Pourquoi le label "haute valeur environnementale" sème la discorde chez les paysans

Publié le 27 Mars 2023

Pourquoi le label "haute valeur environnementale" sème la discorde chez les paysans

Paru sur Franceinfo le 1ermars 2023  article suggéré par Francis. merci Francis.

 

Accusée de "greenwashing" par ses détracteurs, outil de transition pragmatique pour ses promoteurs, cette certification s'est développée à toute allure en quelques années.

Un nom qui inspire confiance, un logo champêtre... Peut-être avez-vous remarqué chez vos commerçants ce label "haute valeur environnementale" ? Créée en 2012, cette certification connaît une croissance fulgurante, au regret des associations de protection de l'environnement et des agriculteurs qui font du bio. Selon eux, les prétentions environnementales affichées par l'acronyme HVE ne sont que du "greenwashing". En janvier, plusieurs associations ont demandé au Conseil d'Etat de l'interdire. A l'occasion du Salon de l'agriculture, à Paris, franceinfo s'est penché sur ce label qui récolte de nombreuses critiques.

Un certificat popularisé par les vignerons

Les vignerons ont été les premiers à s'intéresser au label HVE. En 2017, ils composent l'essentiel des quelque 800 exploitations certifiées en France et voient dans ce label une opportunité d'attester d'une démarche vertueuse, sans les contraintes strictes de l'agriculture biologique en matière d'utilisation de pesticides et autres engrais issus de la chimie de synthèse (et par "stricte" le label AB entend "interdiction de les utiliser").

Ancien président des Vignerons indépendants et désormais à la tête de l'Association nationale pour le développement de la certification HVE, Jean-Jacques Jarjanette se souvient d'avoir lui-même demandé à Stéphane Le Foll, alors ministre de l'Agriculture, d'obtenir un logo, en plus du label. Ce n'est cependant pas un hasard si le monde du vin veut rendre visible cette certification alors très confidentielle.

Un logo vigneron indépendant et un logo Haute valeur environnementale devant une exploitation, le 20 octobre 2020. (MATTHIEU TUREL / MAXPPP)

 

Jusqu'au 1er janvier 2023, deux routes menaient en effet à la certification. La voie A, qui existe toujours, repose sur un système de points adossé à une liste de critères. La voie B, depuis peu disparue, l'accordait aux agriculteurs dont les achats d'intrants (pesticides, engrais, etc.) représentaient moins de 30% du chiffre d'affaires. Un cadeau pour les vignerons, chez qui "le ratio intrants/chiffre d'affaires est en moyenne de 14%", contre 41% toutes cultures confondues, selon l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), qui estime dans un rapport de 2021 (PDF) que "cette certification ne peut prétendre accompagner une réelle démarche de transition agroécologique".

En juin 2018, les exploitations viticoles représentaient 93% des certifiées HVE. En 2022, le succès fulgurant du label a fait baisser ce taux à 70%. Les Etats généraux de l'alimentation, fin 2017, y sont pour beaucoup. Ils font de ce label de niche un outil-clé de la politique agricole nationale, en portant l'idée d'introduire "50% de HVE dans la restauration collective, dont 20% de bio". Un objectif acté l'année suivante par la loi Egalim.

Enfin, dans le cadre du plan France Relance, le gouvernement acte un crédit d'impôt sur les sociétés de 2 500 euros aux exploitations certifiées. Le coup de pouce – valable une fois et budgété à hauteur de 76 millions d'euros – multiplie le nombre d'exploitations labelisées : de 5 399 au 1er janvier 2020, à près de 30 000 en juillet 2022. 

Des critères de certification très décriés 

Confiante en la qualité du label, la France décide de rendre les exploitations certifiées éligibles aux subventions environnementales de la future Politique agricole commune (PAC) 2023-2027. Mais Bruxelles va confirmer les critiques, de plus en plus nombreuses, à l'égard de la HCE : il n'est pas à la hauteur des ambitions, notamment en matière de lutte pour la préservation de la biodiversité. Paris revoit à la hâte en 2022 ses critères de certification. "Il a fallu supprimer des choses 'aberrantes' et même dans sa nouvelle mouture, le label ne correspond pas au niveau d'exigence de l'UE en prévision du 'Green new deal'", explique Aurélie Catallo, spécialiste de l'agriculture à l'Iddri. Bruxelles a eu raison de la "voie B" et mis en lumière l'insuffisance d'un dispositif décrié par les ONG de défense de l'environnement et les agriculteurs bio.

"L'essentiel des engrais et pesticides classés cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), qui sont les plus toxiques pour la santé humaine, restent autorisés", abonde Nadine Lauverjat, déléguée générale de l'ONG Générations futures. "On connaît les ravages qu'ils font sur les pollinisateurs, la biodiversité, l'eau, l'air et les sols, leurs effets sur la santé sont avérés, mais on peut se revendiquer d'une 'haute valeur environnementale' et les utiliser sans problème", regrette-t-elle. 

Avec quatre volets nécessitant chacun de récolter au moins 10 points, passer la certification, "c'est un peu comme avoir le bac", résume un agronome et ancien conseiller d'une chambre d'agriculture sous couvert d'anonymat. "Si vous êtes très nul en allemand deuxième langue, mais que vous avez une super note en gym, ça passe. Avec cette pondération, ce qui compte, c'est d'avoir la moyenne", déplore-t-il, pointant l'absence de seuils et des critères parfois vagues et trop nombreux.

Un exemple ? La catégorie "irrigation". "Cela ne concerne que 10% des surfaces agricoles en France. Pour les 90% qui ne sont pas concernés, ça fait déjà un quart de la certification dans la poche", s'agace Jean-Bernard Lozier, céréalier. Représentant la Confédération paysanne à la Commission nationale de certification environnementale (CNCE), ce dernier a "proposé qu'on renomme cette catégorie 'gestion de l'eau', pour que tout le monde soit évalué sur ce critère, dont on voit aujourd'hui combien il est important, mais ça n'a pas été retenu".

S'il reconnait "quelques indicateurs pertinents" pour les grandes cultures – "Beaucoup d'agriculteurs partent de très loin" –, Jean-Bernard Lozier déplore une évaluation centrée sur les moyens et non les résultats : "Si je fais du désherbage mécanique, j'obtiens des points, mais rien ne prouve que je ne vais pas faire de désherbage chimique derrière", illustre-t-il.

"Ce niveau d'exigence pouvait passer à la limite en 1995 ou en 2000. Mais en 2023, c'est très insuffisant. Il faut relever la barre. De beaucoup. Et vite."

Jean-Bernard Lozier, porte-parole de la Confédération paysanne dans l'Eure

à franceinfo

Un ancien consultant en maraîchage, lui aussi anonyme, fustige la généralisation d'une certification dont les critères "n'ont aucun sens pour l'agriculture maraîchère". "Les références qui existent pour l'usage des pesticides en grande culture ne peuvent pas s'appliquer, donc on demande aux maraîchers d'appliquer des normes qui ne correspondent à rien", s'agace-t-il. "Quand on connait les particularités du métier, on sait que c'est difficilement atteignable sans gruger un peu." 

Face à ces critiques, Jean-Jacques Jarjanette assure que la démarche est "évidemment" amenée à évoluer "à condition surtout de ne pas aller trop loin en termes d'exigence !" Le défenseur de la HVE reconnaît que "c'est paradoxal". "Elle doit être accessible au plus grand nombre, car ce qui se trouve dans les caddies des Français, ce n'est pas les produits bio, le segment premium qui coûte 30% plus cher", argumente-t-il. "La moitié de ce qui se retrouve dans nos assiettes est importé, notamment de pays aux règles bien moins exigeantes que celles qui s'appliquent à l'agriculture conventionnelle française", fait-il valoir. "Pour lutter contre ça, il faut une norme adoptée par le plus grand nombre." Quitte à rogner sur les ambitions environnementales.

Un outil marketing plus que de transition

Pour notre ancien consultant, la HVE est "un référentiel bidon mis en place pour répondre en urgence à un marché", sur fond de crise du bio et d'énormes retards. Il y a 16 ans, lors du Grenelle de l'environnement, la France se donnait un objectif de 20% de surface agricole bio à l'horizon 2020. En 2021, ce taux dépassait tout juste les 10%. Dans ce contexte, la restauration collective a toutes les peines du monde à atteindre les objectifs de la loi Egalim, tandis que les consommateurs, aujourd'hui sensibilisés à ces questions, souffrent de ne pouvoir concilier alimentation saine et baisse du pouvoir d'achat.

"Les centrales d'achats ont considéré que le label bio ne peut pas se développer assez vite en volume pour devenir accessible à tous. Et puisque l'agriculture conventionnelle ne bénéficie pas d'une bonne image, ils ont sorti ce label du chapeau", analyse-t-il, dénonçant "des certifications au forceps" à des fins marketing. "On dit aux maraîchers : 'Si vous voulez vendre chez moi, il faut passer en HVE'." Une pression de la grande distribution qui "pousse des agriculteurs aux abois à se faire certifier". "Je ne leur jette pas la pierre, insiste-t-il. Malheureusement, ils n'ont pas le choix !"

"C'est devenu une condition pour des coopératives qui veulent se revendiquer plus écolo pour accéder à certains marchés", abonde la chercheuse Aurélie Catallo. Et ce sans apporter aux agriculteurs les retombées espérés. Les agriculteurs favorables au label, au premier rang desquels le syndicat majoritaire, la FNSEA, "veulent que le dispositif soit soutenu car il ne se traduit pas encore par une reconnaissance sur le marché".

"Que ce soit le gouvernement ou la profession, il y a cet espoir que le marché récompense les agriculteurs qui agissent pour l'environnement."

Aurélie Catallo, spécialiste de l'agriculture à l'Iddri

à franceinfo

Selon un rapport de la Cour des comptes publié en juin (PDF), cette étiquette "environnementale" apposée sur des produits moins chers que leur voisin "AB" plombe encore davantage un secteur du bio en pleine crise. "Des études ont montré qu'une bonne partie des consommateurs accordait autant de crédit au HVE qu'au label AB", s'agaçait récemment Philippe Camburet, président de la Fédération nationale de l'agriculture biologique, sur Reporterre.net. "Une confusion s'installe et les répercussions sont déjà là pour les agriculteurs bio, avec des demandes en berne."

Jean-Jacques Jarjanette martèle pour sa part que la démarche est "complémentaire" du bio. Elle encourage selon lui "des pratiques vertueuses, qui permettent d'avancer dans une démarche environnementale, de mettre en mouvement des exploitations qui n'auraient autrement jamais envisager de faire ces premiers pas", résume-t-il. "Rien n'empêche un agriculteur en HVE d'aller plus loin, y compris jusqu'au bio", plaide-t-il. Mais sur le terrain, des enquêtes montrent que la certification n'est pas l'outil de transition espéré. "Il ressort de l'ensemble des analyses que l'effet propre de la certification HVE sur les changements de pratiques des exploitations certifiées est globalement limité", écrit l'Office français de la biodiversité dans un rapport très critique (PDF).

"Si les exploitants certifiés ont pu faire évoluer leurs pratiques, la plupart auraient effectué ces changements indépendamment de la certification HVE", poursuit-il. "Dans la majorité des cas, se faire labelliser ne suppose pas de changement de pratique. C'est comme mettre un autocollant sur état de fait", explique Aurélie Catallo, qui souligne le décalage entre les mots choisis "haute valeur environnementale" et les ambitions du label. "'C'est un tout petit peu mieux' ou 'On a fait quelques efforts', ce serait plus approprié. Mais moins vendeur, c'est certain." 

Rédigé par ANAB

Publié dans #Produits bio

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T
Ce Greenwashing qui rime si bien avec Brainwashing. Les Dupes sont, tour à tour consommateurs ou électeurs. Toujours le même refrain: le fric parle le plus fort.<br /> Pour ce qui est des "scientifiques sérieux ……personnages obscurs" évoqués par Jpl: y a-t-il moyen plus sûr de faire publier ses recherches scientifiques dans l'agro-alimentaire que d'être à la solde de ce très puissant secteur?
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A
Oui Toll, l'argent a un pouvoir considérable si on constate la manière dont il corrompt les personnes et oriente les consciences.<br /> <br /> Roland
B
Tout est dit clairement dans cet excellent article !<br /> HVE c'est du greenwashing avec la complicité de notre gouvernement !
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A
Merci Bernard.<br /> <br /> Oui on distingue en ce moment difficilement la frontière entre gouvernement et lobbies de tout poil. Le gouvernement et la majorité à l'Assemblée Nationale reprennent pour les faire appliquer ou voter, régulièrement, à peine modifiés, les textes préparés par les industriels et banquiers.<br /> Roland
J
Bien d’accord avec Guy, cela sent très fortement l’enfumage « politico-pseudo environnementaliste »<br /> Se pose la question de l’intérêt d’avoir au manettes des gens surtout prompts à détourner dans le mauvais sens des constats environnementaux malheureusement très négatifs mais fortement étayés par des scientifiques sérieux. Ces personnages obscurs qui contribuent à accélérer la détérioration de la planète mais également de la santé sont à mettre au placard tout comme les pesticides qu’ils défendent coûte que coûte, et le pire est probablement qu’ils sont très fiers de leurs actions délétères. <br /> Il y a heureusement des gens pour les dénoncer mais sont ils suffisamment relayés ?
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A
Merci JPL;<br /> <br /> Label d'autant plus trompeur que les étiquettes sont vertes comme pour le bio pour mieux abuser les consommateurs.<br /> Il faut dénoncer et ne pas acheter ces produits "HVE" ce qui reste la meilleure réponse.<br /> <br /> Roland
G
Pour faire court, ce label HVE, contraire à la réglementation européenne, a été crée pour détourner les subventions européennes destinées au bio !!! (30% en général) Un viticulteur, par exemple, n'a aucune restriction pour l'usage de tout pesticide ou herbicide...ça s'appelle une fois de plus de 'l'enfumage" du consommateur
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A
Tout à fait Guy; Qui était aux manettes: la FNSEA, le puissant lobby agricole très copain avec les politiques<br /> <br /> Roland