Sur la piste du muscardin, acrobate des sous-bois

Publié le 17 Juin 2024

Brun orangé, une queue aussi longue que son corps et des pouces opposables, le muscardin affectionne les haies et les lisières des forêts. -  Frank Vassen / CC BY 2.0 / Flickr via Wikimedia Commons

Brun orangé, une queue aussi longue que son corps et des pouces opposables, le muscardin affectionne les haies et les lisières des forêts. - Frank Vassen / CC BY 2.0 / Flickr via Wikimedia Commons

Paru sur Reporterre le 27/5/2024

 

Le muscardin, ce rongeur grimpeur symbolise l’habileté et la furtivité de la biodiversité des haies, dans un monde qui leur est de plus en plus inadapté.

C’est un emblème et un fantôme. Une rumeur du monde sauvage. Si discret que celles et ceux qui ont la chance de l’apercevoir, souvent par hasard, s’en souviennent longtemps. « Après ma première rencontre avec lui, je suis resté sur un petit nuage pendant des jours », raconte Myriam Jouanny, maraîchère et cueilleuse de plantes sauvages à côté de Rouen. « Je l’ai vu dans une haie de mon jardin, c’était un évènement. Il y a 40 ans de cela. Je ne l’ai jamais revu depuis », ajoute le naturaliste Jean-Paul Thorez.

La source de tant d’effervescence est un tout petit mammifère, tout juste 6 à 9 cm de long, prolongé d’une queue velue de la même longueur. Une boule de poils, brune orangée, d’à peine 15 à 40 grammes, surmontée de grands yeux noirs. Potentiel de mignonnerie : maximal. Même le grand naturaliste Buffon, du fond de son XVIIIᵉ siècle anthropocentrique, lui accordait le titre de « moins laid de tous les rats ». Plus magnanime, La Hulotte, éminente revue naturaliste, lui conféra le surnom encore usité aujourd’hui de « rat d’or ». Nom officiel : Muscardinus avellanarius. Version vernaculaire : le muscardin.

Le calendrier écolo révolutionnaire de Reporterre lui rend hommage en baptisant en son nom l’actuel mois de muscardin, qui remplace le mois de mai. L’occasion de revenir sur les nombreuses raisons de s’émerveiller pour ce petit rongeur.

Adroit et bien équilibré, le muscardin est un véritable acrobate des fourrés.  - Frank Vassen / CC BY 2.0 / Flickr via Wikimedia Commons

Adroit et bien équilibré, le muscardin est un véritable acrobate des fourrés. - Frank Vassen / CC BY 2.0 / Flickr via Wikimedia Commons

À commencer par sa discrétion légendaire, qu’il doit notamment à son rythme de vie. « C’est un animal essentiellement nocturne. Beaucoup plus que d’autres rongeurs qui vivent aussi la nuit mais peuvent davantage être aperçus à l’aube ou au crépuscule », explique Christiane Denys, spécialiste des petits mammifères et professeure au Muséum national d’histoire naturelle.

Autre complication pour les observateurs potentiels : à l’instar du lérot et du loir, membres comme lui de la famille des gliridés, le muscardin hiberne de novembre à février. « On pense qu’il sort de léthargie en mars. Mais il peut aussi se remettre ponctuellement à dormir, même en juin, s’il n’y a pas assez de nourriture. C’est une spécificité des gliridés de pouvoir vivre au ralenti en cas de besoin », note Thomas Le Campion, membre du Groupe mammologique breton (GMB), qui observe le muscardin dans la région.

Nid d’hiver et nid d’été

Son long sommeil hivernal, le rat d’or le passe enfoui au fond de son nid, une petite sphère végétale cachée au sol (pour limiter les variations de températures) dans les haies et fourrés. L’été, il a la particularité de changer de nid et habite perché dans les branches. Ce qui contribue encore à le rendre peu détectable : il vit dans les haies, les framboisiers, les ronciers, les noisetiers, les sous-bois en lisière de forêt, denses et à l’abri des regards. Doté d’un pouce opposable, c’est un grimpeur hors pair.

« C’est l’espèce arboricole par excellence ! On le voit sur nos caméras thermiques courir dans les arbres à une vitesse impressionnante. Quand un surmulot monte dans un noisetier, la chute n’a jamais l’air très loin. Le muscardin, lui, est vraiment adapté à la vie sur les branches », dit Thomas Le Campion.

Le muscardin sort essentiellement la nuit. Jan Ebr / CC BY-SA 4.0 / iNaturalist via Wikimedia Commons

Le muscardin sort essentiellement la nuit. Jan Ebr / CC BY-SA 4.0 / iNaturalist via Wikimedia Commons

La plupart du temps donc, ce furtif funambule est impossible à observer. Il faut alors se contenter de traces pour acter de sa présence dans le milieu. Principaux indices : les restes de ses repas. S’il peut manger des insectes, le muscardin est avant tout friand de baies, mûres et, surtout, de noisettes, qu’il a une façon bien à lui de dévorer. Les trous qu’il y laisse sont très réguliers, le bord interne dépourvu de traces de dents : une signature délicate qui le distingue à coup sûr des méthodes du campagnol ou de l’écureuil.

Pour compléter ces traces très indirectes, pas toujours probantes, les naturalistes tentent également de lui confectionner des nichoirs en espérant le voir s’y installer. Plus récemment, le GMB a mis au point un enregistreur automatique d’ultrasons dont les données, traitées par un portail dédié du Muséum national d’histoire naturelle, permettront prochainement d’identifier les cris spécifiques du muscardin, inaudibles à l’oreille humaine. « Il possède plusieurs vocalises et on est loin de tout connaître. Mais celle qu’on tente d’identifier est la plus simple : ça ressemble à un long sifflement crescendo, un peu comme une bouilloire qui monte en pression », s’amuse Thomas Le Campion.

Victime de la compartimentation du monde

Aussi dur à cerner soit-il, le muscardin est menacé. Officiellement, à l’échelle de la France et de l’Europe, où s’étend sa présence, il ne fait l’objet que d’une « préoccupation mineure » sur la liste de l’UICN. Localement, les choses sont plus contrastées : en Picardie, en Bretagne, en Normandie, en Bourgogne, il est « quasi menacé ». En Pays de la Loire, il est déclaré « vulnérable », soit encore un cran plus critique dans les catégories de l’UICN.

De nombreux observateurs témoignent d’un sentiment de raréfaction du petit mammifère, mais, puisqu’il se cache si bien, le décompte rigoureux est impossible. Une étude britannique publiée en 2023 estime la chute des populations de muscardin au Royaume-Uni à 78 %, entre 1994 et 2020. À ce rythme, le déclin aura atteint 90 % en 2034, par rapport à 1994, estiment les chercheurs.

Un « nid d’été » de muscardin, caché entre les branches

Un « nid d’été » de muscardin, caché entre les branches

Aucun chiffre équivalent n’est disponible pour la France, où l’animal est protégé sur l’ensemble du territoire, mais la tendance n’est clairement pas à l’optimisme. À défaut de le suivre directement, on peut mesurer l’effondrement des milieux dont il dépend, notamment les haies et les bocages, qui continuent d’être détruits à grande vitesse par l’agriculture.

« Même lorsqu’elles persistent, les haies sont de moins en moins épaisses. Ce n’est parfois plus qu’un vague alignement d’arbre plutôt qu’une haie. Or, le muscardin a besoin d’un feuillage dense pour évoluer et se protéger des prédateurs », soupire Thomas Le Campion.

« Il n’y a rien qui va dans son sens »

Fragilisé, le milieu du muscardin est aussi de plus en plus compartimenté. Cette rupture de continuité écologique lui est très préjudiciable car, s’il est fin acrobate dans les branches, il est plutôt pataud et très vulnérable lorsqu’il se déplace au sol.

« Il n’y a rien qui va dans son sens, déplore Jean-Paul Thorez. On cloisonne, on compartimente par l’urbanisation et la construction de routes. S’il est venu chez moi il y a 40 ans, c’est parce qu’il y avait le réseau de haies qui l’y avait mené. Ce n’est pas un hasard s’il n’est plus apparu depuis. »

Friand de baies, de mûres et, surtout de noisettes, le muscardin se distingue par sa façon délicate de les manger. xulescu_g / CC BY 2.0 / Wikimedia Commons

Friand de baies, de mûres et, surtout de noisettes, le muscardin se distingue par sa façon délicate de les manger. xulescu_g / CC BY 2.0 / Wikimedia Commons

Le naturaliste habite à La-Neuville-Chant-d’Oisel. Une commune qui se trouve sur le tracé du projet de contournement autoroutier de Rouen. Le tracé de l’autoroute prévoit de détruire une partie de la forêt de Bord et de la scinder en deux, ce qui suscite une vive opposition. Lors des manifestations, la défense du muscardin a été érigée en symbole des luttes et il est devenu l’un des animaux totems des militants, au fil de slogans tels que « Moins de Darmanin, plus de muscardins ! »

« J’ai participé au festival Des bâtons dans les routes de mai 2023, j’étais dans le “cortège muscardin”. C’est un animal qui a sa propre mythologie, craquant et qui peut attirer vite la sympathie. C’est un peu notre panda à nous », raconte Jean-Paul Thorez.

« On ne sait pas tout ce qu’il se trame comme vie dans ces milieux »

« C’est une chance, et même un honneur, de pouvoir croiser son chemin, ajoute Myriam Jouanny. La pollution, le bruit et les destructions engendrées par un tel projet d’autoroute génèrent des dégâts que l’on ne peut pas quantifier. On ne sait pas tout ce qu’il se trame comme vie dans ces milieux, on ne peut qu’imaginer. »

Aux nombreuses inconnues s’ajoute celle des conséquences du changement climatique, sur son hibernation, son rythme de vie, l’évolution de ses ressources en nourriture. « On ne peut pas le compter mais on sait qu’il décline. Ce qui est sûr, c’est qu’avec l’évolution des conditions et de son habitat, la situation ne va pas s’améliorer pour le muscardin », s’inquiète Thomas Le Campion. Vigie des sous-bois, emblème des luttes, le rat d’or témoigne en silence de ce qu’il y a d’inquantifiable et d’ineffable dans la préservation du vivant.

Sur la piste du muscardin, acrobate des sous-bois

Rédigé par ANAB

Publié dans #Protection animale, #Biodiversité de notre région

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S
trop mimi
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A
Oui Sissi, une vraie peluche!<br /> Roland
T
Une véritable merveille de la Nature.
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A
La Nature nous fait de beaux cadeaux, Tol!<br /> Roland
B
Bravo à ceux qui ont pu le prendre en photo ! Pour aller plus loin je vous recommande le N° 59 du journal<br /> La Hulotte.
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A
Merci Bern@rf
S
Il a une belle petite tête <br /> Il est mignon
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A
Oui Sophie, nous aussi on craque pour cette belle bestiole