Les communes plus nombreuses à éteindre la lumière la nuit
Publié le 10 Février 2023
Paru sur le site l'alsace le 23/1/2023 - transmis par Bernard. Merci Bernard
La crise énergétique actuelle incite à revoir ses fondamentaux, en particulier à prendre conscience de la surabondance de nos éclairages nocturnes. Les initiatives se multiplient pour réduire l’empreinte lumineuse des communes, au bénéfice d’une biodiversité qui apprécie sa part d’ombre.
Pour Cro Magnon, l’absence de lumière avait un impact radical sur sa courte espérance de vie. Nos prédateurs à quatre pattes éradiqués ou refoulés loin de nos portes, la lumière est devenue progressivement un enjeu de confort. Voire de survie : dans Au loin les lumières , film allemand réalisé en 2003, la lumière des villes est ce pôle d’attraction pour les Ukrainiens en transit entre deux mondes et deux vies. La lumière est aussi un mouroir. Une étude allemande estimait récemment à 800 000 le nombre d’insectes tués chaque nuit pour 5 000 réverbères. Soit 160 vies chacun, un chiffre à rapprocher du contexte global de perte de 80 % de biodiversité constatés en Europe pour les invertébrés.
90 % de points lumineux supplémentaires en vingt ans
En France, l’ANPCEN (association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturne) a constaté une augmentation du nombre de points lumineux de 90 % en l’espace de vingt ans. L’éclairage nocturne prive une majorité d’Européens du spectacle de la Voie lactée et obère 41 % du potentiel énergétique des communes. Une part qui interpelle de plus en plus, en raison de la crise énergétique actuelle.
Pour des motivations environnementales et/ou financières, un nombre croissant de municipalités se décident à opter pour une politique d’extinction des réverbères. Ainsi, l’Alsace compte aujourd’hui près d’une trentaine de communes étoilées, d’après le classement établi par l’ANPCEN. Elles sont cependant bien plus nombreuses à avoir opté pour une nuit moins lumineuse. Parmi ces communes, grandes ou petites, figurent Strasbourg , seule ville de plus de 200 000 habitants à avoir signé une charte d’engagement volontaire pour réduire la voilure de son éclairage en 2015, ou encore Bosselshausen dans le Pays de Hanau, village de 180 habitants, mais le seul à avoir atteint quatre étoiles, soit le meilleur représentant de la lutte contre le trop-plein de lumières.
Des tests pour réformer l’éclairage existant
Bosselshausen a décidé d’allumer les étoiles et d’éteindre ses réverbères en 2012. « On ne voyait pas en quoi le fait d’éclairer toute la nuit pouvait satisfaire un besoin », résume sa maire, Laurence Jost-Lienhard. Élue en 2010, elle tenait à réformer un éclairage public trop hétéroclite et d’un âge canonique… « Notre communauté de communes nous avait offert la possibilité de renouveler notre parc. Plutôt que d’en mettre partout, nous avons travaillé sur la puissance, la catégorie, nous avons multiplié les tests d’éclairement pour rendre notre installation plus efficace et ajouté des points lumineux là où c’était pertinent. Enfin nous avons expérimenté la durée et adopté une extinction totale de 22 h 45 à 6 h du matin. » Depuis une dizaine d’années, cette décision permet à la commune d’économiser 1 000 € annuels pour sa vingtaine de lampadaires, de quoi financer le prix exponentiel du chauffage des bâtiments communaux.
Pas d’impact constaté sur la délinquance
La commune pionnière en Alsace dans la lutte contre la pollution lumineuse, c’est Villé, qui a éteint ses lampadaires entre minuit et 4 h 30 dès 2010. « Cela nous assure une économie de 5 000 à 6 000 € par an pour un budget éclairage de 33 000 €. Avant d’en venir à l’extinction, nous avons supprimé toute source de lumière orientée vers le ciel. La moitié des communes de la vallée nous a ensuite suivis dans ce choix. Il aurait été ridicule de continuer à éclairer autant… Aujourd’hui, le principe est entré dans les mœurs au point que les entreprises elles-mêmes ont coupé leur éclairage sans y être obligées », assure le maire de Villé, Lionel Pfann. Quant à Strasbourg, la ville plonge petit à petit ses quartiers dans le noir. « Nous sommes passés d’une consommation de 18 gigawatts pour notre éclairage en 2010 à 11 gigawatts en 2021 et de 1,5 à 1,7 million d’euros de budget », compte l’adjoint au maire, Pierre Ozenne.
Il a pourtant fallu franchir une barrière, celle de la peur du noir. « Lorsqu’en 2012, nous avons mis en place une extinction totale, d’abord de 1 à 5 h puis de 23 h à 5 h, les gendarmes ont rassuré les habitants en rappelant que les cambriolages ont principalement lieu en journée, se rappelle Christian Durr, le maire de Holtzwihr (devenue Porte du Ried depuis sa fusion avec Riedwihr). En l’espace de dix ans, cela n’a eu aucun impact sur la délinquance. » Nulle part, d’ailleurs, confirme l’ANPCEN. « Encore mieux, assure Jean Enderlin, adjoint au maire de Lautenbach, les conducteurs réduisent leur vitesse, lorsqu’il fait noir » Idem pour les villes : à Strasbourg, la municipalité n’a constaté, en onze ans, aucun impact des extinctions de lampadaires sur la délinquance.
Si le noir rebute tout de même, y compris ces riverains qui regrettaient la suppression de luminaires leur permettant de se rendre aux toilettes la nuit, sans appuyer sur l’interrupteur, la mise en place des nouvelles générations d’ampoules leds rend possible la modulation de la puissance de l’éclairage, à défaut d’une extinction. À Schiltigheim , la commune a décidé de réduire leur puissance à 20 % de leur capacité, dans les lampadaires des nouveaux quartiers. Ce qui reste largement suffisant, selon l’adjoint Jean-Marie Vogt. Et sera toujours moins absurde, aujourd’hui, que de priver toute une ville de ses étoiles.
Pleins feux sur la sobriété
Face à ce qu’elle dénonce comme un suréclairage de la France, l’ANPCEN (association nationale pour la protection du ciel et l’environnement nocturne) suggère d’évoluer vers la sobriété en s’appuyant sur une boîte à outils diversifiée :
■ Vérifier que les éclairages correspondent à des besoins réels, vérifier les usages des sources existantes, privilégier des mesures simples. L’enjeu principal n’est pas le matériel mais l’usage. De même, ne pas rénover avant de revoir les finalités.
■ Privilégier une approche globale de performance, mais ne pas rechercher la seule performance énergétique, ce qui peut avoir pour corollaire une augmentation de la lumière émise.
■ Il existe une obligation réglementaire concernant l’éclairage nocturne. La France est d’ailleurs l’un des pays les plus avancés d’Europe, sur ce sujet.
■ Faire des efforts d’évaluation : la réduction de la durée d’éclairement est la décision la plus simple et la moins coûteuse à prendre.
■ Ne pas limiter l’approche technique à la promotion des leds, ce type d’éclairage ayant également des aspects négatifs (température de couleur notamment). Enfin l’écologie ne se résume pas à la conversion des matériels.