Télé : la hiérarchie bloque les sujets sur l’écologie

Publié le 26 Septembre 2022

Télé : la hiérarchie bloque les sujets sur l’écologie

Paru sur Reporterre le 12/9/2022

Les journalistes écolos des médias généralistes audiovisuels se battent pour que ces questions soient mieux traitées à l’antenne. Après des années à prêcher dans le désert, ils semblent aujourd’hui entendus.

Un « tournant environnemental » qui donne beaucoup d’espoir. Mardi 30 août, le groupe Radio France a publié une liste de dix engagements promettant de mieux traiter les enjeux de la crise climatique sur l’ensemble de leurs antennes. Une charte qui arrive à point nommé, après un été cataclysmique où beaucoup de médias ont été pointés du doigt pour leur traitement inapproprié des vagues de chaleur. Certains semblent désormais avoir retenu la leçon et promettent de ne plus diffuser d’images d’enfants pataugeant dans les fontaines ou d’amis dégustant des glaces les jours de canicules.

« Dans notre rédaction, la société des journalistes est montée au créneau. On a alerté les rédacteurs en chef en disant qu’on ne pouvait plus traiter l’actualité de cette façon », explique Marie [*], journaliste dans une grande chaîne d’information. Les articles sur le climat ne sont en effet pas toujours faciles à illustrer en image. « Le rapport du Giec [1] est un très bon exemple. Ce n’est pas toujours facile, il faut des experts, des images d’archives », dit Marie. Elle se souvient aussi de remarques désobligeantes de la part de sa hiérarchie : « On nous dit que les sujets écolos font perdre des téléspectateurs. »

Après des années à prêcher dans le désert, elle se sent désormais moins seule dans son combat. « Nous avons eu un gros turn-over dans la rédaction et beaucoup de jeunes entre 25 et 30 ans sont arrivés récemment. Ils ont des convictions et sont force de proposition sur ces sujets. Plus nous serons nombreux à en parler, plus les choses changeront vite. »

Le fossé générationnel de la hiérarchie

Souvent d’une ancienne génération, les rédacteurs en chef des chaînes généralistes s’intéressent peu au climat et à l’environnement. « La rédaction est plus sensibilisée que la hiérarchie. Malheureusement, ce sont les membres de celle-ci qui décident des sujets », confirme Anne-Sophie [*], qui travaille pour les journaux de M6. « Je me souviens d’un reportage sur des randonneurs qui faisaient de la peinture à la montagne. Juste après, on proposait aux gens d’aller voler à bord d’un avion de chasse. Lorsque j’ai dit aux rédacteurs en chef que quelque chose n’allait pas, ils m’ont répondu qu’il en fallait pour tous les goûts. Je sais que nous sommes sur une chaîne privée et qu’il faut rassembler le maximum de téléspectateurs, mais certains goûts ne sont plus compatibles avec nos exigences écologiques actuelles », poursuit-elle.

Céline [*], 29 ans, travaille dans une antenne locale de France Télévisions et constate elle aussi le décalage générationnel. « J’échange souvent avec un présentateur d’une émission et j’ai essayé d’aborder avec lui ces thématiques. Mais il est assez réfractaire. De plus, il fait souvent des petites blagues, en me demandant si je vais manger du tofu à midi. » L’âge n’est cependant pas le seul facteur de ce désintérêt. « Il y a des personnes totalement déconnectées de la réalité. Elles font partie d’une certaine classe sociale et ne se rendent pas compte de l’impact de certains sujets sur les gens, comme la hausse des prix de l’énergie. »

L’été des canicules : le point de bascule

La jeune journaliste estime toutefois que l’ambiance a changé après les incendies de l’été. « Ce qui semblait éloigné de leur réalité géographique s’est rapproché d’eux. Mais il faudrait aller encore plus loin. On a fait des dizaines de reportages sur des agriculteurs touchés par la sécheresse sans inviter de chercheurs ou d’experts qui pourraient apporter un éclairage sur les causes de cette sécheresse. On s’arrête souvent aux conséquences oubliant d’expliquer les raisons. »

Aller plus loin que les simples faits en s’attachant à décrypter les causes profondes et pas seulement les conséquences de ces évènements climatiques : voici les défis qui attendent beaucoup de rédactions dans les prochains mois. « On se demande comment rendre tout cela accessible. Comment donner des conseils et guider vers des solutions », dit Marie. Céline, de France Télévisions, veut également se tourner vers le journalisme de solutions pour « montrer aux gens qu’ils peuvent faire quelque chose pour améliorer la situation ».

La formation apparaît comme l’une des clés de voûte afin de sensibiliser les journalistes encore réfractaires à ces questions. Sandrine Feydel, qui travaille à la rédaction nationale de France 2 et France 3 et qui pousse ces sujets depuis quinze ans, se souvient d’un séminaire organisé en mars dernier avec les scientifiques du Giec. Une vraie révélation pour certains rédacteurs en chef, qu’elle estimait pourtant déjà sensibilisés. « C’est bien différent de lire un article et d’avoir sous les yeux pendant plusieurs heures des analyses scientifiques. De voir à quel point cela peut être systémique. Tout le monde était content du séminaire et nous allons refaire des formations de ce type à la rentrée. »

Le groupe France Télévisions vient également d’annoncer la création d’une cellule dédiée au climat et la biodiversité. Une grande première. « Je n’ai jamais eu à me battre contre un discours climatosceptique à la rédaction et tous les sujets que je propose sur l’environnement sont acceptés à 98 %. Mais jusqu’à très récemment, il n’y avait pas de vision systémique de la crise écologique », poursuit Sandrine Feydel.

Très optimiste sur la prise de conscience grandissante à l’égard de ces sujets dans l’audiovisuel, elle se réjouit également de la publication de la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique. « À l’instar de la Charte sur les violences faites aux femmes, je pense que cela peut donner matière à réfléchir. C’est bien de parler des petits gestes, mais il ne faut pas oublier d’aller chercher les véritables responsables de la crise climatique. »

Rédigé par ANAB

Publié dans #Actu-conf-films-expo

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G
Je suis complètement d'accord, autant avec les témoignages que vous diffusez, qu'avec vos commentaires... J'ai récemment laissé tomber une chaîne dite "d'information" dont les non-dits, les approximations ( voir même des énormités !), et les interruptions systématiques par les "animateurs" à chaque fois qu'un expert, (un vrai !), tentait d’expliquer quelque chose... C'était devenu insupportable à la longue, me fâchait, et cela me gâchait mon petit déjeuner.<br /> On parle aujourd'hui beaucoup, trop, de pourcentage d'audience : c'est tout ce qui intéresse les "patrons" des médias. Comme vous le suggérez, à qui profite l'omerta... Moi j'ajoute "Gare au jour où notre jeunesse, déjà sous pression, va vraiment exploser, et vouloir faire le ménage...
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R
Merci Gérard de ce commentaire. Les chaînes de télévision sont souvent les otages de leurs propriétaires.Les chaînes publiques sont meilleures mais ont aussi leurs œillères. Il faut faire son choix dans la presse écrite bien plus diversifiée. et objective.
J
La question serait peut-être de se demander pour quelle raison et comment la pression a été mise, autrement dit par qui, pour freiner au maximum les rédactions sur ces sujets pourtant vitaux. <br /> Nous avons connu les mêmes actions pour empêcher au maximum de révéler la toxicité de l’amiante, nous avons observé les mêmes méthodes pour ralentir le plus longtemps possible la connaissance de la pollution atmosphérique, nous subissons la même procédure pour nier les méfaits des pesticides et bien sûr essayer d’oublier le réchauffement climatique.<br /> Cerise sur le gâteau, les gens qui tentent de mettre au jour toutes ces problématiques sont affublés du qualificatif de complotistes ignorants et stupides dans la plupart des cas.
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R
Merci Jpl de ce commentaire. La réponse à la question "qui freine la diffusion des informations" tout le monde la connait.<br /> A qui profite l'absence de diffusion d'informations sur ces sujets?<br /> ...<br /> La recherche du profit est propre aux humains et n'a aucune limite, peu importe le nombre de morts sur le chemin...