Quand des chauves-souris s’invitent dans votre salon
Publié le 23 Septembre 2022
paru sur le site de l'Alsace le 24/8/2022
transmis par Bernard Merci Bernard
Ça plane pour elles : des groupes de chauves-souris, éprises de liberté adolescente ou énamourées, entrent ces temps-ci dans des logements, même en présence d’occupants, même en plein centre-ville. Puis elles repartent vers des endroits plus intimes. L’animal reste pudique et se méfie de cette drôle d’espèce que l’on dit humaine.
Des fenêtres grandes ouvertes, un crépuscule invitant à la virée nuptiale ou au défoulement adolescent : il n’en faut pas plus en cette période pour voir arriver chez soi des hôtes furtifs et parfaitement inoffensifs, les chauves-souris n’attaquant jamais - mais sachant se défendre. Photo LPO Alsace/Éric BUCHEL
Ce Strasbourgeois a d’abord pensé à des hallucinations nocturnes. Dans le clair-obscur de son salon, lundi vers 23 h, il a cru voir passer sous ses yeux une ombre. Puis une deuxième. Puis d’autres encore. Le tout tournicotant de plus en plus rapidement autour de son canapé. Malaise vagal ou phénomène paranormal ? En un basculement d’interrupteur, lumière a été faite sur l’affaire : cinq chauves-souris se livraient ce beau soir d’été à une sarabande au troisième étage d’un quiet immeuble à côté du tribunal. Après moult cabrioles et une bonne demi-heure de vol en circuit fermé, quatre sont reparties, la dernière ayant visiblement grand peine à quitter le foyer qu’elle pensait s’être donné.
Rien d’exceptionnel ni de bien grave , rassure d’emblée Suzel Hurstel, responsable en Alsace du pôle médiation faune sauvage. Constitué par le GEPMA (Groupement d’études et de protection des mammifères d’Alsace) et la LPO ( Ligue de protection des oiseaux ), l’organisme a reçu ces derniers temps au moins une dizaine de signalements similaires. C’est que la période est chaude, à tous égards. À partir de la mi-août, les jeunes enivrés de leur nouvelle liberté, et néanmoins inexpérimentés, peuvent largement tâtonner dans leurs élans pour se trouver un toit avant l’automne : une fenêtre ouverte, et hop on improvise un rallye autour du lustre à pendeloques.
L’intrusion de chauve-souris dans des appartements strasbourgeois peut arriver. Ici, en août 2020 rue Lamey.
À l’aise dans le milieu strasbourgeois
Autre cas typique d’intrusion, des mâles cherchent à se constituer des harems dans des lieux qui leur semblent cosy, en y attirant des spécimens de l’autre sexe. Des femelles elles-mêmes disposées à multiplier les opportunités de fécondation en passant d’un bellâtre à l’autre : l’espèce a les mœurs ouvertes et pour cause. À raison d’un seul petit par cycle annuel de reproduction, les colonies de chiroptères ne peuvent se permettre de faire chou blanc indéfiniment. Là aussi, un appartement peut être choisi à la hâte pour se livrer à des simagrées prénuptiales.
Tout ce monde est tout fou à la belle saison, et la quête de lieux d’ébats ou d’autonomie peut mener à des comportements « pas toujours très rationnels ». En fait, la vie de chauve-souris est elle-même très particulière puisque la recherche de gîtes est sans fin. Sur les 23 espèces répertoriées en Alsace, une dizaine d’entre elles (les plus petites notamment) se sont fort bien accommodées des agglomérations, y compris des plus grandes comme la métropole strasbourgeoise.
Bon spot et erreurs d’aiguillage
Dans le brassage amorcé en fin d’été, il y a donc des fourvoiements : des chauves-souris peuvent confondre des appartements avec des lieux de drague ou des gîtes d’étape. C’est particulièrement vérifié, notent les spécialistes, quand des épisodes météo tels que les orages de la semaine passée électrisent la production d’hormones. Souvent, un caisson de volet roulant suffit au bonheur des pipistrelles et noctules pressées de changer d’adresse - quand il ne s’agit pas d’un pignon de toiture, d’un simple interstice de mur ou d’un recoin de colombage.
Mais la recherche du bon spot peut virer à la grossière erreur d’aiguillage, l’aventure vécue par un Strasbourgeois le prouve : les chauves-souris s’aperçoivent alors, mais un peu tard, qu’elles ne sont pas seules dans les lieux. Dans ce cas, explique Suzel Hurstel, c’est à l’occupant humain de faire preuve de sang-froid. Une fois entrée dans un espace confiné, la chauve-souris a besoin de temps pour régler son sonar détecteur d’obstacles, scanner toute la pièce et repérer ce qui pourrait être LA sortie de secours.
En goguette, ça volette
Une panique sera contagieuse : si on secoue des serviettes, si on tape sur des casseroles ou si on galope après la bande d’égarées ailées, c’est l’emballement général, entre comique de situation et pathétique animalier. Dans l’affolement collectif, les chauves-souris ne peuvent plus analyser à oreilles reposées les ultrasons leur revenant, l’épisode vire au n’importe quoi.
Solidaire pour le meilleur et pour le pire, la troupe en goguette volette alors à vitesse accélérée pour s’y retrouver, certains individus échouant par peur au fond d’un vase (où ils peuvent mourir) quand d’autres rasent les murs (et y déposent de petites déjections acides, susceptibles d’attaquer la peinture de la tapisserie).
Reliquats de virées
D’ici à la fin septembre, des Strasbourgeois risquent encore d’assister aux dérèglements amoureux ou adolescents des chauves-souris. Après, en octobre, vient l’aspiration à dégoter un point favorable à l’hibernation. Ces irruptions ne sont pas toujours détectées, le seul mammifère volant ayant la délicatesse d’être extrêmement discret dans ses déplacements aériens. Des témoignages de riverains de l’Ill font quand même état de manifestations étonnantes de chauves-souris le soir, en extérieur, confirmant une surexcitation saisonnière.
En présence chez soi d’invités furtifs, autant suivre le spectacle et tenter d’apprécier la sophistication des systèmes de repérage inventés par la nature. On peut en revanche ne pas aimer après le show certains reliquats noirs, de la taille de petits grains de riz, laissés un peu partout. D’autant que des virées peuvent se reproduire au même endroit, après le crépuscule. Pour autant, « nous n’avons jamais reçu de témoignages, assurent les experts, indiquant que des chauves-souris se seraient installées là précisément où vivent des gens. » Question de standing peut-être, d’exigences biologiques très particulières en tout cas.
Visiteurs du soir : des trucs à savoir
- Conseil plus qu’utile en cas d’intrusion de chauves-souris dans un logement : débarrasser le plancher et sortir de la pièce , pour laisser les animaux prendre la poudre d’escampette. Ou, pour les humains plus courageux, se coller sans bouger contre une paroi et ne plus interférer dans leur processus de localisation acoustique des échappatoires.
- Penser absolument à ouvrir en grand toutes les fenêtres (en fermant en revanche la porte de la pièce, fausse piste vers la liberté). Inutile de pousser des cris, ça n’impressionne pas des bestioles capables de nicher dans des clochers où l’on atteint d’autres sommets en décibels. Et si l’on allume la lumière, ce sera pour vérifier qu’une retardataire ne s’est pas planquée derrière la commode Louis XVI, dans un instant d’égarement, sinon cela n’a pas grand effet.
- D’elles-mêmes, les chauves-souris repartiront en quelques minutes si elles comprennent calmement que ce petit nid d’amour n’est pas le bon. Le délai sera plus long si elles perdent la tête à cause du tapage ambiant. « Il n’y a rien à craindre, ce sont des animaux inoffensifs, ils ne mordent pas si on ne les attaque pas et savent vous éviter, même quand ils tournent en rond très vite. La chose à vraiment proscrire, c’est de ramasser à mains nues un individu tombé à terre, là il peut blesser », dit-on au pôle médiation faune sauvage d’Alsace. La pelle d’une balayette ou un gant en cuir très épais seront de vrais alliés pour venir au secours des malheureux restés au sol.
- Inutile de se projeter dans un remake des Oiseaux d’Hitchcock ou de fantasmer une scène d’action de Batman : « La chauve-souris cherche le calme » , ce qui ne l’amène jamais à cohabiter avec l’humain, bien trop frénétique à son goût. « Elle s’en ira » quel que soit le « confort » du logis visité.
- S’il faut remettre en vol un animal qu’on aura récupéré par exemple derrière une applique en verre dépoli (ou dans un pot en grès de Betschdorf), il vaut mieux attendre le soir et le poser en surplomb. La bête ne sait pas faire l’hélico. Son décollage nécessitant de chuter de plusieurs mètres, une chauve-souris voudra retrouver un promontoire : le mieux est de la laisser faire, si du moins elle est en état de se remettre en selle.
Renseignements auprès du Pôle médiation faune sauvage : 03 88 22 07 35 et 06 87 14 66 78 / web alsace.mediation@lpo.fr