Un géant parmi nos champignons : Langermannia gigantea
Publié le 6 Avril 2024
“Identifier un champignon n’est pas chose aisée au premier abord” et ce d'autant plus à la fin de l'hiver lorsque le temps a fait son œuvre et qu'il ne subsiste qu'un fantôme/momie de la partie aérienne initiale (carpophore).
Voici deux individus photographiés en ce mois de mars sous différents angles :
Les deux exemplaires ont été (re*) trouvés par l'auteur dans un fond de vallée, au nord de l’Alsace Bossue, l'un dans un parc temporaire à bovins (individu 1), l'autre (individu 2) dans une aulnaie où il a accompli un voyage de quelques dizaines de mètres (!) depuis son lieu de croissance initial, à la faveur d'une crue.
* l’auteur connaît l’endroit où croissent ces champignons année après année. Il ne les ramasse pas.
Vue de profil de l’individu 1 : Res aenigmatica
L’objet du quiz est de couleur brune et possède une forme ovoïde. Il mesure 15 à 20 cm de large Le sommet paraît érodé en creux et révèle une composition grossièrement spongieuse, présentant quelques pores irrégulièrement distribués et des “tubulures” retrouvées sur les flancs. Ces derniers sont couverts de lambeaux blanchâtres d’une enveloppe encore présente à la base. Le côté droit offre une surface d’apparence pulvérulente.
- Contrairement à un fragment de bois pourri, aucune structure fibreuse orientée n’est visible et la forme générale ne s’accorde guère avec un tel objet.
-Contrairement à un nid d’insectes (hyménoptères) on note aucune présence de rayons, d’ alvéoles, ni d’enveloppes parcheminées emboîtées.
Nous optons pour un champignon du type Vesse de loup géante.
Vue du pôle basal de l’individu 1 : les restes de l’enveloppe blanchâtre (peridium) persistent ainsi qu’un moignon sombre d’un système assurant la fixation et les échanges avec le substrat par l’intermédiaire de pseudo-racines, les rhizomorphes. La partie basale (sous-gléba) a un aspect de mousse synthétique en voie de décomposition.
Individu 2 vu de profil . Il ne subsiste cette fois-ci qu’un quartier de l’architecture initiale. L’échantillon offre une coupe avec une zone haute grumeleuse à vermiculée (gléba). A la base de l’échantillon, on devine des lambeaux d’une enveloppe. Taille : environ 20 cm de large
Vue du pôle sommital de l’individu 2
Le haut présente une structure en tubes (diamètre quelques mm) , certains paraissant percés. L’espace intertubulaire a un aspect granuleux. Il s’agit de la partie fertile appelée gléba qui produit les spores alors que le bas du carpophore (sous-gléba) est stérile. L’érosion par les agents atmosphériques a le mérite de révéler l’organisation interne du carpophore invisible sur un individu frais (chair blanche).
Rapport d’enquête
Lieu de la découverte :
Pour 2, prairie grasse, pâturage temporaire. Pour 1, aulnaie (chatons au sol), ficaires, lierre terrestre, orties.
Taille des objets : 15 à 20cm en largeur et initialement davantage pour 2 (dans la végétation présente, une fleur de ficaire peut servir d’échelle).
Couleur brune (chocolat au lait)
Forme grossièrement ovale, absence de structures orientées dans une seule direction
Aspect spongieux pulvérulent à vermiculé
Enveloppe blanchâtre déchirée en lambeaux.
Ces caractéristiques permettent d’identifier les restes d'un champignon assez volumineux en forme de ballon, sans pied (stipe). Le candidat est un boviste géant.
Des observations complémentaires réalisées sur place nous apprennent que l'objet investigué est ultra-léger (bouge au vent), qu'une pression exercée dessus libère une poussière brune (spores).
Conclusion
Il s'agit des restes de carpophores de boviste ou vesse de loup géante, connue sous le nom Langermannia gigantea (Calvatia gigantea). Il appartient au groupe des Lycoperdaceae.
Statut de protection:
Il est classé VU vulnérable dans la région Midi-Pyrénées et déterminant Znieff en Occitanie ce qui souligne sa rareté.
En allemand : Riesen Bovist; en anglais : Puffball.
Particularités du boviste géant
C’est l’un de nos plus grands champignons. Sa taille et son poids sont souvent exprimés en décimètres et kilogrammes. Sa croissance est très rapide et survient lorsque le sol (à la lumière) est bien humide et chaud. C’est un saprophyte assez exigeant en minéraux et en azote. Bien que rare, des exemplaires remarquables font régulièrement l’objet de publications dans les journaux et l’on voit le/la découvreur/se arborer son trophée.
Boviste jeune apparu fin août. La couleur blanche, une odeur farineuse signalent la poussée récente de l’individu. A ce stade, la chair est uniformément blanche et consommable. Des recettes préconisent de l'accommoder en tranches. Les avis divergent sur son goût et sa consistance molle une fois cuit. Ce champignon accumule les métaux lourds (mercure). Son deuxième nom “tête de mort” lui convient tout à fait dans ces circonstances.
La glèbe qui est la partie fertile du sporophore se développe selon un mode inédit : les hyphes se ramifient en éventail pour donner des tubes (structure palissadique) orientés vers la surface. Des cavités se forment dans les zones de contact. C’est à ce niveau que prennent naissance les basidiospores. Leur nombre est estimé en billions.
A un stade plus avancé, le champignon peut prendre une teinte fauve, la chair devient rapidement brunâtre, preuve que les spores arrivent à maturité. L’enveloppe se rompt, les spores sont expulsées. Lorsque la saison avance, la sécheresse aidant, la masse diminue et le vent peut rouler la boule qui disperse ses spores au passage. C’est dans cet état qu’on peut le retrouver à la fin de l’hiver…
Usages
Outre l’aspect culinaire déjà évoqué, il a servi comme l'amadou, un autre myco-matériau, à allumer le feu ou pour enfumer les ruches et a connu quelques usages médicaux.
Ce champignon produit certains composés intéressants, dont des enzymes, qui pourraient trouver un usage à l’avenir, à condition de savoir maîtriser sa culture..
Texte, photos et bibliographie Étienne Feuchter (Anab)
Sources
The gleba development of Langermannia gigantea
https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/15572536.2007.11832564
Mycosphere 457 Five trillion basidiospores in a fruiting body of Calvatia giganteahttps://www.mycosphere.org/pdf/MC2_4_No7.pdf
231 CZECH MYCOL. 60(2): 231–242, 2008Fructification of Langermannia gigantea in artificially inoculated field soi
http://www.czechmycology.org/_cm/CM60207.pdf
The gleba development of Langermannia gigantea (Batsch: Pers.) Rostk.(Basidiomycetes) compared to other Lycoperdaceae, and some systematic implication https://d-nb.info/999990691/34