Comment construire sans entrave un hôtel de luxe en zone Natura 2000?

Publié le 5 Janvier 2023

La nouvelle Fennematt à l’automne 2022. L’accueil du public n’y est pas autorisée.

La nouvelle Fennematt à l’automne 2022. L’accueil du public n’y est pas autorisée.

paru sur le site du journal l'Alsace le 17/12/2022
transmis par Bernard, merci Bernard.

Vallée de la Doller : l’introuvable chèvrerie de la Fennematt en justice
L’ensemble immobilier sorti de terre en zone Natura 2000 à la Fennematt fait l’objet d’une enquête sur plainte de la commune de Dolleren. Celle-ci estime que l’acheteur n’aurait pas respecté le permis de construire. La partie agricole, qui conditionnait l’acceptation du projet, annonçait - entre autres - l’exploitation d’une chèvrerie. Elle n’a pas été réalisée.

 

Le sujet alimente depuis 2012 les conversations dans la vallée de la Doller et ce n’est sans doute pas fini. Dix ans après le rachat de la ferme-auberge de la Fennematt par l’investisseur allemand Eide Duecker au défunt fermier Robert Kessler, le dossier se trouve désormais sur le bureau du procureur de la République de Mulhouse, entre les mains de la justice. La modeste ferme-auberge « qui attirait encore il y a 40 ans une foule énorme depuis le Territoire de Belfort pour ses Bargkilbe et ses cochonnailles », se souvient Serge Sifferlen, président de l’ association des fermiers-aubergistes du Haut-Rhin a cédé la place à un corps de bâtiments neufs, d’excellente qualité, d’une surface supérieure à 1 200 m². La construction, à 920 m d’altitude, s’est accompagnée d’énormes travaux de terrassement et de remodelage d’une partie des prairies du vallon, pourtant classé Natura 2000 - zone de protection Hautes-Vosges.

« Il est possible que l’étude d’incidence Natura 2000 ne tienne plus »

« Le projet initial a fait l’objet d’une mesure d’évaluation d’incidence », argumente Olivier Claude, directeur du Parc naturel régional des Ballons des Vosges , structure animatrice des réseaux Natura 2000. «. Le problème, aujourd’hui, est que les autorisations ont été accordées au regard du projet agricole présenté et que celui-ci a semble-t-il changé de finalité. Il est possible aujourd’hui que l’étude d’incidence ne tienne plus ».

La nouvelle Fennematt fait grincer les dents de nombreux amoureux de cette combe confidentielle adossée à la source de la Doller et suspendue entre Dolleren et Sewen. D’aucuns déplorent son gigantisme, d’autres estiment qu’un édifice de cette facture ne correspond pas à l’esprit de la montagne vosgienne et sera générateur de nuisances. Au-delà des considérations esthétiques et éthiques, se pose une question de légalité. 


 

Des mises en demeure à l’issue incertaine

En 2012, le projet agricole était clairement affiché par l’acheteur. L’entreprise « Ferme-auberge de la Fennematt » figurait dans la nomenclature du Système national d’identification et du répertoire des entreprises et de leurs établissements (Sirene) comme exerçant l’activité principale d’élevage d’ovins et de caprins. Le lourd investissement consenti sur fonds privés, estimé alors à 3,9 M€ (mais aujourd’hui vraisemblablement plus proche des 6 M€) avait de quoi séduire les autorités, à commencer par la Direction départementale des territoires (DDT), d’autant qu’il prévoyait aussi l’exploitation d’une ferme montagnarde en permaculture avec production maraîchère, vergers fruitiers et atelier de transformation, en plus d’un volet auberge.

Mais, à l’exception d’une dizaine de rustiques vaches highlands qui ont un temps pâturé sur la chaume, aucune activité agricole n’a été constatée depuis. Cette carence avait conduit en septembre 2018, la préfecture du Haut-Rhin et la DDT à adresser une mise en demeure à Eide Duecker afin qu’il régularise la situation. L’inspecteur de l’environnement avait épinglé la réalisation de travaux effectués sans autorisation administrative. L’arrêté préfectoral réaffirmait notamment que le permis de construire délivré « concerne la construction d’une exploitation agricole dont l’activité principale est l’élevage de chèvres ». Il listait les irrégularités et requérait le dépôt à la DDT « d’une note sur le phasage de la réalisation de la chèvrerie ».

«Logement de vacances sans mobile»

Quatre années se sont écoulées. Début 2022, la commune de Dolleren a porté plainte auprès du procureur de la République pour non-respect du permis de construire. De son côté, Eide Duecker déposait un recours devant le tribunal administratif de Strasbourg après le rejet en octobre 2022 de sa demande de nouveau permis « pour une construction agricole temporaire et provisoire ».« Nous avons constaté des irrégularités et transmis le procès-verbal au procureur. On laisse instruire le dossier. Nous n’avons pas de retour », indiquait début décembre Sébastien Reymann. Le maire de la commune ajoute que la commission de sécurité a rendu un avis négatif à l’exploitation de la Fennematt.

Celle-ci est aujourd’hui occupée par un gardien. Elle ne présente toujours aucun signe d’exploitation agricole. Parallèlement, les publications de la société sur la toile semblent attester d’une vocation locative d’hébergement touristique à destination d’un public désireux de se mettre au vert, de se déconnecter, voire de se protéger des ondes électriques. Sur sa page Facebook, la Fennematt , également présente sur la plateforme Airbnb, partage ainsi un article paru sur le site « Logement de vacances sans mobile » proposant des séjours détox. Les chambres sont proposées à la location à la semaine, au mois et à l’année (695 € - 1 485 € - 10 200 €) ainsi que des studios (995 € - 2 175 € - 17 400 €). Le contexte d’hébergement à la ferme est mis en avant.

Eide Duecker souhaite « arriver à une solution consensuelle »

Pour Eide Duecker, acquéreur de la Fennematt, « l’ensemble du projet peut être autorisé dans son intégralité et en adéquation avec les dossiers déposés ».

C’est un homme atypique, aussi atypique sans doute que le projet qu’il porte. Dirigeant d’une salle d’escalade à Berlin, Eide Duecker a décidé de changer de vie en 2004 suite à un syndrome d’épuisement professionnel en 2002. Une visite en 2008 en Autriche dans une ferme en permaculture et la découverte du site de la Fennematt, mis en vente en 2010, l’ont convaincu de tenter sur place l’expérience d’une gestion agricole écologiquement, économiquement et socialement durable.

« La Fennematt m’a trouvé en 2010 », raconte-t-il en avril 2020 dans une rare interview au site Diagnose-Funk.org “Utiliser la technologie à bon escient ”, intitulée «  Vivre et travailler de manière coopérative et proche de la nature dans un environnement à faible intensité  », dans laquelle il se présente comme électrosensible. Les bâtiments ont été conçus pour être à l’abri des ondes électromagnétiques.

Dans ce même entretien, Eide Duecker indique que 6M€ ont déjà été investis sur fonds privés dans le projet, et qu’il reste 1,6M€ à lever pour conduire l’opération à son terme dans sa partie agricole. « Les gens peuvent s’impliquer grâce à la participation financière. […] La Fennematt a besoin maintenant de personnes qui veulent apporter leurs compétences, en particulier pour le maraîchage, l’agriculture […]. », explique-t-il encore

« Nous restons optimistes »

Contacté par courriel par votre journal, le dirigeant de Consultum GMBH, la société qui gère la Fennematt, apporte quelques éléments sur la situation actuelle et son dénouement, tout en promettant des réponses plus précises à venir.

« En mai 2022, deux demandes de permis modificatifs conjointes concernant l’ensemble du projet, basées sur le permis de construire accordé en 2015 ont été déposées auprès de la commune de Dolleren. Ainsi qu’une demande pour une construction agricole temporaire dans ce contexte. À ce jour, aucune décision n’a été prise concernant les permis modificatifs. Et la demande pour la construction agricole temporaire et provisoire a malheureusement été rejetée en octobre. Notre avocat a déposé un recours auprès du tribunal administratif de Strasbourg à l’encontre de ce refus », indique-t-il.

Affirmant sa bonne foi, Eide Duecker se dit « convaincu que l’ensemble du projet peut être autorisé dans son intégralité et en adéquation avec les dossiers déposés. Nous travaillons dans ce sens depuis le début et en lien étroit avec différents conseillers spécialisés, afin de garantir que tous les travaux réalisés sont conformes. Nous restons optimistes quant à la possibilité de parvenir à une solution consensuelle dans les semaines à venir, après les fêtes de fin d’année, et sur la base d’une communication constructive avec la commune et avec tous les services concernés », écrit-il. « Comme il s’agit de procédures en cours, nous ne souhaitons pas faire de commentaires détaillés à ce stade ».

Rédigé par ANAB

Publié dans #Pollution-pesticides

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