infos sur la page Facebook « Association IMAGO » et sur https://sites.google.com/view/association-imago/lassociation?authuser=2

Un président qui montre l’exemple
Créée fin 2004, l’association Imago s’est donné pour objectif de promouvoir la connaissance et la protection des invertébrés et de leurs habitats naturels en Alsace. Basée à Strasbourg, elle est composée aujourd’hui d’un noyau dur d’une dizaine de personnes. Le Mulhousien Christian Rust, écologue et biologiste, en est le président depuis 2008. Un président qui montre l’exemple, comme en témoigne son jardin, dans le quartier de Dornach. « Chez moi, je laisse tout pousser. Nous avons un peu moins de 7 ares de terrain et hébergeons 163 espèces et une vingtaine de graminées. »
Il déplore que, aussi bien à Haut-Poirier qu’à Dornach, certains jardins soient « plus stériles qu’un champ de maïs ». Christian Rust ne dit pas pour autant qu’il faut arrêter de tondre le gazon ou de « grattouiller » son jardin tous les mercredis du mois : « Il faudrait accepter d’avoir une partie de son jardin en prairie et l’autre avec du gazon, et éviter autant que possible l’utilisation d’engrais et de pesticides jusqu’à la clôture ! Ce serait une manière de respecter, de reconnaître l’environnement qui nous entoure. Un environnement qui soit plus sauvage, avec une biodiversité naturelle qui s’autoéquilibre d’elle-même, c’est prouvé… »
Bernard Schmeltz habite la commune du Haut-Soultzbach et a « l’impression de voir de moins en moins de papillons ». « Mais ça reste une impression, n’effectuant pas de comptage des papillons ni de suivi régulier. J’ai une amie qui vit à Rimbach-près-Masevaux et qui, elle, en voit plus que l’an dernier. En revanche, concernant les papillons hivernant à l’état adulte, comme le Paon-du-jour, la Petite tortue, Robert-le-Diable, j’en rencontre de moins en moins au cours et au sortir de l’hiver, au fil des ans », ajoute le passionné d’entomologie.
Installé à Saint-Louis et très actif au niveau de la Petite Camargue alsacienne , Jean-Jacques Feldtrauer établit le même constat. « Il y a une très forte régression des papillons en Alsace ces dernières décennies », observe l’entomologiste, qui en a fait sa spécialité ces quarante dernières années. Pour autant, si la quantité d’insectes baisse, sur la centaine d’espèces recensées aussi bien en plaine qu’en montagne, on ne peut pas parler, selon lui, d’extinction.
Monocultures céréalières, insecticides, gyrobroyage…
Jean-Jacques Feldtrauer identifie trois causes principales à cette diminution. Celle-ci serait avant tout liée « aux monocultures, essentiellement céréalières, ayant remplacé les prés et les prairies qui recelaient la diversité botanique propice à la survie des nombreux papillons de jour ». Le Ludovicien reconnaît que « les papillons se sont adaptés en se réfugiant ailleurs », que ce soit en lisière de bois, au niveau des chemins forestiers ou dans les prés et les collines sous-vosgiennes. Mais « ces espaces diminuant, il est logique que leur nombre diminue ».
Pesticides et insecticides sont venus « enfoncer le clou » dans cette perte de biodiversité. Et le dérèglement climatique semble avoir un impact non négligeable sur les espèces migratrices : « Avant, le Vulcain remontait du sud. Là, les hivers sont suffisamment doux pour qu’un certain pourcentage passe l’hiver en Alsace pour ressortir au printemps. Le Moiré franconien, papillon non-migrateur, était commun en plaine et dans le Sundgau dans les années 1950-1960. Il s’est retiré dans les clairières de la Hardt et vers le Haut-Sundgau dans les années 80. À présent, à moins de 800 mètres d’altitude, on ne le trouve plus. »
« Il y a peu de chance que leur sort s’améliore »
Autant Bernard Schmeltz que Jean-Jacques Feldtrauer s’accordent à dire qu’il y a « peu de chance que le sort des populations d’insectes et surtout celles des papillons s’améliore ». « Surtout si l’on continue à faire du gyrobroyage intensif au bord des chemins, en lisière de bois, qui sont des refuges naturels pour ces espèces », ajoutent-ils. Il conviendrait, au contraire, de « protéger les sites naturels restants », comme la Petite Camargue alsacienne, de « préserver la diversité botanique, car chaque papillon a ses plantes nourricières », précise encore Jean-Jacques Feldtrauer. « Dans le temps, les gens faisaient dix kilomètres et ils avaient le pare-brise recouvert d’insectes. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. »
Était-ce donc « mieux avant » ? Oui et non, à en croire Stéphane Giraud, directeur, depuis quatorze ans, d’Alsace Nature, fédérant entre 80 et 100 associations. « Dans certaines régions, on se surprend à se retrouver avec le pare-brise maculé d’insectes. J’étais du côté de Millau il y a peu et on a dû s’arrêter pour le nettoyer. » Il poursuit : « Les insectes sont passés sous les radars de beaucoup d’études d’impact. On a progressé sur les vertébrés mais il y aurait encore beaucoup de boulot sur les arthropodes. » Quitte à, comme il l’exprime, avoir « une vision d’écolos qui cassent les pieds. D’abord sur les oiseaux, ensuite sur les amphibiens reptiles et les mammifères et maintenant les insectes… »
Pour les entomologistes comme pour lui, le changement passe par « la sensibilisation » et « une vraie prise de conscience ». Ce que fait par exemple Christian Rust chez lui et au sein d’Imago (lire par ailleurs). « La Laineuse, on la trouve sur des microtâches de prunelliers à droite à gauche mais quelle est réellement la possibilité de lui venir en aide ? », se demande encore Stéphane Giraud. « Il faut que le changement de mentalité soit collectif, sortir du discours économique et admettre que, oui, peut-être que d’immenses machines consommatrices d’énergies fossiles, ce n’est pas l’avenir de la plaine alsacienne. »