Damien Carême : l’élu écolo qui porte plainte contre l’État

Publié le 22 Mai 2023

Damien Carême a saisi la Cour européenne des droits de l'Homme : c'est la première fois qu'elle l'était pour des raisons climatiques. -

Damien Carême a saisi la Cour européenne des droits de l'Homme : c'est la première fois qu'elle l'était pour des raisons climatiques. -

Paru sur Reporterre le 10/5/2023


Ancien maire de Grande-Synthe, dans le Nord, et désormais député européen, Damien Carême est le premier Français à avoir porté plainte contre le gouvernement pour inaction climatique.

Grande-Synthe (Nord), reportage

« Si je ne souris pas, personne ne va me reconnaître ! » Pendant sa séance photo, Damien Carême peine à garder son sérieux. L’œil malicieux et le rire communicatif, l’eurodéputé écologiste semble ne jamais se départir de sa bonne humeur. Même lorsqu’il évoque les risques d’inondations de Grande-Synthe (Nord) – la ville où il a grandi, et dont il a été le maire pendant dix-huit ans – l’homme de 62 ans ne résiste pas à l’envie de faire de l’humour. Le danger est pourtant bien réel : avec la montée des eaux, cette commune du littoral pourrait être submergée dans les années à venir. C’est d’ailleurs pour cette raison que Damien Carême a porté plainte contre l’État, lui reprochant son manque d’action face au changement climatique.

Tout a commencé en novembre 2018. Damien Carême, alors maire de Grande-Synthe, a déposé un recours gracieux auprès du gouvernement. Il lui demandait d’agir davantage pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) du pays. « J’étais maire depuis 2001, on avait mis en place plein de choses sur l’écologie avec la population. Et pendant ce temps, celui qui ne foutait rien dans cette affaire, c’était l’État », raconte-t-il aujourd’hui.

 « C’est ma vie, celle de mes enfants, de mes petits-enfants qui est menacée. »

« C’est ma vie, celle de mes enfants, de mes petits-enfants qui est menacée. »

Face à l’absence de réponse du gouvernement, Damien Carême a saisi le Conseil d’État en janvier 2019. Au nom de la commune de Grande-Synthe, en première ligne face aux effets du changement climatique. Mais aussi en son nom propre. « C’est ma vie, celle de mes enfants, de mes petits-enfants qui est menacée », affirme-t-il. Damien Carême est ainsi devenu le premier Français à porter plainte contre le gouvernement pour inaction climatique.

Le Conseil d’État a donné raison au maire

Depuis, le Conseil d’État a rejeté ce recours à titre individuel. Mais il a maintenu celui au nom de la commune. Après deux audiences, la plus haute juridiction administrative française a donné raison à la mairie de Grande-Synthe. « Les mesures actuelles [ne sont] pas suffisantes pour atteindre les objectifs de réduction de 40 % des émissions de GES d’ici à 2030 », a conclu le Conseil d’État en juillet 2021. Il a alors donné neuf mois au gouvernement pour prendre « toutes mesures utiles » permettant d’atteindre cet objectif. Le 12 avril, une nouvelle audience a eu lieu pour savoir si oui ou non, l’État avait rempli sa mission. Le jugement est attendu le 10 mai. « Depuis le 1er juillet 2021, il ne s’est pas passé grand-chose », estime Me Corinne Lepage, l’avocate de Damien Carême et de la commune. Elle a donc demandé au Conseil d’État de prononcer contre le gouvernement une injonction (une obligation à agir) et une astreinte financière (une somme à verser tous les six mois tant que l’objectif n’est pas atteint).

Damien Carême n’étant plus maire de Grande-Synthe, il n’est plus réellement concerné par ce dossier. Mais il ne lâche pas l’affaire pour autant. Fin mars, il a essayé d’actionner un nouveau levier : la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Durant plusieurs heures, il a expliqué devant la Cour pourquoi, selon lui, l’inaction de l’État était une violation du « droit à la vie » et du « droit au respect de la vie privée et familiale », normalement garantis par les articles 2 et 8 de la convention européenne des droits de l’Homme. Il a mis en avant les risques pour sa ville de cœur, Grande-Synthe, mais aussi ses soucis personnels, comme son asthme, qui ne peut qu’empirer dans un monde qui se réchauffe. C’était la première fois que la CEDH était saisie sur des questions climatiques. Sa décision est attendue dans les prochains mois.

« Face aux urgences que rencontraient les habitants, ma réponse en tant que maire a été écologique uniquement parce que c’est la seule qui m’ait paru pouvoir répondre à leurs difficultés. » © Jeanne Fourneau / Reporterre

En attendant ces échéances, quand on lui demande ce que l’État devrait faire en priorité, Damien Carême est catégorique : « Il n’y a pas UN seul truc. Il faut y aller sur tous les fronts ». Il déroule ses exemples : supprimer les lignes intérieures d’avions, stopper les nouveaux projets autoroutiers, multiplier les lignes de train, développer le plan vélo, taxer les industries les plus polluantes, modifier la politique agricole, mettre en place un grand plan de rénovation thermique des bâtiments…

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Lorsqu’il était maire de Grande-Synthe, il s’est fait remarquer pour avoir enchaîné les mesures écolos. Des cantines scolaires 100 % bio aux jardins partagés en passant par le développement des transports en commun et la mise en place d’un revenu minimum social garanti, Damien Carême a transformé l’ancien village maraîcher en un laboratoire de transformation sociale. « Ce que je retiens, c’est d’abord l’originalité de Damien, témoigne Olivier Caremelle, son ancien directeur de cabinet de 2012 à 2019. Il a vu avant tous les autres l’importance des questions de transition, et il a pu associer les habitants à ces projets. »

Pourtant, jusque-là, Damien Carême n’avait pas été particulièrement sensibilisé à l’écologie. Né en 1960 en Meurthe-et-Moselle, il a débarqué à Grande-Synthe à l’âge de 8 ans, quand son père, ancien permanent syndical, est devenu électricien à Usinor Dunkerque. Sa mère, elle, se consacrait aux six enfants de la fratrie. Si son père, René Carême – qui a également été édile de Grande-Synthe de 1971 à 1992 – lui a transmis le goût des arbres, son éducation à l’écologie s’est arrêtée là. « Face aux urgences que rencontraient les habitants, ma réponse en tant que maire a été écologique uniquement parce que c’est la seule qui m’ait paru pouvoir répondre à leurs difficultés », explique Damien Carême. Des jardins partagés ? Une bonne façon de subvenir aux besoins alimentaires de la population, tout en recréant du lien social. Des transports en commun ? Une manière de sortir de la dépendance à la voiture, trop onéreuse, et l’occasion là encore d’apprendre à « refaire société ».

Damien Carême est donc arrivé à l’écologie pas à pas, en tâtonnant. « Je n’avais jamais rêvé d’être maire », assure-t-il. Plus jeune, en observant son père, il ne voyait que les mauvais côtés de la fonction : « se faire engueuler par tout le monde », y passer ses soirées, ses nuits… Mais après quelques années passées à multiplier les emplois – animateur socioculturel, rédacteur en chef d’une télé locale, puis informaticien – il a accepté cette nouvelle responsabilité. Il a pris sa carte au Parti socialiste en 2002, avant de la troquer en 2014 contre celle d’Europe Écologie – Les Verts.

Engagement pour les personnes exilées

C’est en 2016 qu’il s’est fait connaître du grand public, lorsqu’il a aménagé contre l’avis du gouvernement de l’époque (Bernard Cazeneuve était ministre de l’Intérieur, et François Hollande président de la République) le camp de la Linière, à Grande-Synthe. Il s’agissait du premier camp humanitaire de réfugiés en France. Aujourd’hui encore, Damien Carême reste très engagé sur la question de l’accueil des migrants. Il la lie d’ailleurs aux enjeux écologiques, l’Organisation internationale pour les migrations prédisant environ 200 millions de déplacés climatiques en 2050.

Quelques jours avant notre entretien, l’eurodéputé s’est par exemple rendu à Mayotte, où il a voulu vérifier les conditions de rétention des personnes en situation irrégulière. Il n’hésite pas non plus à dézinguer la politique menée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin — « violente, inhumaine et indigne », a-t-il dénoncé dans une tribune — ni celle de son successeur à la mairie de Grande-Synthe, qui était pourtant son premier adjoint. « C’est d’une nullité crasse », lâche-t-il. Une politique également critiquée par les associations de Grande-Synthe.

En 2016, il a ouvert le premier camp humanitaire de réfugiés en France : le camp de la Linière. © Steven Wassenaar / Hans Lucas via AFP

« Je m’en veux un peu, mais je ne pouvais pas rester maire indéfiniment. Je n’ai pas de regrets », confie Damien Carême. Pour lui, son mandat de député européen est « complémentaire » de son travail réalisé dans le Nord. Sa semaine type ? Du lundi au jeudi, des rendez-vous à Bruxelles pour préparer des votes, des auditions et des rapports ; et du travail de terrain pendant le week-end. Une cadence effrénée, il le reconnaît. « Mais je me nourris, j’avance comme ça », dit-il.

S’il ne se définit pas comme éco-anxieux, il se demande toutefois comment nous vivrons dans quelques années. Il envisage même de construire une pièce au sous-sol de la maison de ses beaux-parents, en Normandie, pour se protéger des futures températures extrêmes. En attendant, il poursuit son rythme à 100 à l’heure. En espérant que, bientôt, la justice poussera les politiques à jouer enfin leur rôle.

Rédigé par ANAB

Publié dans #Changement climatique, #Actu-conf-films-expo

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T
Même avec toutes les ressources à sa disposition, c'est un vrai combat de David contre Goliath.<br /> Un sacrifice aussi, au service des autres.
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A
Merci Toll,<br /> <br /> Bravo à toutes ces personnes qui s'engagent pour la Nature qui n'a personne pour se défendre
J
Bravo à lui pour ces actions on ne peu plus nécessaires pendant que le ministère de l’écologie nous explique qu’il va falloir s’adapter à des hausses de température plus importantes que prévu mais contre lesquelles on ne fait rien de concret … il faut bien continuer de faire de l’argent, beaucoup d’argent pour par exemple faire voler ces jets privés et autres aberrations de richissimes exploiteurs.<br /> Cette inaction résultante d’un monde politique manipulateur est une forme de criminalité contre tous.
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A
Merci Jpl.<br /> <br /> Heureusement les citoyens réagissent et se prennent en main, pas grand chose à attendre des politiques<br /> Roland