Climat : des Français passent quarante jours dans une forêt tropicale pour la science

Publié le 27 Janvier 2023

Images france info
Images france info
Images france info

Images france info

Publié sur le site du journaldudimanche
transmis par Bernard et Dominique. Mis en forme par Bernard. Merci à vous deux.
 

Ces derniers quarante jours, la rivière Mataroni, au cœur de la forêt équatoriale en Guyane française, a vu passer un bien étrange convoi : 19 hommes et femmes, lestés de gros sacs à dos, évoluant tantôt à bord de canoës gonflables tantôt à pied sur la rive boueuse. Des chercheurs d’or ? Des militaires de la Légion étrangère ? Rien de tout ça. Des M. et Mme Tout-le-Monde, partis de Paris le 5 décembre pour s’enfoncer au cœur de l’enfer vert aux côtés de l’explorateur franco-suisse ­Christian Clot.

Avec Deep Climate, le nom de cette expédition, cet habitué de l’aventure à visée scientifique poursuit son étude de l’adaptation de l’homme aux conditions extrêmes. Que se passe-t-il quand les corps et les âmes sont exposés à de fortes chaleurs, une humidité permanente ou un froid glacial ; le tout avec des alternances rapides ? Lui-même l’a expérimenté en solo en 2016-2017 en vivant quatre périodes de trente jours à - 60 degrés, + 60 degrés, 2 % et 1 000 % d’humidité.
« La deuxième étape, c’est d’étudier la dynamique de groupe en situation de changement », explique Jérémy Roumian, chercheur spécialiste des systèmes organisationnels et directeur des opérations du Human Adaptation Institute, la structure fondée par Clot. Après la Guyane, les « climatonautes » s’envoleront fin février pour la Laponie puis, en mai, pour le désert de Rub al-Khali en Arabie saoudite. Quarante jours à chaque fois. Comme un changement climatique accéléré.

Formés par des militaires

« Dans la littérature scientifique, il y a des données physiologiques sur l’adaptation du corps humain, explique Stéphane Besnard, codirecteur du projet et spécialiste de neurophysiologie au CHU de Caen. Mais ce qui nous intéresse ici, c’est la façon dont le cerveau réagit. Si le corps s’adapte, c’est parce que les ordres viennent d’en haut. Or on n’a pratiquement aucune donnée sur cet aspect. » Une mine d’or hors labo pour les scientifiques : une cinquantaine de protocoles menés sous la canopée ; 40 chercheurs de 18 laboratoires et universités associés pour exploiter les données de physiologie, génétique, microbiologie, psychologie, éthologie ou cognition.​

Première difficulté ? L’humidité ! « Dans la forêt équatoriale, résume Christian Clot, même quand il ne pleut plus, il pleut encore » ; de grosses gouttes d’eau tombant des arbres même après le déluge. La rivière, en crue, a ralenti leur progression, pensée pour les empêcher de trouver des solutions de repli, de contournement ou des abris, physiques et mentaux. Et sur les quarante jours passés dans la jungle, seuls deux ont été ensoleillés, trop peu pour recharger les batteries solaires.

"Chacun est venu ici avec sa quête, personnelle et collective"

Avant le départ, tous ont été formés à différentes techniques par les militaires français du Centre d’entraînement en forêt équatoriale : nager tout habillé dans le courant, repérer les animaux dangereux, faire du feu avec les bonnes plantes, surveiller les chutes d’arbres… Mais quand il s’agit de s’endormir dans son hamac au-dessus des crapauds géants, serpents et autres araignées après une journée de marche avec de l’eau jusqu’aux genoux, c’est une autre histoire.​

« Chacun est venu ici avec sa quête, personnelle et collective », décrit Christian Clot. Âgés de 25 à 52 ans, les participants, tous bénévoles, viennent de milieux très différents : responsable marketing, joaillière, psychomotricienne, ingénieur aéronautique ou agent de sécurité. Parmi eux, quelques-uns ont participé à la dernière expédition du Franco-suisse : quarante jours dans une grotte de l’Ariège en mars 2021 pour étudier les effets de la privation de lumière et de repères spatiotemporels.

Une cartographie sociale des échanges

« On a voulu recréer une sorte de village, explique Jérémy Roumian, avec des gens qui se connaissent bien, d’autres qui arrivent des alentours et d’autres encore qui viennent de plus loin pour étudier la dynamique de groupe qui allait se mettre en place. » Les premières observations sont encourageantes. « Le milieu a rendu la collaboration obligatoire, rapporte Christian Clot. Dans la forêt équatoriale, si on ne se soutient pas, on n’a aucune chance de s’en sortir vivant. Il y a eu des tensions, mais l’entraide n’a jamais été remise en question, y compris chez des personnes qui étaient en antagonisme total sur tout le reste. »​

"Aujourd’hui, on pense encore qu’une législation ou la technologie vont résoudre le problème. Oui, il en faudra, mais ça ne suffira pas"

Et c’est l’une des dimensions qui passionnent l’explorateur. Car, derrière son obsession scientifique pour l’adaptation, demeure une interrogation presque philosophique : face au changement climatique et à la multiplication d’événements extrêmes, qu’est-ce qui poussera l’homme à réagir ? « Aujourd’hui, on pense encore qu’une législation ou la technologie vont résoudre le problème, regrette-­t-il. Oui, il en faudra, mais ça ne suffira pas. Un déclic est nécessaire, et c’est le déclic de la volonté, ce moment où l’on se dit qu’il est nécessaire de changer pour survivre et s’adapter. Si grâce à nos données on arrive à mieux comprendre ce qui provoque ce déclic chez l’homme, alors on aura une partie de la réponse. »​

Pour étudier les phénomènes collectifs, tous les participants ont porté un sociomètre afin de mesurer les interactions des uns avec les autres. Qui a passé du temps avec qui et combien de fois ? Les sous-groupes ont-ils évolué au fil du temps ? Ces boîtiers permettent de tracer une cartographie sociale des échanges. D’autres mesures, à l’aide d’électrodes, ont permis d’étudier l’évolution sensorielle de chacun, et notamment la peur.​

Un dépassement permanent

Sommes-nous tous égaux face au changement ? « Physiologiquement, non, tranche Christian Clot. Par exemple, on a tous eu des problèmes liés à l’humidité, des boutons, des mycoses, sauf une personne. Est-ce que ce n’est que de la physiologie ? Est-ce que c’est lié à la composition de la peau ? Est-ce que c’est une manière mentale de fonctionner ? » En revanche, il en est persuadé, tout le monde est capable de se dépasser. « En voyant certains d’entre eux dans leur vie de tous les jours, je me suis demandé comment ils allaient pouvoir vivre dans un milieu aussi complexe, confie le chef d’expédition. Puis, dans la jungle, je les ai vus se mettre à faire des choses extraordinaires. » Et de citer ce participant qui, incapable de supporter une araignée dans sa chambre dans l’Hexagone, s’est surpris à scruter une énorme mygale à la lampe frontale.

L’aventurier aguerri a également dû s’adapter : à la lenteur de ces explorateurs novices ; à l’inertie de groupe, aussi. À Noël, chacun a pu lire un message de l’un de ses proches. Au réveillon du Nouvel An, les comparses se sont exceptionnellement couchés à… 20 heures, soit minuit dans l’Hexagone. « Peu à peu, ce milieu est devenu moins hostile, raconte Christian Clot. Au début, on entend tous ces bruits d’animaux, c’est juste une immense cacophonie, un orchestre dans lequel tout le monde joue n’importe comment. Puis on finit par reconnaître les heures de la journée en fonction des sons que l’on entend. » L’adaptation, encore. Et un espoir d’ordre dans le chaos

Pas d'images mais des reportages audio édifiants et intéressants (7 minutes) sur cette expédition - l'épisode 2 est plus parlant

Rédigé par ANAB

Publié dans #Changement climatique

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
Expérience inédite et passionnante où on ne se retrouve plus que face à soi même, à ses peurs et ses limites et au lien qui nous maintient ensemble .
Répondre
R
Merci Martine, merci de ce commentaire. Oui, les humains sont capables du pire mais ici ils se dépassent et c'est intéressant d'écouter leur aventure dans ces milieux hostiles.
T
Merci pour cet article. Fascinant.
Répondre
R
Merci Toll et merci à nos sentinelles articles intéressants