Enquête mycologique, hors série, La rouille Phragmidium violaceum

Publié le 28 Janvier 2023

Identifier un champignon n’est pas chose aisée au premier abord et c’est pourtant une démarche essentielle pour éviter toute fâcheuse méprise qui peut devenir fatale si on consomme un champignon toxique ou mortel. L’enquêteur de la brigade d’identification des champignons apprécie tout particulièrement d’arpenter les forêts pour recenser tous les gangs fongiques qui s’y trouvent.

 

Nous sommes le 2 janvier 2023, le long des ripisylves des bords de Sarre, à Zetting. Profitant d’une douceur hivernale inattendue, l’enquêteur en profitait pour faire une promenade.

 

C’est en slalomant entre les ronces que l’œil de l’enquêteur est attiré par de curieuses structures en dessous des feuilles de ronces.

Phragmidium violaceum La rouille - Photos Gilles Weiskircher (Anab)
Phragmidium violaceum La rouille - Photos Gilles Weiskircher (Anab)

Phragmidium violaceum La rouille - Photos Gilles Weiskircher (Anab)

Le dessous de la feuille présenté plusieurs taches noires qui font comme des amas. En frottant, l’amas est pulvérulent. Cette structure en amas est confirmée sous la loupe binoculaire, au grossissement x10.

Sporée de Phragmidium violaceum La rouille - Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Sporée de Phragmidium violaceum La rouille - Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Reste maintenant à comprendre et à identifier cette curiosité. Et l’enquêteur a déjà son idée : il s’agit probablement d’une rouille.

 

La rouille

 

On ne va pas parler ici de la rouille qui résulte de l’oxydation de tout corps ferreux ou de la soupe bien connue des gastronomes. La rouille désigne aussi une maladie des plantes causée par un champignon microscopique. Donc rouille désigne une maladie et cette dernière est la conséquence d’un champignon qui peut appartenir à de nombreux genres.

Ces champignons appartiennent néanmoins à un groupe, celui des Pucciniales.

 

On oublie tout ce qu’on sait sur les champignons « classiques » avec un pied/chapeau, ceux qu’on a l’habitude de voir en automne. Il faut s’imaginer que ces grands champignons, qui peuvent régaler une tablée ou faire le bonheur des croque-morts, ne représentent qu’une infime partie de l’immense règne des champignons.

 

Ici, on touche à un champignon microscopique et parasite des feuilles des plantes. Il ne peut se développer que sur les feuilles d’un végétal vivant. Et la maladie qu’il provoque, elle visible, c’est la rouille. Cette maladie est la hantise de l’homme depuis qu’il s’est lancé dans l’agriculture. Même les Romains sacrifiaient des animaux au Dieu des cultures céréalières Robigus pour éloigner le fléau.

 

 

 

Enfin, on oublie aussi toute la méthodologie d’enquête. Les rouilles, c’est vraiment un monde à part comme on va le voir.

 

Comment se multiplie ce champignon ?

 

Le cycle de multiplication de ces champignons, plus qu’original, est unique dans le règne des champignons et surtout, il est extrêmement complexe. L’enquêteur se rappelle encore, lorsqu’étudiant en mycologie, le cycle a été étudié. Disons-le simplement : un inextricable nœud. Mais on va passer en revue ce qu’il faut retenir :

- certains champignons font tout leur cycle de vie sur la même plante, tandis que d’autres font leur cycle de vie sur des plantes différentes, plantes qui ne sont pas forcément de la même espèce, voire même très éloignées au niveau de l’arbre phylogénétique. Ce dernier cas de figure est astucieux, car il permet au champignon de coloniser des habitats écologiques totalement différents. Il suffit d’avoir la bonne espèce de plante à proximité.

- certains champignons sont spécifiques à une espèce de plante, d’autres sont plus généralistes et ratissent large au niveau d’une même famille de plante.

 

Sans être déjà rentré dans le cycle proprement dit, un premier stade de complexité s’impose, celui d’identifier l’espèce végétale où est présente le champignon. Il faut donc déjà une très solide connaissance botanique pour identifier le ou les acteurs du cycle de vie du champignon.

 

- le cycle de vie de ce champignon présente le plus souvent 5 stades, ce qui n’est quand même pas rien dans un cycle de vie parasitaire. Ces 5 stades sont tous différents et portent un nom dont l’enquêteur vous fera grâce. Chaque stade se caractérise visuellement par une structure formée sur la feuille (la rouille) et chaque structure émet des cellules de propagation (spores au sens large) qui seront différentes pour chaque stade.

Pour imager ceci, pensez à un livre dont l’objectif est d’en faire des copies. Le livre est d’abord envoyé à un centre de reprographie en Allemagne qui va le dupliquer en modifiant son format, permettant ainsi de faire des copies plus rapidement. Toutes ces copies sont ensuite envoyées dans une imprimerie en Espagne. Cette imprimerie va réduire le poids de la couverture et fabriquer ainsi encore plus de copies. Et ainsi de suite, 5 imprimeries bien différentes situées sur des sites différents.

 

- le cycle de vie est annuel : il débute au printemps, se met en pause en hiver, et reprend au printemps. Le brassage génétique (reproduction sexuée) se fait au printemps, puis le reste de l’année est consacré à disperser les spores.

 

En hiver : la télie

 

Revenons à notre étrange structure noire observée sous les feuilles de ronce. La microscopie révèle de surprenantes cellules avec des cloisons (4 à 5), un apex, et un pédicelle.

 

Téliospores, microscopie x400 de Phragmidium violaceum La rouille - Photos Gilles Weiskircher (Anab)
Téliospores, microscopie x400 de Phragmidium violaceum La rouille - Photos Gilles Weiskircher (Anab)

Téliospores, microscopie x400 de Phragmidium violaceum La rouille - Photos Gilles Weiskircher (Anab)

Ces cellules sont des téliospores. Elles sont fabriquées dans une structure appelée la télie. C’est le nom d’un de ces 5 stades et présent en hiver. La télie est, en hiver, une structure de résistance, de dormance. Le champignon, en quelque sorte, hiverne.

 

Le destin des téliospores

 

Chaque cellule cloisonnée est une téliospore. Observez bien le schéma au-dessus : la téliospore renferme deux noyaux haploïdes : un de polarité « positive », un de polarité « négative ». Tout est donc en place pour la fusion de ces noyaux et le brassage génétique. La télie permet donc la reproduction sexuée. Au printemps, les noyaux vont fusionner (la caryogamie) dans chaque téliospore. Cette fusion est indispensable pour brasser ensuite les gènes. Ensuite, la téliospore germe et forme une structure, la basidie (qui est le quatrième stade), qui va émettre des basidiospores et partir à l’assaut d’une nouvelle plante.

Ces cellules sont des téliospores. Elles sont fabriquées dans une structure appelée la télie. C’est le nom d’un de ces 5 stades et présent en hiver. La télie est, en hiver, une structure de résistance, de dormance. Le champignon, en quelque sorte, hiverne.

Transformation d’une télie en basidie (Wikipédia). Cette transformation se réalise au début du printemps.

Ceux qui sont familiers avec le cycle de reproduction des basidiomycètes (les champignons communs ramassés en automne comme les cèpes, russules, etc.) remarqueront une forte ressemblance dans ce cycle. Pour fusionner les noyaux, faire un brassage génétique et produire des spores, nos champignons familiers, amanites, girolles et autres fabriquent aussi une structure, le carpophore, ce que vous prenez en main lors de la cueillette.

 

Pour le plaisir, une vue microscopique d’une téliospore au grossissement x1000. On observe que les téliospores sont verruqueuses.

Téliospores, microscopie x1000 de Phragmidium violaceum La rouille - Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Téliospores, microscopie x1000 de Phragmidium violaceum La rouille - Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Le nombre de cloisons, l’apex réduit, l’hôte, nous permettent d’identifier le champignon comme Phragmidium violaceum (Schultz) G. Winter (1880), une rouille très commune.

C’est un champignon qui fait l’intégralité de son cycle sur le même hôte, les feuilles du genre Rubus, avec une préférence pour R. fruticosa.

D’autres rouilles affectent également les ronces et la distinction ne sera possible qu’en observant le nombre de cloisons des téliospores.

 

Statut selon l’INPN : non déterminé

 

Comestibilité : Non comestible

 

La conclusion de l’enquêteur

 

J’ai hésité un moment avant de présenter cette observation, pour une raison simple. Les rouilles, c’est déjà très complexe, et l’expliquer dans un article court, c’est rajouter une couche supplémentaire de complexité.

On retiendra que les rouilles, c’est un cycle de vie très particulier et complexe. On aura effleuré ici deux stades, les stades d’hiver et de début du printemps.

Ce groupe des rouilles nous montre toute la complexité et la diversité du règne fongique. Même en hiver, le mycologue trouve toujours une occupation.

 

Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)

Rédigé par ANAB

Publié dans #champignons

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T
Merci Gilles pour cet article très instructif.<br /> A quand la publication d'une collection pédagogique de vos superbes articles ?
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N
Comme ma solide connaissance en botanique se fera peut-être dans un siècle..😝<br /> J'ai tout compris Gilles, très bien expliqué. <br /> Mais comme d'habitude...je retiendrai rien. 🤔
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G
Salut Nicole,<br /> Il suffit de retenir un ou deux mots clés et le reste vient tout seul
M
Donc le terme Uredinales, on le met sous le tapis ?
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G
Salut Martine,<br /> C'est effectivement l'ancien nom. Maintenant on parle de pucciniale
M
Non, non, Gilles, l'exposé était très clair pour un sujet si complexe !<br /> Bravo !
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G
Merci Martine
R
Merci Gilles de cet article pédagogique et très bien illustré pour ce sujet complexe
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G
Merci Roland
B
Merci pour cet article en effet complexe, mais la vie n'est-elle pas toujours complexe ?<br /> Belles photos de vue microscopique.
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G
Bonjour Bernard,<br /> Avec les myxomycete, tu es servi également dans la complexité, certes apparentes vu que c'est un organisme géant unicellulaire mais hautement complexe par leurs capacités