Cascades et autres chutes d’eau en Alsace Bossue et dans les territoires limitrophes.

Publié le 20 Novembre 2022

Une cascade se caractérise par une retombée de l’eau étagée par paliers à la différence d’une chute où l’eau tombe en masse sans interruption. Cascadelle est le nom donné à une petite cascade.Un rapide correspond à une zone d’écoulement accéléré des eaux, souvent peu profonde permettant l’affleurement de blocs rocheux. Ces sites exercent un attrait tel qu’ils deviennent des lieux de visite incontournables. Ils offrent le spectacle de l’eau en mouvement rapide et le bruit qui l’accompagne est reconnu pour ses vertus apaisantes. 



 

Cependant, en Alsace Bossue calcaire et dans les territoires proches, la pente générale des cours d’eau et la géologie locale ne favorisent pas l’existence de cascades ou de chutes de grande taille. Ici tout est dans la miniaturisation. Si ces endroits existent, ils ne sont à la portée du naturaliste qu’ au prix de quelques recherches ...  La meilleure saison pour les observer reste l’automne-hiver à cause de l’absence de couvert végétal, du débit augmenté des cours d’eau, du moindre impact sur la faune (et réciproquement : tiques), de la possibilité de journées de gel qui accroissent la beauté d’un site.

 

Un mot sur les barrages, installations et obstacles naturels ... 

 

Sur les rivières, existe le spectacle des chutes d’eau (digues, écluses) installées à la hauteur des anciens moulins.

Exemple de chute à l’aval d’une digue à deux moments différents de la saison hivernale.



 

Sur ces mêmes cours d’eau, on observe quelques rapides et à proximité des gués utilisés comme lieu de passage pour les humains, les animaux ou des engins. Ils résultent d’accumulations de sédiments grossiers à l’aval d’un secteur surcreusé (migration des bancs vers l’aval) ou plus rarement du ressaut causé par le passage de l’eau à travers des assises plus résistantes (roches à l’affleurement).

 

Portion de rapides sur un affluent de la Sarre. La rivière s’insinue entre les blocs figurant un ancien gué pour piétons praticable en période de basses eaux. A l’arrière, dans la zone calme se trouvait un passage à gué franchissable par les engins agricoles et abandonné à l’époque actuelle.

 

A côté des installations humaines, un autre type d’obstacle peut être à l’origine de chutes et de cascades : il s’agit d’obstacles naturels (bois) ou embâcles qui se forment à la faveur de crues, surtout sur les ruisseaux.

Petit embâcle dans un ruisseau par période de grand froid . En créant un barrage, les débris de bois flottés favorisent le ralentissement de l’écoulement en amont donc la sédimentation fine. Sous la cascadelle se crée une cuvette de surcreusement. Une succession de ces paliers contribue à une bonne oxygénation de l’eau.

Dans le lit de ce ruisseau s’est formé un barrage fait de branchages mêlés à des débris rocheux et retenu par des troncs d’arbres morts. On se rend compte de l’importance de la charge pouvant être transportée lors d’une crue. A ce moment, l’eau débordait par dessus l'embâcle (branches moussues) sur une hauteur d’environ 2 mètres. A présent, elle s’est frayée un chemin à travers la masse de débris.





 

Cascades rocheuses en territoire calcaire d’Alsace Bossue et secteurs limitrophes

 

Si les cascades naturelles sont rares sur les rivières, il en est autrement pour les ruisseaux et ruisselets affluents. Leur cours situé sur le flanc des vallées principales offre une pente plus prononcée, ils peuvent présenter quelques cascades et chutes d’importance toutefois inégale. Rarement alimentés par une source d’altitude (plateau), ils subissent les aléas climatiques saisonniers et ne fonctionnent vraiment qu’en cas de fortes précipitations (pluies de saison froide, orages d’été).




 

Installation des cascadelles et cascades

 

Des études récentes hydrogéologiques sur maquette (Scheingross et al.) ont montré que des trous d’eau se forment naturellement sur le parcours d’un ruisseau à pente régulière à la suite de perturbations engendrées par l’écoulement. Au niveau de ces zones de turbulence, les eaux chargées en particules creusent le fond et donnent naissance à des « marmites » ou des vasques accompagnées de dépôts de pierres évacuées lors de crues, à leur sortie. Le rebord amont de la cavité constitue un palier transitoire (cascadelle) qui s’efface au fil du temps par érosion et abaissement du profil. Par contre, lorsque le rebord amont est plus résistant, la cavité peut être rejointe à sa base par l’érosion remontant depuis la cavité immédiatement en aval. De ce fait, la fosse d’érosion se creuse encore davantage et la hauteur de la chute augmente.

 

Remarque : ce phénomène peut être perçu dans les fossés de drainage rectilignes. Après leur installation ou leur curage, la reprise du ravinement peut créer localement des cavités.

 

Evolution et érosion régressive

On retrouve à cette occasion les mécanismes de l’érosion qualifiée de régressive

Les pentes localement plus fortes sur une section du cours d'eau sont soumises à plus de puissance érosive, et sont ainsi surcreusées, particulièrement à la base du relief, du fait de la vitesse de l’eau acquise dans ce secteur. L'arrachement des particules provoque alors un recul de la section de plus forte érosion, et le phénomène progresse toujours plus vers l'amont.

 

Image de gauche : à l’arrière-plan, la rivière coule de gauche à droite. Un chenal profond perpendiculaire la rejoint, alimenté par un ruisseau qui y tombe en chute (tronc avec glaçons dans le coin en bas à droite).

Image de droite : la chute vue de face. Le chenal a été creusé par l’érosion régressive dans des alluvions récentes peu consolidées appartenant au lit inférieur de la rivière. La cascade est condamnée à reculer...

 

Les niveaux résistants qui s’opposent à l’érosion sont constitués par des bancs calcaires (ou dolomitiques) en particulier - dans la région - par le Calcaire à entroques (8-10 mètres d’épaisseur), surmonté du Calcaire à cératites. Cependant, la hauteur des cascades n’excède guère 2 à 3 mètres, car le sommet du Calcaire à entroques subit une érosion par détachement de (gros) blocs qui s’accumulent à la base de l’édifice (talus d’éboulis). Le recul de la cascade peut aussi se produire à la suite du sous-cavage au niveau des Couches grises plus tendres situées à la base de la formation (cf effondrement de falaise). La plus grande hauteur de chute s’observe lorsque le niveau à entroques se situe en bas de pente, là où le courant est le plus fort. Au cours du temps (géologique), le lent recul de la cascade provoque une échancrure ou « rentrant » de la couche à l’origine d’un ravin étroit.

De cascadelles en cascades et chutes …

Succession de cascadelles et de vasques lors de la traversée du Calcaire à Cératites (alternance de minces bancs calcaires résistants et marneux tendres) et d’une racine d’arbre ! L’eau paraît transparente mais un dépôt de fines particules argileuses sur le fond montre qu’en période de fortes précipitations, le ruisseau roule des flots brunâtres. 

 

Cascadelle au sein d’un banc d’alluvions anciennes (hauteur un demi-mètre). Les masses de débris arrachés aux flancs du cours d’eau voyagent au gré des crues, subissent des phases de dépôt en vrac (bancs de blocs et graviers) parfois longues suivies d’érosion et de remise en mouvement vers l’aval. Avec le cas précédent (franchissement de strates) ce sont les types de cascadelles les plus fréquents dans nos ruisseaux en Alsace Bossue.

 

Dans les niveaux supérieurs du Calcaire à entroques, au passage vers le Calcaire à cératites, les bancs moins épais séparés par de minces joints de stratification se délitent facilement et le ruisseau tombe en cascade le long des marches ainsi créées.

 

Cascade à sec dans le Calcaire à entroques. L’existence de fissures (diaclases obliques) traversant les bancs de calcaire favorise le détachement de blocs qui encombrent la cavité sous-jacente et « diminuent «  la hauteur de l’édifice. La hauteur atteint néanmoins quelques 3 mètres et reste appréciable.

 

Cascade en pleine activité. Le léger pendage des couches de Calcaire à entroques vers la gauche oriente le passage de la masse d’eau principale. Le recul de la cascade s’accompagne d’un déchaussement de blocs.

 

Rare cas de chute dans le Calcaire à entroques, ici en période de basses eaux. Elle se situe à l’extrémité d’un ravin aux flancs quasi verticaux (reculée). Son franchissement (hauteur de 1,5m) demande un peu de technique d’escalade. A l’arrière on voit que les bancs supérieurs ont déjà été dégagés par l’érosion.

 



 

L’exception, quelques mètres plus bas de la première photo de cette série : une chute d’une hauteur respectable de près de 2,5 mètres montrant une paroi colonisée par les mousses aquatiques à l’origine d’un encroûtement. A sa base une belle vasque profonde.




 

Une particularité : les travertins liés aux cascadelles

 

Si une source alimente le ruisseau, il se forme souvent dans les portions du parcours où l’eau circule sur une épaisseur faible, un dépôt de calcaire (carbonate de calcium) mêlé à des débris végétaux. Un véritable encroûtement des cascades se produit qui grandit au fil du temps ; Il s’explique par le départ du CO2 dissous - présent dans les eaux souterraines sous forme de bicarbonate (hydrogénocarbonate de calcium) - au contact de l’air mais aussi par le développement de colonies de mousses aquatiques ou de micro organismes qui l’utilisent pour la photosynthèse.

 

 

Travertin en cours de formation sur une cascade. L’installation de cette construction montre qu’à l’époque récente, l’érosion demeure globalement modérée en dehors de phénomènes météorologiques exceptionnels (cas d’un orage stationnaire à Kleinblittersdorf -D- en 2018). L’essentiel du creusement de ces vallées remonte aux périodes glaciaires.

 

Note

Les photos de l’auteur proviennent principalement du bassin versant de la Sarre inférieure, de territoires où les reliefs plus escarpés des flancs de la vallée favorisent l’existence de cascades « monumentales » dans les ruisseaux.

 

Textes, photos, recherches, et bibliographie  Étienne Feuchter (Anab)

 

Rédigé par ANAB

Publié dans #Paysages, géologie de notre région

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M
bravo Etienne, cet article est de toute beauté et très intéressant. Merci
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B
Belles photos et article très instructif, on n'arrête pas d'apprendre !
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R
Merci Bernard, oui nous aussi merci à Etienne
J
Très sympa et technique, cela donne envie de les voir !
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R
Merci Jpl pour Etienne. Tu viens quand tu veux,nous ferons le tour avec toi
T
Merci pour cet article très instructif et les magnifiques photos.<br /> Je vais partager ça avec deux personnes originaires d'Alsace Bossue; elles s'en réjouiront car elles ne plus marcher que sur des terrains plats.
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R
Merci Toll pour ce bel article d'Etienne