Alsace : le castor en terrain conquis
Publié le 15 Novembre 2022
paru sur l'Alsace le 6/11/2022 et transmis par Bernard et Marie-Thérèse. Merci à vous deux.
C’est un véritable pied de nez à l’effondrement de la biodiversité : en Alsace, le castor affiche une santé insolente, alors qu’il en était absent depuis le XIXe siècle. Une étude récente vient de confirmer cette incroyable success story.
Monsieur bricolage. D’un côté, l’autoroute. De l’autre, la pénétrante sud-mulhousienne. En face, une grande surface consacrée au bricolage. Et au milieu, là où coule une rivière dans un mouchoir de poche : des crayons. Signes manifestes de la présence du plus grand rongeur européen, le castor. Fiber en latin, Biber en allemand. Les crayons sont ces troncs que les castors dissèquent méthodiquement. Un peu plus loin, il y a un barrage, autre preuve de sa présence.
Retour aux sources. Crayons, barrages et huttes en branches s’observent en maints endroits, en Alsace. Ces marques peu discrètes attestent de l’incroyable retour aux sources opéré par le castor. Éliminé de la totalité du bassin rhénan au XIXe siècle, chassé impitoyablement, il avait presque complètement disparu du paysage européen. En 1850, on estime que 1200 individus étaient encore présents sur tout le continent eurasien. Et une centaine en France, cinquante ans plus tard. Ils se comptaient sur les doigts de la main : juste un « Biber » ou deux, par-ci, par-là. Aujourd’hui, il y en a presque autant en Alsace que dans toute l’Eurasie deux cents ans plus tôt.
900 castors répartis dans toute l’Alsace
Raz de marée. Sous l’égide du Musée d’histoire naturelle de Colmar , le naturaliste Jean-Claude Jacob vient de mettre un point final à une étude qui confirme aujourd’hui la présence d’environ 900 individus, répartis en 247 territoires, dans toute l’Alsace. Soit une augmentation de 55 % depuis les derniers relevés, effectués en 2014. Et encore, de nombreux secteurs n’ont pas été prospectés, comme La Bruche. « Le castor s’étend le long des cours d’eau, mais n’occupe pas encore tous les habitats potentiels, avertit Jean-Claude Jacob. Sur l’Ill, il est présent en continu du Jura Suisse jusqu’à Strasbourg intra muros. Il arrive en force sur le Vieux Rhin, un formidable terrain de jeu pour lui. Idem dans le Sundgau et dans la bande rhénane au nord de Strasbourg. »
Le temps des colonisations. On l’a même repéré en train… d’escalader le col de Bussang. « Il parvient à franchir les lignes de partage des eaux ! Il arrive à s’enraciner dans les milieux bétonnés ou fortement enrochés, et à y aménager huttes, terriers voire barrages, si l’eau est trop basse. » Il reste cependant freiné par plusieurs facteurs, en particulier les seuils de rivière qui lui sont infranchissables. « La construction de rampes de franchissement, comme cela a été le cas récemment à Mulhouse lors de l’extension de l’autoroute, lui a permis d’aller conquérir de nouveaux territoires car, au sol, il subit le même sort que les hérissons. » Malgré ses bonnes capacités d’adaptation qui lui permettent de nager sous les yeux des Strasbourgeois, l’urbanisation représente un frein supplémentaire. Ainsi que la transformation de son biotope par l’arrivée de plantes invasives, comme la renouée du Japon qui supplante les saules qu’il utilise, et le robinier, dont le bois est particulièrement résistant à la redoutable dent du rongeur.
Le Robinson des rongeurs
Seul au monde. Jean-Claude Jacob cite l’histoire de ce castor qui, à l’issue des premières réintroductions dans la Doller, avait réussi à se frayer un passage jusqu’à Didenheim. Las, il a été le seul à l’avoir fait, séparé des autres par un seuil de rivière. Il a vécu en solitaire, comme un Robinson Crusoé sans Vendredi, pendant une vingtaine d’années sans pouvoir assister à l’arrivée d’autres congénères. Entre 1970 et 2011, 51 castors ont été pêchés dans le Rhône, où subsistait une population relictuelle, et conduits en Alsace dans des conditions parfois rocambolesques. Si la plupart de ces pionniers ont survécu, on doit aussi la colonisation de la région à des renforts qui ont joué à saute-frontières : « Ces soixante dernières années, tous les pays du bassin rhénan ont procédé à des lâchers de castors en ordre dispersé. Beaucoup n’ont rien donné, mais au final, cela a nourri une forte dynamique transfrontalière qui a permis de reconstituer la diversité génétique du castor. »
Celui-ci poursuit désormais sa conquête sur une dynamique propre, avec ces atouts qui le rapprochent de l’homme : sa capacité à adapter son biotope à ses besoins et à survivre en milieu pollué… Ce qui va finir par poser la question de son rapport à l’homme.

Des hommes et des castors
Si le castor est revenu en force, c’est en partie grâce à l’homme. Non seulement lors des lâchers de réintroduction, mais également, comme le fait le conservatoire des sites alsaciens , en protégeant ses biotopes ou en naturalisant les berges des rivières. Le castor étant présent sur les principaux cours d’eau, la prochaine étape de son expansion concernera les petits affluents, avec la problématique des assèchements estivaux. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’est pas installé dans le Giessen, régulièrement à sec.
La colonisation des cours d’eau impliquera sûrement la construction de barrages, lesquels seront la voie vers de probables conflits. On sait la cohabitation entre homme et animaux sauvages généralement complexe, cela risque d’être le cas pour le castor. Raison pour laquelle l’office français de la biodiversité a mis en place un réseau castor destiné à prévenir la casse : barrages qui inondent des récoltes, verger cisaillé : des réponses techniques existent pour chacun de ces cas. De quoi faciliter la cohabitation.