« Le nucléaire n’est pas bon pour le climat »
Publié le 15 Mai 2023
Hervé Kempf, rédacteur en chef du site d’actualité « Reporterre », auteur du livre « Le nucléaire n’est pas bon pour le climat
Paru sur l'Alsace le 13/5/2023 transmis par Bernard. Merci Bernard.
Le nucléaire est aujourd’hui présenté en France comme l’énergie miracle pour répondre à la crise climatique. Votre livre est-il une réplique directe à ce « retour en grâce » ?
Hervé Kempf : Oui, j’ai été frappé depuis quelques années par la répétition d’arguments extrêmement discutables qui allaient dans un seul sens. Il me paraissait nécessaire de rétablir un certain nombre de faits, et cela du point de vue d’un écologiste très préoccupé depuis longtemps par le changement climatique. Mais il s’agit avant tout d’une enquête journalistique, et donc factuelle, argumentée et documentée, et non d’une opinion. Dans ce livre, je m’appuie notamment sur les publications de l’ Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l ’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
Estimer que le nucléaire serait bon pour le climat car il n’émet pas de CO₂ est une vision très simpliste des choses. Nous avons heureusement à notre disposition d’autres solutions : la sobriété, les économies d’énergie ou les énergies renouvelables.
De plus, d’un point de vue démocratique, il est tout de même très problématique de constater qu’Emmanuel Macron n’a même pas attendu l’achèvement du débat public sur les nouveaux réacteurs nucléaires de type « EPR2 » pour faire passer le projet de loi d’accélération du nucléaire !
Sobriété, économies d’énergie et énergies renouvelables constituent donc selon vous l’alternative au nucléaire ?
Oui, et l’essentiel des efforts devrait se concentrer sur les économies d’énergie qui nécessitent autant d’intelligence, de savoir-faire, de technologies ingénieuses que le nucléaire. Il faut analyser toutes les consommations, lutter contre le gaspillage et éviter de développer des technologies gourmandes en énergie comme la 5G - responsable d’importantes émissions de gaz à effet de serre -, interdire les panneaux publicitaires lumineux, réduire l’éclairage nocturne, soutenir la rénovation thermique, les transports en commun, le vélo, les petits « véhicules intermédiaires », etc.
Le nucléaire s’empêtre dans une technologie des années 1970
Les énergies renouvelables, quant à elles, ont effectué un saut technologique extraordinaire ces vingt dernières années, tandis que le nucléaire, dont le coût est à la hausse, s’empêtre dans une technologie datant des années 1970. Hormis en France, les nouvelles énergies se développent partout dans le monde grâce à l’éolien sur terre ou sur mer, le photovoltaïque, dont les coûts ont fortement diminué, la biomasse, la méthanisation, etc.
Comment mettre en œuvre un plan de réduction de la consommation ? Vous soulignez que la sobriété passe par la redistribution des richesses car, plus on est riche, plus on pollue.
En effet, lorsque M. Bernard Arnault embarque dans son jet pour se rendre de l’ouest de Londres à l’est de la même cité, il émet plus de CO₂ en une demi-heure que vous et moi en un mois. L’enjeu ici est la justice sociale et la réduction des inégalités. Pour changer de société, prendre le chemin des économies d’énergie et de la sobriété, nous devons agir ensemble, ce qui va sans doute recréer du lien social. Il n’est pas possible que certains continuent à utiliser des yachts immenses, des jets privés ou des SUV de deux tonnes dont les impacts sont si nocifs pour la planète.
Les pronucléaires et la majorité de la classe politique raisonnent comme si un accident grave ne pouvait jamais se produire en France. Or, vous affirmez le contraire et considérez même que « la possibilité d’un accident grave en France a gagné depuis quelques années plusieurs degrés en crédibilité ».
Oui, et il faut souligner qu’il s’agit d’une préoccupation des autorités de la sûreté nucléaire elles-mêmes. Bernard Doroszczuk, le président de l’ASN, l’a rappelé en janvier 2022 : « Un accident nucléaire est toujours possible et ceux qui prétendraient le contraire prennent une grande responsabilité. »
L’exigence de sûreté doit l’emporter sur toute autre considération
Le parc nucléaire français est vieillissant et l’entreprise EDF connaît d’importantes difficultés financières. La pression pour maintenir son équilibre économique risque de la conduire à des choix contraires à la sûreté. Je ne suis pas alarmiste, mais je rappelle une chose très simple : l’exigence de sûreté est absolument indispensable et doit l’emporter sur toute autre considération, car les conséquences d’un accident nucléaire sont considérables et durables. On ne peut pas comparer une telle catastrophe à d’autres types d’accidents industriels. Dans le cas de l’explosion de l’usine AZF à Toulouse, par exemple, survenue en septembre 2001, vingt ans plus tard, on peut se rendre compte en retournant sur les lieux que la vie a repris son cours. L’usine a été détruite, un hôpital, un centre de recherches et un parc photovoltaïque ont été bâtis à la place. Dans le cas d’un accident nucléaire, la contamination par la radioactivité va perdurer pendant plusieurs décennies. L’IRSN a évalué son coût en 2013 en prenant en compte les conséquences radiologiques (nombre de cancers causés par les rejets), les pertes économiques, les coûts de relogement, l’effet « d’image » pour une France qui deviendrait moins attractive, la perturbation du parc nucléaire… Le chiffre médian s’élève à 450 milliards d’euros, dans une fourchette de 200 à 1 000 milliards, de quoi créer une grave crise économique.