Abeille des mers, Cupidon des algues… Je suis une idotée, voici mon histoire

Publié le 23 Avril 2024

Abeille des mers, Cupidon des algues… Je suis une idotée, voici mon histoire

paru sur ouestfrance le 27/3/2024
 

Il faut un œil aiguisé, si vous voulez me distinguer parmi les algues rouges. Je mesure entre un et huit millimètres. Mes sept petites paires de pattes ont toute la même taille. Mais n’allez donc pas me confondre avec une petite crevette, ou un crabe… Je suis une idotée. Certains parlent de moi comme d’une abeille des mers, je vais vous expliquer pourquoi.

Appelez-moi Le transporteur…

Algues brunes, vertes, rouges… On peut me retrouver à plusieurs endroits, mais plus récemment, c’est lorsque je naviguais autour des algues rouges, des gracilaria gracilis, que j’ai particulièrement attiré l’attention des scientifiques.

Une idotée, qui broute une algue rouge, gracilaria gracilis

Une idotée, qui broute une algue rouge, gracilaria gracilis

Je m’attache aux branches des algues mâles, qu’on appelle aussi thalles et ici, je récupère le sperme de ce végétal. Il se colle à mes pattes, au nombre de quatorze, je vous le rappelle, mais aussi, à mon ventre, ma carapace.

Dis comme cela, ce n’est pas très séduisant, mais attendez… Moi, je peux me déplacer dans l’eau. Les algues, elles, ne peuvent pas, et les gamètes mâles de la gracilaria gracilis n’ont pas de flagelles, contrairement à ceux des autres algues. Les gamètes femelles, eux, ne sont pas libérés, il faut donc venir jusqu’à eux.

Les idotées parviennent à se dissimuler parmi les thalles des algues rouges.

 

…Ou Cupidon !

Alors, dans les flots, je nage, et je vais jusqu’aux algues femelles. Je joue l’entremetteuse, j’apporte aux algues femelles les gamètes des algues mâles, et je permets leur reproduction. On pourrait presque m’appeler Cupidon, finalement.

 
 

Les scientifiques, eux, ont préféré abeille des mers. Je ne vole pas, mais un peu comme ces fameux insectes qui transportent le pollen, en plus du vent, moi, je transporte les gamètes mâles des gracilaria gracilis. Vous comprenez maintenant ?

On distingue les gamètes de l’algue rouge gracilaria gracilis, sur les pattes d’une idotée, grâce à une vue en microscopie confocale.

On distingue les gamètes de l’algue rouge gracilaria gracilis, sur les pattes d’une idotée, grâce à une vue en microscopie confocale.

Je les ai un peu surpris, les chercheurs, car dans ce milieu, habituellement, la reproduction se fait plutôt grâce aux courants, et aux flagelles des gamètes.

Dans le cas des algues rouges, mon intervention est non négligeable, puisqu’on trouve principalement cette dernière dans des cuvettes, toujours immergées, en bas ou en haut de l’estran, là où l’eau est plutôt calme.

La gracilaria gracilis, un garde-manger pour moi

Mais soyons honnêtes. Si je m’attarde sur les algues rouges, c’est aussi parce qu’elles me servent de garde-manger. Je ne les mange pas, en revanche, sur elles, je broute les épiphytes, ces autres algues qui sont à la surface des thalles. Je facilite la photosynthèse, je me nourris, et en plus… elle me permet de me dissimuler, de me mettre à l’abri. En effet, ma couleur, plutôt foncée, rouge, peut se confondre avec celle de l’algue.

Ce sont des scientifiques de la station biologique de Roscoff (Finistère), qui ont pu démontrer que l’idotée joue un rôle dans la reproduction de l’algue rouge gracilaria gracilis.

Ces dernières années, je m’inquiète un peu des changements climatiques que je sens autour de moi. Je sais que les abeilles, sur terre, ne sont pas épargnées, par exemple. Alors, je me questionne.

Entre la mer, l’algue et moi, l’équilibre est là, mais si l’un d’entre nous change, on ne sait pas ce qu’il adviendra des autres.

Je vous réserve encore des surprises

Pourtant, je n’ai pas encore raconté toute mon histoire ! Discrète, silencieuse, j’assure ma mission d’entremetteuse entre les gracilaria gracilis depuis longtemps, tellement longtemps que je ne me souviens plus depuis combien de temps. Pour les scientifiques, cela pose plusieurs questions : est-ce que cette interaction, entre les algues et les animaux, que j’illustre, existait avant celle qu’on pouvait retrouver sur terre, avec les plantes à fleurs ? Ou alors, est-ce que c’est une histoire évolutive parallèle ?

Je compte sur eux pour y répondre, car moi, je ne me souviens pas, je ne me souviens plus. Si la mémoire me revient, au détour d’un thalle, je vous ferai signe, avec l’une de mes pattes. Soyez attentifs !

Rédigé par ANAB

Publié dans #Biodiversité hors région

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J
superbe !
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A
Merci à tous de vos commentaires. La nature nous étonnera toujours par la complexité des liens entre espèces, la perfection des systèmes et leur frugalité en consommation d'énergie.<br /> <br /> Merci Sylvain de ton tuyau pour cette excellente émission.<br /> Roland
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T
Fascinant!
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D
Étonnant effectivement ! Je préciserais que l'étude a été effectuée en aquarium, il y a lieu d'évaluer si ce mutualisme est aussi significatif en milieu naturel .
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S
Qui a regardé hier soir le reportage sur la 5 , on parlait de l' origine des insectes il y a plusieurs centaines de millions d' années.... avec même des libellules de 70cm d' envergure au carbonifère.
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B
Pas du tout une idiote cette idotée. C'est magique de voir comme la nature est (souvent) bien faite !
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N
Fabuleux !
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