Enquête mycologique, épisode 71, Hebeloma echinosporum
Publié le 17 Décembre 2022
Identifier un champignon n’est pas chose aisée au premier abord et c’est pourtant une démarche essentielle pour éviter toute fâcheuse méprise qui peut devenir fatale si on consomme un champignon toxique ou mortel. L’enquêteur de la brigade d’identification des champignons apprécie tout particulièrement d’arpenter les forêts pour recenser tous les gangs fongiques qui s’y trouvent.
Scène du crime
Nous sommes le 22 octobre 2022, dans la forêt de Siltzheim. C’est un champignon d’un groupe très difficile que notre enquêteur va rencontrer. C’est en fait un groupe très redouté.
Arme du crime
Le champignon pousse au sol, avec quelques débris organiques à la base du pied. Difficile de se prononcer sur son mode de nutrition.
Profil du suspect
De morphologie classique pied chapeau, c’est un champignon à lames, de taille moyenne. Les lames sont couleurs café au lait et non libres, échancrées. Pas d’ornement ou de voile ni sur le pied, ni à sa base, ni sur le chapeau. La saveur est douce, l’odeur légèrement aromatique.
Les lames sont dites pleureuses, donc tachées.
Avec ces éléments, l’enquêteur soupçonne déjà fortement un membre du genre Hebeloma, un genre très difficile. L’enquêteur dit toujours à titre personnel que croiser un hébélome, c’est ouvrir la porte de l’enfer. Une longue et minutieuse étude microscopique va débuter.
Un mot sur le genre Hebeloma
Ce genre regroupe des champignons de morphologie tricholome ou collybie, avec une chair filamenteuse. Le chapeau est plus ou moins visqueux, les lames généralement couleur café au lait. Un voile est quelquefois présent sous forme de cortine (la cortine n’est pas seulement présente chez les cortinaires). Ce qui doit surtout attirer l’attention est la présence d’une odeur de radis ou tout autre odeur particulière comme le cacao ou l’amande amère. Ces champignons sont tous mycorhiziens.
Sporée
Elle est brune. Attention, certaines espèces d’hébélomes ont une sporée pourpre.
Examen par la police scientifique
Avec les hébélomes, il faut s’armer de patience et avoir ses monographies à côté. Pour les hébélomes, on utilisera Fungi Europaei de Beker, Eberhardt et Vesterholt consacré à ce groupe (2016, 618 pages) et/ou celle de Bruchet de 1970 (132 pages) pour commencer à dégrossir le sujet.
Il convient de procéder avec ordre.
On a déjà établi que c’est un hébélome, ce qui est déjà certes beaucoup.
L’absence d’anneau nous ramène dans le sous-genre Hebeloma. Pas de cortine sur le pied, des lames larmoyantes, une sporée brune (certains hébélomes peuvent avoir une sporée rougeâtre) nous ramène vers la section Denudata.
Dans cette section, les cheilocystides font facilement 40 microns de long, renflées au sommet et à la base, comprimées au milieu, ce que confirme la microscopie.
Les spores sont fortement dextrinoïdes dans le Melzer (rougeâtre), fortement épineuses et sans périspore (membrane de protection des spores). Les clés de détermination des hébélomes parlent de caractère D (dextrinoïdie), O (ornementation) et P (présence du périspore) avec une échelle de graduation. On est ici au minimum en D3/O3/P3, donc la sous-section Echinospora.
Les basides sont tetrasporiques.
Avec les mesures de la largeur des cystides au sommet et la longueur des spores, le spécimen est identifié comme Hebeloma echinosporum Beker et U. Eberh, 2015
Statut selon l’INPN : non indiqué
La conclusion de l’enquêteur
Vous l’aurez compris, les hébélomes, c’est un groupe très complexe (excepté certains membres typés) qui demande une observation minutieuse et une étude longue pour déterminer l’espèce. Mais néanmoins, en prêtant attention à l’odeur, la couleur des lames, c’est un genre qu’on identifiera aisément avec de l’habitude.
Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)