Enquête mycologique, épisode 88, Russule sans lait Russula delica
Publié le 13 Mai 2023
Identifier un champignon n’est pas chose aisée au premier abord et c’est pourtant une démarche essentielle pour éviter toute fâcheuse méprise qui peut devenir fatale si on consomme un champignon toxique ou mortel. L’enquêteur de la brigade d’identification des champignons apprécie tout particulièrement d’arpenter les forêts pour recenser tous les gangs fongiques qui s’y trouvent.
Scène du crime
Nous sommes le 6 octobre 2022, à Butten, en forêt acidiphile type charmaie-hêtraie
Arme du crime
Le champignon pousse au sol, sans débris agglomérés à la base du pied. Il s’agit vraisemblablement d’un champignon mycorhizien.
Profil du suspect
La morphologie du champignon est classique, pied et chapeau. Les lames ne sont pas libres.
Passons maintenant à l’examen des voiles :
- pas de voile général sous forme de volve à la base du pied ou sous forme de flocons sur le chapeau
- pas de voile partiel sous forme d’anneau.
Pas d’ornements particuliers sous forme d’écailles, de ponctuations, etc. On observe néanmoins que les lames se tachent de brun rouille. Le chapeau est de couleur blanchâtre, en forme d’entonnoir.
C’est un champignon assez massif, ce qu’on appelle une morphologie tricholomoïde. Le pied est trapu et casse net comme de la craie, sans exsuder de lait. Cette cassure nette, sans lait, doit immédiatement faire penser à une russule. La saveur est douce, l’odeur est fruitée puis devient écœurante plus tard.
Les russules
Ce sont des champignons de morphologie classique, avec un pied et un chapeau. Ce sont également des champignons à lames. Les lames ne sont pas libres, elles touchent donc le pied, ce qui les différencie d’autres groupes comme les amanites par exemple. Il n’y a pas de volve ou d’anneau ou d’autres ornements sur le pied et le chapeau.
Les russules forment des mycorhizes, donc une association à bénéfice réciproque avec les arbres. Leur couleur de sporée varie du blanc jusqu’au jaune foncé. Enfin, et c’est une caractéristique importance, leur chair n’est pas fibreuse mais dite grenue. Faites l’expérience et prenez un pied de russule. Si vous le tordez, il va casser net en deux, comme une craie. Les autres champignons n’ont pas cette particularité. En effet, la chair des russules possède des cellules rondes qui donnent cette particularité. Seul un autre groupe possède cette particularité, les lactaires. Et ce n’est pas un hasard puisque les lactaires appartiennent à la même famille que les russules. Cependant les lactaires excrètent du lait, ce qui n’est pas le cas des russules. Ce point permet de les distinguer.
Rien qu’en Europe on distingue près de 250 espèces de russules. C’est un immense groupe et certains enquêteurs sont spécialisés dans ce groupe.
Comment les aborder ?
Comme toujours avec méthodologie, en répondant à des questions dans un ordre bien précis.
Deux critères sont déjà fondamentaux :
- la couleur de la sporée : elle va du blanc ou jaune foncé. Quelquefois, la couleur des lames donne une indication mais ça ne fonctionne pas pour les sujets jeunes. Pour faire la sporée, il suffit de prendre un chapeau et de le poser sur une lame de verre. Au bout de 6 heures, on obtient la couleur de sporée. Les enquêteurs utilisent un code couleur qui va de I (sporée blanche à crème) jusqu’à IV (sporée jaune). Ce tableau des couleurs se trouve dans n’importe quel bon guide.
- la saveur : les russules ont une saveur soit douce, soit amère/piquante. Évidemment, pour cela il faut goûter un morceau de chair, en n’oubliant pas de recracher après le morceau. Il n’y a absolument aucune crainte à avoir. Un champignon n’intoxique que si on l’avale, pas si on le recrache. En tout cas, cette manipulation est indispensable.
Après ces deux critères, il faut noter les points suivants pour affiner la détermination :
- le lieu de pousse : sol plutôt acide ou calcaire, quels arbres en présence
- l’odeur : certaines russules ont une odeur de pomme, d’autres de crustacés. Il y a une formidable palette d’odeur chez les russules. Il faut donc avoir un bon nez pour identifier une russule
- la couleur de la chair quand on coupe le champignon. Certaines russules noircissent à la manipulation.
Une fois tous ces éléments notés, on a assez d’éléments pour proposer une hypothèse de détermination.
Mais quelquefois, pour aller plus loin, il faut faire appel à la police scientifique.
Quels autres éléments sont à prendre en compte si on veut aller plus loin dans la détermination ?
On utilise souvent pour les russules des réactifs pour confirmer ou affiner une détermination. Deux réactifs sont particulièrement utilisés, le Gaïac et le sulfate de fer. Selon la coloration qu’ils formeront sur le pied et les lames, on pourra apporter des éléments supplémentaires sur l’identification.
Sporée :
Elle est blanche, de type Ib.
Examen par la police scientifique.
Les spores sont épineuses, avec un réseau
Le pied réagit en violet avec le réactif Gaïac.
Avec tous ces éléments, on peut proposer l’identification de la russule sans lait, Russula delica Fr (1838).
Statut selon l’INPN : LC (Préoccupation mineure) sur la liste rouge des champignons menacés en Alsace
Comestibilité : comestible selon les guides en vigueur à la rédaction de l’article, dans le respect des bonnes pratiques de cueillettes
La conclusion de l’enquêteur
Lorsqu’on observe ce champignon, on pense d’abord à un lactaire, vu sa morphologie. Mais l’absence de lait oriente vers les russules. On trouvera cette russule de préférence sur terrain calcaire, aussi bien sous feuillus que sous résineux.
Malgré leur apparente simplicité, les russules sont un groupe qui est tout sauf simple. Néanmoins, une bonne méthodologie permet de les aborder correctement. L’usage d’un guide à jour est évidemment indispensable. À cet effet, je recommande le guide Eyssartier et Pierre Roux, édition 4. Le gang des russules est vraiment magnifique à observer et il est important de rappeler leur rôle fondamental dans l’écosystème forestier
Pour aller plus loin.
Champignons, ce qu’il faut savoir en mycologie. Guillaume Eyssartier, éditions Belin, 2018
Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)