Quand Prunus fait des bananes ! ( Taphrina deformans )

Publié le 18 Juin 2023

 

Même les espaces dédiés à l'agriculture intensive réservent parfois des surprises. C'est ainsi qu'au cours d'une sortie, nous avons localisé en bordure d'un  champ, un adonis, un scandix peigne de Vénus et plus loin, dans une haie, une série d'arbustes aux attributs singuliers.

Ils affichent des poches allongées ( 2 à 3 cm) qui évoquent par leurs formes des bananes ou des cornichons. Elles sont de couleur vert clair à gris orangé, couvertes par endroits d’une pruine blanche. Serions-nous en présence d'une espèce exotique ? Pourtant, les feuilles et les épines montrent qu'il s'agit bien de Prunus spinosa (l'épine noire). Alors qu'à pareille époque, les prunelliers portent leurs fruits sous forme de "pois"verts, ceux-ci présentent des galles. Le premier réflexe est d'en ouvrir une pour observer l'occupant. La paroi de la poche est sectionnée, une cavité apparaît. Elle est vide ! Le mystère s'épaissit...  

Un rameau est prélevé sur un pied de prunellier à l’apparence habituelle, un autre sur un de ces individus singuliers. 

Rameau sain  de Prunus spinosa ou prunellier portant des fruits en formation. Les plus grands ont une longueur de 8 mm en ce moment (fin mai).

Rameau sain de Prunus spinosa ou prunellier portant des fruits en formation. Les plus grands ont une longueur de 8 mm en ce moment (fin mai).

Rameau portant les pochettes. Leur longueur atteint environ 2-3 cm. Taphrina deformans

Rameau portant les pochettes. Leur longueur atteint environ 2-3 cm. Taphrina deformans

 

On vérifie la définition d'une galle  : Qu’est-ce qu’une galle ?

Les Galles (du latin), ou cécidies (du grec) sont des excroissances, des malformations sur les végétaux provoquées par des insectes, acariens, nématodes, champignons,virus, bactéries ou végétaux. ( voir le Blog Anab  du 2018/06/galle-du-lierre-terrestre).

 

L'hypothèse "champignon" mérite d'être testée.

Une première recherche sur le net dans cette direction offre quelques pistes…

A ce stade, nous faisons appel à l’enquêteur de la brigade d’identification des champignons bien connu des lecteurs du blog Anab du samedi. Il va nous confirmer ces présomptions et sans doute nous livrer la clé de l'énigme.

Et dans la foulée, voici le résultat de ses investigations :

Coupe d'une galle de Taphrina deformans

Coupe d'une galle de Taphrina deformans


Coupe transversale de la paroi de la galle, colorée au bleu coton lactique. L’acide lactique préserve les structures fongiques et colore les parois des hyphes (contenant de la chitine et de la callose). On remarque que l’ensemble du parenchyme est envahi d'hyphes, et on voit émerger au niveau du cortex ce qui donnera des asques.

Taphrina deformans  (grossissement ×400)- surface de la galle

Taphrina deformans (grossissement ×400)- surface de la galle

 

Contenu de la surface grattée  de la galle coloré au rouge Congo ammoniacal (grossissement ×400). De nombreux asques en formation montrent la cellule basale (claire) surmontée du proasque (orangé).Dans certains cas des asques déjà évolués, renferment des ascospores visibles (en bas à gauche).



 

La conclusion de l’enquête : il s’agit d’une galle (appelée ici mycocécidie) causée par un champignon, Taphrina pruni. Les Taphrina sont des champignons ascomycètes, parasites de plantes-hôtes spécifiques. Ils s'attaquent à une espèce ou quelques espèces très proches. Les organes atteints peuvent être les feuilles (ex cloque du pêcher ou de l’amandier pour Taphrina deformans), les tiges. Dans le cas de Taphrina pruni, l'organe cible de la déformation est le fruit de pruniers (prunellier et pruniers) provoquant la formation des pochettes. Des études de laboratoire ont démontré que le parasite sécrète des substances de croissance (phytohormones) qui déclenchent au niveau de l'ovaire des fleurs, le développement d'un pseudo-fruit jouant le rôle de nourrisseur.



 

Le cycle de vie de ce champignon est complexe. Au cours de son existence, plusieurs phases alternent : on trouve un stade unicellulaire de type levure à un noyau issu des ascospores, un stade mycélien comportant des cellules à deux noyaux et enfin, le stade proche de la reproduction avec fusion des noyaux qui précède la réduction chromosomique. ( pour les lecteurs intéressés, voir les cycles proposés sur le net).



 

Un grand merci à Gilles pour sa contribution.

 

Texte :  Etienne Feuchter (Anab)
Photos de l’auteur et de Gilles Weiskircher (Anab)





 

Documents- Sources et compléments:
Gérard Guillot / zoom-nature

https://www.zoom-nature.fr/taphrinas-des-as-de-la-deformation/

Le champignon responsable de la cloque du pêcher Taphrina deformans (Berkeley) Tulasne - Jean-Pierre GAVÉRIAUX
https://www.smnf.fr/wp-content/uploads/2020/10/Taphrina_deformans.pdf

 

Rédigé par ANAB

Publié dans #champignons

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R
Merci Jpl, Bernard, Martine et Toll d'avoir apprécié cet article original et esthétique d'Etienne et Gilles..<br /> <br /> Nous réfléchissons à l'ouverture d'une galerie d'art. <br /> Il manque quelques sponsors...
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T
Même si j'ai du mal à comprendre, j'ai trouvé ces lectures fort intéressantes: les documents - sources et compléments, ainsi l'article sur la galle du lierre-terrestre déjà publiée sur le Blog ANAB en juin 2018.<br /> <br /> La prochaine fois qu'un quiz sera présenté par Étienne, en collaboration avec Gilles, je me dirigerai tout droit vers les maladies, parasites et déformations de plantes.<br /> Quant aux photos de Gilles, il y en a suffisamment pour remplir toute une galerie d'Art contemporain.
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M
Chouette idée de parler des galles . Merci Etienne et Gilles !<br /> Je verrai bien la photo au bleu coton lactique accrochée dans une galerie d'Art contemporain !
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B
La nature par sa diversité et son imagination ne cessera de nous étonner !
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J
Merci à vous pour ce beau sujet, et comme quoi le savoir est précieux.
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