Les enfants grandissent mieux dans la nature
Publié le 18 Août 2023
paru sur Reporterrele 9/8/2023
Une meilleure santé, moins de stress, plus de confiance en soi et même de coopération… Le contact avec la nature offre de multiples bénéfices aux enfants. Reporterre fait le point sur les dernières observations scientifiques
Marcher pied nu dans l’herbe, patouiller dans la terre, transformer un bâton en baguette magique, collectionner les cailloux, cuisiner des petites herbes, marcher dans la forêt… Chez les chercheurs et les professionnels de l’enfance interrogés par Reporterre, le constat est unanime : ces activités anodines font de moins en moins partie de l’enfance ; pourtant, la science démontre de mieux en mieux leurs bienfaits.
Tout comme les adultes, les plus petits ont de moins en moins de contacts directs avec la nature, passent moins de temps dehors. Au quotidien, le temps d’écran des enfants augmente, en particulier depuis le début de la pandémie de Covid-19.
La transformation des « expériences de nature »
« On constate une baisse importante du nombre de classes découvertes ou de séjours de vacances », observe Mathieu Bellay, codirecteur du Frene, le réseau français d’éducation à la nature et l’environnement. « Et dans le temps, les séjours pouvaient durer plusieurs semaines. Maintenant pour une classe verte, on nous demande deux ou trois jours. »
Ce que les chercheurs appellent les « expériences de nature », c’est-à-dire la rencontre entre un humain et du vivant non humain, « se transforment en même temps que nos modes de vie », explique Anne-Caroline Prévot, écologue au Muséum national d’histoire naturelle. « Une grande partie se fait par l’intermédiaire de livres, films, jeux vidéos, exposés… » Des activités utiles. Mais qui ne remplacent pas une sortie dehors, ne serait-ce qu’au petit parc du bout de la rue.
Dès 2005, le journaliste scientifique américain Richard Louv sortait un livre enquête qui fait encore référence, intitulé Last child in the woods (Le dernier enfant dans les bois). Il y compilait les recherches sur les plus jeunes et la nature, et liait l’augmentation de l’obésité, de la dépression ou des troubles de l’attention chez les enfants à un « manque de nature ».
« Au cours des trente dernières années, la superficie du territoire où les enfants peuvent circuler sans la supervision immédiate de leurs parents a diminué de 90 % », disait-il alors [1].
Depuis, les études sur les bienfaits de la nature chez les enfants ont continué de s’accumuler. « Aller dans un espace de nature, même très pauvre en biodiversité, permet de diminuer le stress, augmente la capacité d’attention, le calme, fluidifie les relations sociales, permet de faire du sport… », liste Anne-Caroline Prévot.
« Dans la nature l’enfant peut développer l’ensemble de sa personne : son corps, son intelligence et son savoir, mais aussi ses relations sociales, sa personnalité », résume aussi Mathieu Bellay.
« Une augmentation de la motricité, de l’équilibre et de la coordination »
Les conséquences positives les plus visibles sont celles sur la santé. « Plus les enfants passent de temps à l’extérieur, plus leur activité physique est importante, moins ils sont sédentaires et meilleure est leur condition cardiorespiratoire », expliquait une revue de littérature scientifique de 2019 résumant les recherches récentes. Jouer dehors diminue les risques de surpoids et d’obésité chez les enfants, souligne également l’Étude nationale nutrition santé.
Plus l’extérieur est naturel, meilleure est la motricité. « Les enfants bénéficiant d’un paysage naturel (forêt) dans lequel ils pouvaient jouer, connaissaient une augmentation significative de la motricité, de l’équilibre et de la coordination par rapport aux enfants qui jouaient uniquement dans des aires de jeux extérieures traditionnelles », précisait une recherche norvégienne il y a déjà vingt ans.
Des améliorations rapides
Il n’y a pas que ça. Des chercheurs finlandais ont montré qu’en introduisant dans la cours de récréation d’enfants de trois à cinq ans des éléments « de sous-bois, du gazon et des bacs à fleurs, dans lesquels les enfants plantaient et entretenaient des cultures », leur système immunitaire s’améliorait en seulement un mois. Un bel espoir pour les enfants des villes.
« Des dizaines d’études comparatives ont déjà montré que les enfants qui vivent dans des zones rurales et qui sont en contact avec la nature ont moins de chances d’attraper une maladie résultant d’un trouble du système immunitaire », ajoutaient les auteurs.
Plusieurs études ont également montré qu’aller dehors fait du bien aux yeux. « Augmenter le temps d’exposition à la lumière du jour est une mesure préventive simple pour diminuer la prévalence de la myopie », concluait par exemple l’une d’elles.
Plus de contacts avec la nature aide aussi à apprendre. Des chercheurs espagnols ont suivi pendant un an des enfants de sept à dix ans vivant à Barcelone. Ils ont observé que ceux qui avaient le plus d’espaces verts dans leur environnement étaient ceux qui avaient le meilleur développement cognitif. Un effet en partie dû à la diminution de la pollution de l’air grâce à ces espaces verts.
Mais ce n’est pas leur seule voie d’action. Une revue de littérature scientifique résume les effets démontrés des espaces verts sur l’apprentissage. Être en contact avec la nature diminue le stress, améliore l’attention et l’autodiscipline.
« Les élèves montrent plus de motivation, de participation et de joie d’apprendre dans un cadre naturel », remarquent les auteurs. En France, la recherche-action Grandir avec la nature, commence à donner ses premiers résultats.
« Les enfants arrivent mieux à se concentrer qu’en classe »
Des enseignants sont sortis une fois par semaine avec leur classe pendant plusieurs années, pour faire l’école dehors. En Bourgogne-Franche-Comté, par exemple, cette expérience a permis de repérer plusieurs points positifs : meilleure ambiance de classe, plus de motivation pour aller à l’école, des enseignants plus à l’écoute des enfants, un enseignement qui « fait travailler le corps, les mains et les sens, ce qui suscite la curiosité et la créativité », etc.
« Les enfants témoignent qu’ils arrivent mieux à se concentrer qu’en classe », ajoute Aurélie Zwang, chercheuse en sciences de l’éducation, coordinatrice scientifique de ce programme de recherche. « Ils ont plus d’espace, peuvent s’isoler pour écrire leur texte dans leur coin, il y a moins de bruit. »
Les enfants atteints de troubles de l’attention (TDAH [2]) se concentrent mieux après une promenade au parc de vingt minutes, a déjà montré une étude étasunienne de 2009.
L’effet était comparable à celui des médicaments utilisés pour traiter ce trouble. « Les enfants à besoins particuliers peuvent se défouler, laisser leur corps s’exprimer pour ensuite être plus calmes. Il y a moins de crises dehors », dit Aurélie Zwang.
Utiliser ses cinq sens
Mais faire école dans la nature ne fait pas que faciliter les apprentissages. Cela les transforme. Aller faire classe dehors toutes les semaines, par tous les temps, incite à « s’adapter à la météo, à faire avec », explique la chercheuse. « Cela permet aussi d’apprendre à observer, à écouter. » À utiliser ses cinq sens. Autant de compétences utiles pour développer une relation avec la nature.
Au point que la spécialiste de l’éducation en arrive à questionner ce que l’école définit comme des savoirs « fondamentaux ». Aux côtés des mathématiques et du français, « savoir décrypter son environnement est tout aussi fondamental », estime-t-elle.
Les questionnements sur la vie, la mort, la place de l’homme dans le monde vivant sont aussi plus facilement abordés, a remarqué Mathieu Bellay, du côté des éducateurs nature. « Trouver un oiseau mort déclenche une conversation, ou alors si un enfant écrase des escargots parce qu’il trouve cela rigolo, cela va faire naître un débat », dit-il. « Cela permet de parler de la pérennité des espèces, du cycle de la vie, de questions philosophiques. »
Pour les enfants, disposer d’espaces naturels plus variés leur permet de développer des interactions plus riches.
Être dans la nature aide aussi les enfants à développer leur créativité. L’anthropologue Julie Delalande observe les bambins de maternelle dans la cour de récréation : « Ils sont à la recherche du végétal, de cachettes : un buisson, un arbre. Ils utilisent de la terre, du sable de différentes couleurs, des bouts de feuille, des brindilles, s’intéressent aux petites bêtes ».
Cela montre l’intérêt des cours d’écoles végétalisées. « Quand on propose aux enfants un espace plus riche et qu’ils ont le droit de l’utiliser davantage, cela leur permet d’enrichir largement leurs jeux et leurs interactions », dit-elle.
Apprendre à mieux se connaître
La nature permet aux enfants de s’explorer eux-mêmes, car une de ses grandes qualités est d’être un espace « hors de contrôle, imprévisible, de liberté et de risque », estime Mathieu Bellay. « Cela permet de développer sa personnalité. » L’enfant peut ainsi y tester ses capacités et ses limites : suis-je capable de monter dans cet arbre ? Ai-je peur dans la forêt la nuit ? Il y apprend aussi à faire des choix, par exemple pour se frayer un chemin dans des fourrés : par où passer ?
La nature, surtout quand l’enfant y évolue loin du regard des adultes, insistent les spécialistes interrogés par Reporterre, démultiplie les occasions de « mieux nous connaître, avec nos forces et nos faiblesses, avec nos limites », comme l’écrit le manifeste « Sortir, c’est vital » du réseau Frene.
Se connaître soi-même, et les autres. Plusieurs études [3] ont remarqué que dans des environnements plus naturels, les enfants surmontaient mieux leurs différences socio-culturelles et faisaient preuve de plus de coopération.
« On arrive vite à des moments où la coopération est la norme »
Une évidence, pour Mathieu Bellay. « Quand on marche dans un environnement naturel, on tient la branche pour ne pas qu’elle retombe sur le nez du suivant, on tend la main pour monter sur le talus. On arrive vite à des moments où la coopération est la norme », explique-t-il.
Autant d’occasions de vivre des expériences fortes dès le plus jeune âge qui permettent de développer un attachement à la nature. Comme si une fois conscient de ses bienfaits, nous souhaitions la protéger.
Quand les chercheurs étudient les trajets de vie des personnes qui s’engagent pour l’environnement « la constatation la plus fréquente est que les personnes qui s’engagent le plus pour l’environnement sont aussi celles qui rapportent le plus d’expériences avec la nature durant l’enfance et l’adolescence », écrit Louise Chawla, spécialiste du développement de l’enfant et de psychologie environnementale.
En particulier, « les expériences de nature les plus signifiantes pour les enfants sont celles qu’ils peuvent faire de façon libre, non contrainte, sans le regard de l’adulte », précise Anne-Caroline Prévot.
« Les expériences de nature les plus signifiantes pour les enfants sont celles qu’ils peuvent faire de façon libre, non contrainte, sans le regard de l’adulte », dit l’écologue Anne-Caroline Prévot.
Mais les freins à passer plus de temps dehors restent nombreux. Le réseau Frene les recense : peur de l’accident, de l’enlèvement pour les parents, sentiment d’incompétence surtout quand eux-mêmes connaissent mal la nature. Dans le cadre scolaire ou des colonies de vacances et centres aérés, s’ajoutent la réglementation, la frilosité de l’administration, le manque de financements…
Autant d’obstacles qui font que l’« on offre moins d’opportunités aux enfants qui grandissent aujourd’hui pour se construire eux-mêmes, et je trouve cela grave », dit Anne-Caroline Prévot.
Multiplier les expériences
L’un des buts de la recherche action Grandir avec la nature est de faire changer les mentalités, au moins dans l’Éducation nationale. « La classe dehors est une innovation pédagogique de terrain, il n’y a pour l’instant aucun texte, aucune prescription sur ce sujet. Reste à voir comment l’institution va s’en emparer », dit Aurélie Zwang.
Mais dès maintenant, il est possible de multiplier les expériences de nature pour les enfants, partout. « Il se passe plein de choses dans un jardin, un potager, un balcon végétalisé. Si déjà on arrive à donner aux enfants un lieu où on peut mettre les mains dans une flaque, ramasser des cailloux et des bâtons, c’est bien », rassure Mathieu Bellay.