"Procès du chasseur qui a tué Morgan Keane, « symbole d’une cause plus grande »

Publié le 9 Janvier 2023

Publié sur le site de lavie le 22/11/2022


En décembre 2020, le tir mortel d’un chasseur sur le jeune homme de 25 ans, à Calvignac (Lot), relançait le débat sur la pratique de la chasse en France. Le tireur ainsi que le chef de battue comparaissaient jeudi 17 novembre 2022 devant le tribunal correctionnel de Cahors.

« Que vaut la vie de Morgan (photo) si rien ne change ? », demande maître Benoît Coussy, avocat de Rowan Keane, frère de la victime.  « Que vaut la vie de Morgan (photo) si rien ne change ? », demande maître Benoît Coussy, avocat de Rowan Keane, frère de la victime. • A

« Que vaut la vie de Morgan (photo) si rien ne change ? », demande maître Benoît Coussy, avocat de Rowan Keane, frère de la victime. « Que vaut la vie de Morgan (photo) si rien ne change ? », demande maître Benoît Coussy, avocat de Rowan Keane, frère de la victime. • A

Le ciel est couvert au-dessus de la vallée du Lot ce mercredi 2 décembre 2020. Dans le hameau de la Garrigue, à Calvignac, au milieu des chênes des Causses du Quercy, Morgan Keane coupe du bois. Ce jeune homme de 25 ans veille à ce que son frère, Rowan, de deux ans son cadet, passe l’hiver au chaud. Les deux orphelins vivent dans une ancienne maison en pierre, isolée, au-dessus de la rivière.

À quelques mètres, un groupe de chasseurs de Cajarc, la commune voisine, traque le gibier. La lumière, entre chien et loup, offre peu de visibilité quand Julien F., 33 ans, aperçoit « une masse sombre » qu’il prend pour un sanglier. Au moment où il presse la détente, il n’imagine pas ôter la vie d’un homme. Morgan est touché aux poumons et au cœur. Il ne survit pas.

30 propositions pour sécuriser la chasse

« 15 min d’agonie », détaille maître Benoît Coussy. Il marque une pause. « Monsieur Keane a dû endurer le martyre, alors qu’il coupait du bois chez lui, on marche sur la tête », ajoute l’avocat du frère de la victime, dans le tribunal correctionnel de Cahors, où comparaissent pour homicide involontaire le tireur et le directeur de la battue, jeudi 17 novembre 2022. La salle est comble.

Deux ans ont passé, et ce procès se tient dans un climat de tensions entre les différents amateurs de nature. Le drame de Calvignac a ouvert un débat national sur la chasse après, notamment, un travail du collectif Un jour un chasseur. Sur son compte Instagram, suivi par plus de 40 000 abonnés, les amis de Morgan Keane diffusent les témoignages d’autres victimes, avec la volonté affichée de mieux encadrer cette pratique.

Une requête qui est remontée jusqu’au Sénat, dans le cadre de la mission de contrôle sur la sécurisation de la chasse, dont les conclusions ont été rendues en septembre 2022, et qui formule 30 propositions dans ce sens. Lors de l’élection présidentielle de 2022, le sujet avait également suscité de vifs débats, Yannick Jadot, candidat EELV, proposant notamment d’interdire les battues les week-ends et durant les vacances scolaires.

Selon le collectif, comme pour maître Coussy, « le décès de Morgan n’a rien d’un accident ». Il serait le fait d’une succession d’infractions aux règles de sécurité, dont la plus importante : l’identification de la cible. Julien F. ne détenait le permis que depuis six mois et n’avait participé qu’à trois ou quatre battues à Calvignac.

Quelques jours avant la tragédie, ce microentrepreneur affilié à une société de chasse aveyronnaise avait essuyé les railleries de ses pairs qui le voyaient rentrer bredouille. Une humiliation qui l’avait poussé à vouloir faire ses preuves. Le jour du drame, il avait été posté à cet endroit précis, sur ce terrain qu’il connaissait mal, par un camarade et s’était exécuté sans poser de questions. « J’ai seulement fait ce qu’on m’a dit de faire », lâche ce père de famille, en haussant les épaules.

Au souvenir du drame, sa voix tremble. « Je suis sincèrement désolé, je sais par quelle douleur passe la famille. » En 2018, cet Aveyronnais a perdu sa fille de 7 ans, écrasée par le chauffeur ivre d’un tracteur. Un événement traumatisant dont il a du mal à se remettre. « Mon beau-frère m’a proposé de venir chasser pour m’aérer la tête et, comme j’aime la nature, j’ai accepté. »

Une responsabilité collective

Cet après-midi-là, devant le tribunal correctionnel de Cahors, deux visages de la ruralité se sont fait face. « Morgan aussi était amoureux de la nature, mais sans fusil », a réagi son avocat. Dans son petit paradis rural, le jeune homme, franco-britannique, aimait fabriquer des mangeoires. « Il rêvait qu’il y ait le plus d’animaux sauvages possible autour de chez lui », raconte son ami Michael, qui le surnommait Blanche-Neige car les oiseaux se posaient sur le rebord de la fenêtre quand il l’ouvrait.

Morgan avait même autorisé un agriculteur à travailler l’une de ses parcelles à condition que celui-ci n’utilise pas de pesticides, pour que ses compagnons à plumes puissent se nourrir d’insectes. Ses proches étaient tous là, assis au premier rang. Une famille soudée autour des deux frères : lorsque Morgan n’avait plus d’argent, l’un d’eux constituait une cagnotte. Quand il avait besoin d’un logement, un autre lui dépliait son canapé. Troc, débrouille, simplicité et solidarité. Le Lotois représentait cette jeunesse rurale résiliente et investie dans son territoire. Avec ses copains de Cajarc, Morgan avait monté une association de musique pour redynamiser le hameau.

Le garçon avait la volonté de s’en sortir, malgré la mort de son père et de sa mère à quatre ans d’intervalle, emportés par la maladie. Orphelin à 24 ans, il avait entrepris de rénover pierre par pierre la maison qui tombait en ruine. « Il a grandi dans une famille précaire, ajoute son ami, il ne jouait pas aux jeux vidéo et appréciait les choses simples, comme écouter le chant des oiseaux. »

Cet autodidacte, déscolarisé et sans diplôme, aspirait au métier de couvreur avant le drame. « C’est une tragédie grecque », souligne Bruno Almosnino, un Calvignacois proche du défunt, en évoquant « la rencontre entre Morgan et Julien F., ces deux hommes meurtris que tout oppose ». Malheureusement, ce drame n’est pas un cas isolé, et l’avocat de Rowan pointe une responsabilité collective.

Au-delà du fait divers

Ce procès embarrasse la Fédération nationale des chasseurs, qui a préféré se désolidariser du tireur. L’antenne lotoise s’est même constitué partie civile. « Aujourd’hui, Julien F. est détesté des antichasse et des chasseurs », plaide son avocate maître Sylvie Bros, « mais c’est le seul à reconnaître ses erreurs. »

Est-ce la responsabilité d’un homme ou de toute une communauté ? Maître Coussy évoque des altercations antérieures entre les hommes en treillis et William Keane, le père des garçons. Le Britannique leur avait demandé de ne pas chasser près de leur maison. Mais au lieu de faire amende honorable, les chasseurs locaux avaient joué la provocation et s’en étaient approchés de plus en plus.

« Les chasseurs n’aiment pas les “estrangers” ni les gens qui ne chassent pas », souligne l’avocat. Morgan, lui, entretenait des relations plus cordiales avec eux. Cependant, au moment du drame, sur les 15 hommes de la partie de chasse, seuls cinq lui ont porté secours. Les 10 autres ont fui.

S’ils n’ont pas été inquiétés par la justice, c’est la première fois, en revanche, qu’un directeur de battue figure sur le banc des prévenus. Certains chasseurs déclarent que Laurent L., 51 ans, n’a pas délivré les consignes obligatoires. « Je l’ai fait mais personne n’écoutait », s’est-il défendu maladroitement.

Il reconnaît que cette journée n’était « pas à 100 % parfaite ». Son avocate, maître Émilie Geffroy, le rappelle : « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait. » Mais le juge d’instruction a bien pointé dans son ordonnance de renvoi une battue qualifiée de « totalement désorganisée ». Pour Zoé, membre d’Un jour un chasseur, « Morgan Keane est devenu le symbole d’une cause plus grande. » Ses proches espèrent que cette affaire changera les mentalités. Jusqu’à présent et malgré les débats, aucun chamboulement…

Dans son plan de sécurisation de la chasse, présenté le 25 octobre 2022, le gouvernement n’envisage d’interdire la chasse qu’une demi-journée par semaine dans certaines régions. Un programme qui ne sera adopté qu’après la concertation prévue avec la Fédération nationale des chasseurs à la fin de l’année 2022.

« Que vaut la vie de Morgan si rien ne change ? », interroge l’avocat de Rowan Keane, victime qu’il décrit aujourd’hui comme une « pupille de la chasse ». Alexandre Rossi, procureur de la République du Lot, a requis une peine de deux ans de prison, dont 18 mois avec sursis, à l’encontre de Julien F. et 18 mois de prison, dont 12 avec sursis, pour Laurent L., soit six mois ferme pour les deux hommes. Le délibéré sera prononcé le 12 janvier 2023.

Emma Conquet

Rédigé par ANAB

Publié dans #Pollution-pesticides, #Protection animale

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A
Et le comble, légalement, cette battue en temps de confinement n'était pas autorisée, la chasse loisir étant en plus interdite en période de confinement, donc il fallait un arrêté préfectoral pour dérogation (et il n'a été validé que 2 jours après le meurtre)!!! Et malgré tout ça, les fautifs n'ont presque rien!!! Donc t'es chez toi en période de confinement Covid pensant qu'il n'y a pas de chasse et tu prends une balle mortelle, sous les yeux de ton petit frère ayant déjà des parents décédés !!!<br /> file:///C:/Users/HP/Downloads/LETTRE_OUVERTE_A_LA_FDC_DU_LOT_situation_Rowan_Keane.pdf<br /> <br /> La battue mortelle de 2020 : une information erronée de la fédération des chasseurs du Lot<br /> La fédération des chasseurs du Lot a publié sur son site internet le 2 décembre 2020 l’arrêté préfectoral autorisant<br /> la dérogation au confinement pour la régulation.<br /> Or l’arrêté n’a été publié au Recueil des actes administratif (RAA) que le 4 décembre 2020.<br /> Curieusement le RAA du 4 décembre 2020 n’est plus accessible sur le site de la préfecture ! Mais une sauvegarde avait<br /> été faite. Voir le PDF.<br /> La battue mortelle du 2 décembre 2020 n’était pas autorisée.<br /> Si un acte réglementaire n’a pas reçu la publicité requise, il ne peut pas entrer en vigueur.<br /> De plus, le président de la fédération des chasseurs en 2020 était maire pour un 5 ème mandat donc bien expérimenté<br /> sur les formalités obligatoires
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A
Ils se vantent partout de la soi-disant baisse de victimes de la chasse, sans préciser que c'est uniquement chez les chasseurs! Mais la part des non-chasseurs blessés et tués aurait triplé en 10 ans!<br /> 60 % des personnes non-chasseuses tuées par des chasseurs ces quinze dernières années l’ont été au sein même de leur propriété.
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T
Deux victimes de Machisme: Morgan Keane en est mort, Julien F. ……?<br /> Il aurait été plus utile que les amis de ce dernier constituent une cagnotte pour qu'il ait accès (en privé, puisque c'est plus facile) à un professionnel qui l'aiderait à se remettre du décès tragique de sa fille. <br /> Au lieu de cela, on lui met un fusil entre les mains pour aller tuer des animaux sauvages.<br /> <br /> Le manque de volonté de la part de l'Exécutif de mieux protéger ceux qui aiment la nature, sans fusil, rend inévitable une comparaison entre la FNC en France et la NRA aux Etats-Unis. La NRA (National Rifle Association) est un lobby redoutable qui s'oppose à toute avancée législative qui l'imiterait l'accès des américains aux armes à feu. On en connaît le résultat! <br /> En France, on est tout de même mieux protégé. il suffit de ne pas aller se promener en forêt ou à la campagne, grosso modo entre septembre et février.
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A
plutôt de septembre à avril!! 7 mois de l'année je rappelle!
R
Merci Toll de ce commentaire et comparaison avisée
B
Une journée sans chasse n'a pa été retenue par le gouvernement.<br /> <br /> La solution retenue, à savoir une application pour smartphone, frise le ridicule !
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R
Tout à fait d'accord Bernard.<br /> <br /> Comment feront les personnes sans internet ou sans réseau?<br /> <br /> Les chasseurs pourront de leur côté, sans vergogne, remplir le calendrier tous les jours avec le mot "chasse "<br /> et ce seront les promeneurs qui deviendront alors lesresponsables des "accidents" de chasse.<br /> "Ils n'avaient qu'à regarder l'application..."<br /> Ridicule mais aussi scandaleuse et méprisante cette manière de faire.