Elles colorent les tissus grâce à la magie des plantes

Publié le 2 Juin 2023

L’association Les Tinctoriales, à Lille, promeut les teintures végétales. Dans leur local, elles touillent, font macérer, trempent...

L’association Les Tinctoriales, à Lille, promeut les teintures végétales. Dans leur local, elles touillent, font macérer, trempent...

paru sur Reporterre le 10/5/2023


Une association lilloise promeut la couleur végétale auprès des professionnels du textile et des curieux. Et sensibilise, ainsi, à la dangerosité de la teinture chimique pour l’environnement.

Lille (Nord), reportage

Deux préparations mijotent doucement dans des marmites. De la fumée s’échappe et de la buée s’est, depuis, installée sur les vitres de ce local situé à Fives, quartier post-industriel du sud de Lille. À l’occasion d’un atelier improvisé pour Reporterre, Radostina Ivanova et Charlotte Filbien, deux des quatre cofondateurs de l’association Les Tinctoriales, touillent tour à tour des décoctions pour le moins originales : peaux d’avocats pour la première ; feuilles de sophora (arbre japonais) pour la seconde. Les végétaux, en macérant plusieurs heures d’affilée, relâchent des pigments de couleurs. « Ça fonctionne exactement comme le thé », compare Charlotte Filbien. L’eau devient alors rose-violet pour l’avocat, et jaune pour le sophora. La teinture végétale est presque prête.

Radostina, une des fondatrices de l’association Les Tinctoriales, sent les pastels, au jardin de Cocagne.

Radostina, une des fondatrices de l’association Les Tinctoriales, sent les pastels, au jardin de Cocagne.

C’est juste un émerveillement permanent », sourit Radostina Ivanova, 40 ans, urbaniste en reconversion. Imaginée par la maraîchère en formation et trois de ses amis pendant la période Covid, l’association promeut la couleur végétale auprès des professionnels du textile, des artistes et des simples curieux, depuis deux ans. La démarche attire, et le groupe — tous bénévoles — peut aujourd’hui compter sur une quarantaine d’adhérentes [1] pour suivre des ateliers d’impressions végétales sur textile ou de teinture végétale. L’aventure colorée a pris un nouveau tournant le 1er avril, lorsque Les Tinctoriales ont obtenu la gestion transitoire d’un terrain en friche de 4 000 mètres carrés. Pendant un an, persicaires, cosmos, camomilles des teinturiers, carthames, etc., y seront cultivés en permaculture. « On plante tout ce qu’on ne peut pas trouver en cueillette sauvage », précise, ravie, la Lilloise.

Le but de tout cela, répète Radostina Ivanova, c’est de sensibiliser aux qualités des plantes tinctoriales, et parallèlement de repenser le lien à une nature parfois cachée derrière des poubelles ou le long des chaussées. « Depuis que je viens à l’association, je suis devenue dangereuse en voiture à force de regarder le bord de la route ! rit Raphaëlle, cadre dans la fonction publique et passionnée d’arts plastiques. Je trouve ça fabuleux de ramasser une plante près de chez soi et de se demander comment en faire quelque chose d’étonnant, voire d’épatant. »

Voilà toute la magie des plantes tinctoriales. Pour beaucoup, cette flore qui pousse autant en milieu urbain qu’à la campagne, passerait à tort pour de mauvaises herbes. Et pourtant celles-ci, discrètes et méconnues, cachent dans leurs feuilles, leurs fleurs et leurs racines la capacité de créer de la couleur. Si à peu près n’importe quelle plante est capable d’en produire, seule une poignée ont un composant naturel assez puissant pour résister au lavage et à la lumière une fois intégré à du tissu. C’est le cas du rouge de la garance, du bleu du pastel des teinturiers ou encore du jaune du réséda… Certains résidus alimentaires, à l’instar des pelures d’oignon (orange) ou des écorces de grenade (marron/noir), sont aussi chargés en colorant.

Elles colorent les tissus grâce à la magie des plantes

« C’est juste un émerveillement permanent », sourit Radostina Ivanova, 40 ans, urbaniste en reconversion. Imaginée par la maraîchère en formation et trois de ses amis pendant la période Covid, l’association promeut la couleur végétale auprès des professionnels du textile, des artistes et des simples curieux, depuis deux ans. La démarche attire, et le groupe — tous bénévoles — peut aujourd’hui compter sur une quarantaine d’adhérentes [1] pour suivre des ateliers d’impressions végétales sur textile ou de teinture végétale. L’aventure colorée a pris un nouveau tournant le 1er avril, lorsque Les Tinctoriales ont obtenu la gestion transitoire d’un terrain en friche de 4 000 mètres carrés. Pendant un an, persicaires, cosmos, camomilles des teinturiers, carthames, etc., y seront cultivés en permaculture. « On plante tout ce qu’on ne peut pas trouver en cueillette sauvage », précise, ravie, la Lilloise.

Le but de tout cela, répète Radostina Ivanova, c’est de sensibiliser aux qualités des plantes tinctoriales, et parallèlement de repenser le lien à une nature parfois cachée derrière des poubelles ou le long des chaussées. « Depuis que je viens à l’association, je suis devenue dangereuse en voiture à force de regarder le bord de la route ! rit Raphaëlle, cadre dans la fonction publique et passionnée d’arts plastiques. Je trouve ça fabuleux de ramasser une plante près de chez soi et de se demander comment en faire quelque chose d’étonnant, voire d’épatant. »

Geoffroy, membre de l’association Les Tinctoriales, prépare une impression avec une toile et un pochoir.

Geoffroy, membre de l’association Les Tinctoriales, prépare une impression avec une toile et un pochoir.

« Les colorants de synthèse sont très polluants »

Il s’agit aussi de retrouver des connaissances d’antan. Car avant « l’émergence de la chimie et des colorants au XIXe siècle, la teinture des vêtements, textiles, cuirs et vanneries se faisait uniquement grâce à des ressources naturelles », écrivait en 2016 Marie Marquet, chercheuse en teinture végétale dans la revue Jardins de France. Aujourd’hui, « les colorants de synthèse, omniprésents dans les objets qui nous entourent, sont très polluants. L’industrie textile est particulièrement dépendante de la pétrochimie », résume Radostina Ivanova. De fait, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, 20 % de la pollution des eaux dans le monde et 15 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre seraient dues à l’industrie textile. Cependant, « l’idée ici n’est pas de chercher à remplacer la teinture chimique par le végétal mais de repenser notre consommation en textile », poursuit l’amoureuse de la nature.

Charlotte, une des fondatrices de l’association Les Tinctoriales, prépare une teinture végétale, au local de l’association à Fives.

Charlotte, une des fondatrices de l’association Les Tinctoriales, prépare une teinture végétale, au local de l’association à Fives.

Pour Marie Marquet, il ne serait « pas souhaitable » de repasser aux composants naturels alors que les terres maraîchères se font de plus en plus rares. Ainsi, le timide renouveau des plantes tinctoriales de ces dix dernières années « amène à se questionner sur les volumes très importants de plantes nécessaires pour alimenter ces pratiques : la mise en culture des tinctoriales sur de très vastes surfaces agricoles ne peut entrer en compétition avec la culture des plantes alimentaires, indispensables », écrivait-elle dans son article. Une vraie question quand on sait qu’il faut le poids du tee-shirt en matière végétale (100 grammes environ) pour le colorer, contre seulement quelques pigments en teinture chimique.

Peaux d’avocats, feuilles de sophora, pelures d’oignon ou épluchures d’orange permettent de colorer les tissus.

Peaux d’avocats, feuilles de sophora, pelures d’oignon ou épluchures d’orange permettent de colorer les tissus.

 
 

Et Marie Marquet d’ajouter : « Mais... le recyclage des déchets verts, déchets de taille et déchets agricoles pour la teinture (pelure d’oignon, fanes de carotte, feuille d’artichaut, marc de raisin, peau d’avocats...) est un vaste réservoir potentiel. » Toutefois, le chemin vers généralisation de ces pratiques est encore long. « À l’heure actuelle, les couleurs végétales n’ont pas une durabilité et une résistance suffisantes dans le temps », explique Agathe Mouvielle, ingénieure textile et directrice de l’association lilloise de mode écoresponsable Fashion Green Hub. Néanmoins, la spécialiste note que des artisans, mais aussi quelques marques françaises comme Le Slip Français, se mettent peu à peu au végétal.

Cela reste « très compliqué car il faut alors revoir tous les modèles de fabrication », pointe Agathe Mouvielle. Aussi, en fonction des années, parfois trop chaudes, parfois trop pluvieuses, les couleurs n’auront pas le même ton, la même profondeur. Enfin, le processus est long, se faisant au rythme des saisons. Il faut semer, récolter, sécher, faire macérer… « Cela demande de la patience. Une patience perdue aujourd’hui, estime Charlotte Filbien, tout en remuant les feuilles de sophora. Avant – et c’est toujours le cas dans certains pays d’Asie – ils ne portaient qu’un seul habit toute leur vie. Cela faisait partie de leur identité. »

Ainsi la vraie révolution ne serait pas attendue au sein des industries, mais plutôt dans les placards des particuliers. « La couleur végétale permet de prendre conscience que, au lieu de jeter un habit délavé, il y a la possibilité de le reteindre, de le retravailler, et ça, c’est complètement nouveau », dit Agathe Mouvielle. Ces plantes tinctoriales pourraient redonner des couleurs à une région, autrefois le berceau industriel du textile français, et dont de nombreux sols sont pollués. C’est en tout cas ce qu’espère Radostina Ivanova : « Il y a un vrai intérêt de la part des collectivités. Alors qui sait, peut-être que le futur du textile est dans le passé ? »

Rédigé par ANAB

Publié dans #Apprendre de la nature

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T
Le commentaire de Bernard me fait rire.<br /> Merci pour cet article intéressant.
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R
merci Toll
B
On en voit de toutes les couleurs dans cet artcicle !
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A
😅😅