De l’abondance à l’effacement, cent ans d’observations au Hohneck

Publié le 12 Juillet 2024

Technicien au parc naturel régional des Ballons des Vosges, Arnaud Foltzer présente un alisier nain ( Sorbus chamaemespilus) au-dessus du couloir du Falimont, rongé jusqu’à l’os par les chamois

Technicien au parc naturel régional des Ballons des Vosges, Arnaud Foltzer présente un alisier nain ( Sorbus chamaemespilus) au-dessus du couloir du Falimont, rongé jusqu’à l’os par les chamois

paru sur l'Alsace le 30/6/2024 signalé par Bernard- Merci Bernard

Grâce aux nombreuses observations florales consignées à partir de la fin du XIXe  siècle, des spécialistes ont pu reconstituer l’évolution de la flore d’un haut lieu vosgien de la botanique : le Hohneck. Les résultats laissent apparaître des chamboulements très marqués aux causes plurielles. Parmi lesquelles le chamois.

Des nappes de nuages noirs moutonnent le sommet pelé du Hohneck. Les bourrasques mettent la pagaille parmi les graminées. Arnaud Foltzer indique une arête rocheuse au pied du Petit Hohneck, sur laquelle campent plusieurs cages faites de grillages. À l’intérieur, sourit une lumineuse anémone à fleurs de narcisse, offrant un instant de répit face à la rudesse des éléments.

« Les joyaux de la couronne » : c’est ainsi qu’Arnaud Foltzer, technicien du parc naturel régional des Ballons des Vosges pour la réserve naturelle nationale du Frankenthal-Missheimlé, qualifie la flore du massif du Hohneck. « Avec sa mosaïque d’écosystèmes plus ou moins forestiers et prairiaux, sa flore est l’une des plus diversifiée des Vosges », observe-t-il.

Une flore en pleine mutation

Des générations de botanistes qui scrutent la flore vosgienne se sont usé le binoculaire à la contempler. « Émile Issler, Jean-Baptiste Mougeot et surtout Camille Brunotte et Constant Lemasson [auteurs d’une bible, Le Guide du botaniste au Hohneck , paru en 1893], qui affirment que nulle part ailleurs dans les Vosges, on ne trouve une telle diversité. Grâce à eux et les suivants, plus de cent ans d’observations botaniques font du massif du Hohneck l’un des mieux documentés des Vosges : nous disposons même de descriptions, donnant les emplacements où les plantes ont été trouvées avec la précision d’un GPS », se réjouit le technicien.

 

L’anémone à fleurs de narcisse, plante aussi rare que belle. Elle ne pousse pas ailleurs, dans le massif.
L’anémone à fleurs de narcisse, plante aussi rare que belle. Elle ne pousse pas ailleurs, dans le massif.

L’anémone à fleurs de narcisse, plante aussi rare que belle. Elle ne pousse pas ailleurs, dans le massif.

Une telle manne vient justement de nourrir une étude comparative sur cent ans d’évolution de la flore du Hohneck, portée par la conservatrice de la réserve Emmanuelle Hans et Arnaud Foltzer. « Nous avons retenu 24 espèces à enjeu, certaines figurant sur la liste rouge et présentes uniquement au Hohneck », expose ce dernier. Le résultat ? « Contrairement à l’impression de stabilité que peuvent donner les paysages du Hohneck, cette flore est en pleine mutation. » Le Hohneck d’aujourd’hui n’est plus tout à fait le Hohneck d’hier.

Mille pieds d’anémone en 1997, trois aujourd’hui

L’étude fait état de quatre espèces disparues, dont la linaigrette gracile, la gentiane champêtre et le nénuphar nain, huit en régression, parfois forte comme l’orpin velu dont il reste une seule station et cinq en expansion, comme l’ail victorial et l’œillet superbe. « Il y a cent ans, le lys martagon, espèce ô combien emblématique des Vosges, était encore abondant dans les Spitzkoepfe. Les botanistes utilisaient souvent le terme abondant, pour qualifier les peuplements. »

Aujourd’hui, c’est l’effacement qui s’impose. Le cas de l’anémone à fleurs de narcisse est éloquent : en 1893, elle était commune. En 1997, le botaniste Sébastien Antoine recensait plus de mille pieds sur un seul promontoire rocheux. Aujourd’hui, il n’y en a plus que trois, protégés derrière une cage grillagée : « Elle abrite l’essentiel de la population vosgienne. Une prospection entreprise mi-juin par le Conservatoire botanique d’Alsace n’a permis de localiser qu’une dizaine de pieds, en tout en pour tout… »

La régulation des plantes par les avalanches

Un faisceau de causes serait à l’origine de cette évolution, parmi lesquelles figure le dérèglement climatique. « Quand elles se produisent, les avalanches créent les conditions pour que puissent s’implanter des pionnières, parmi lesquelles les épervières à feuille de chicorée. Une action mécanique leur est essentielle, mais la raréfaction de la neige tend à limiter ce phénomène. »

Une autre raison est liée à l’eutrophisation des sols, à savoir l’accumulation de nutriments, provoquant l’essor de l’ortie aux dépens de plantes typiques des prairies maigres. Les pluies sont un facteur d’eutrophisation reconnu, en transportant de l’azote provenant d’émissions de polluants comme les NOx, des oxydes d’azote émis par la combustion de carburants fossiles et qui se concentrent au fond des cirques glaciaires. Les amendements organiques et autres rejets d’eau usée font le reste.

Le chamois modèle la flore

Une autre cause est un petit ongulé réintroduit dans les Vosges en 1956, le chamois, mascotte du Hohneck. « Depuis cinquante ans qu’il est ici, il modèle le cortège floristique selon ses préférences : il apprécie l’anémone, qui disparaît, mais évite l’amertume de la gentiane, qui s’étend. » Arnaud Foltzer cite le cas de l’alisier nain, désormais moribond sur le secteur à cause des chamois, mais aussi de la neige. « En 1893, il était considéré comme rare. Brunotte et Lemasson ont identifié quelques pieds à l’endroit où je me trouve : ils sont toujours là, mais ils sont moribonds. Auparavant, la couverture neigeuse plus dense recouvrait tout l’arbuste, épar-gnant ses bourgeons de la dent des chamois. Depuis que cette couverture diminue, ses branches sont de moins en moins à l’abri et se font systématiquement ratiboiser, car très appréciées… Il y a trop de chamois dans ce secteur et leur impact sur la flore est évident. »

Ajoutons la main de l’homme : en 1893, l’ail victorial ou ail des cerfs était très rare car apprécié par les paysans pour ses vertus médicinales. N’étant plus vraiment récolté aujourd’hui, il s’épanouit.

Le plan de gestion de la réserve naturelle du Franckenthal-Missheimlé fait l’objet d’une mise à jour, actuellement, pour intégrer ces changements en cascade observés sur la flore. Les cages à anémones interpellent ses gestionnaires : « Faut-il tout grillager pour protéger cette flore exceptionnelle alors que la réserve a été créée dans ce but ? », s’interroge Arnaud Foltzer. Les « joyaux de la couronne » sont quand même plus beaux sans grilles.

Le parc des Ballons des Vosges et la réserve du Franckenbourg-Missheimlé organisent une sortie sur le thème de 100 ans de botanique au Hohneck, le mercredi 10 juillet à 14 h. Inscription au 03 88 01 49 59 ou par courriel s.starck@parc-vosges-nord.fr

Un chamois se promène dans les falaises de la Martinswand, l’un de ses repères dans la réserve naturelle nationale   de Frankenthal-Missheimlé.  Photo Vincent Voegtlin

Chamois ou flore sensible, faut-il choisir ?

Le chamois et les Vosges, c’est une vieille histoire : il était déjà présent au quaternaire, puis a disparu, décimé par les chasseurs préhistoriques. Il a fait un retour remarqué en 1956 au Markstein, lorsque l’Allemagne en a fait un don diplomatique, après la dernière guerre. Il s’est étendu dans toutes les Vosges, en particulier au Hohneck, considéré depuis comme un réservoir à chamois. Mais depuis une vingtaine d’années, les populations auraient fortement diminué dans certaines parties du massif vosgien, selon le président de la commission grand gibier à la Fédération départementale des chasseurs du Haut-Rhin, Jean-Marie Boehly, « au point que les autorités songent à un moratoire, du côté lorrain. Côté alsacien, les quotas ont été abaissés cette année de 400 minimum à 350 bêtes par année. »

Sensibilisée par le parc naturel régional des Ballons des Vosges aux enjeux floristiques du Hohneck, la fédération de chasse a décidé d’augmenter localement les quotas de chasse pour le chamois. « Nous nous alignons sur la position du parc », confirme Jean-Marie Boehly. Tandis qu’un graffiti, écrit sur un panneau d’information au-dessus de la Martinswand, rejette la chasse aux mascottes…

Lys martagon, une essence emblématique des Vosges. Qui tend à disparaître lui aussi, mais plutôt par la faute des promeneurs…

Lys martagon, une essence emblématique des Vosges. Qui tend à disparaître lui aussi, mais plutôt par la faute des promeneurs…

Jour venteux au Hohneck. Nous voici au-dessus du cirque du Falimont, au cœur de la réserve naturelle nationale du Frankenthal-Missheimlé. Les rochers de la Martinswand sont devant, avec un chamois juste en dessous (non visible sur la photo). Le secteur du Hohneck est connu de longue date pour accueillir une flore très diversifiée. Il est l’un des secteurs les plus riches, pour sa diversité botanique, du massif vosgien

Jour venteux au Hohneck. Nous voici au-dessus du cirque du Falimont, au cœur de la réserve naturelle nationale du Frankenthal-Missheimlé. Les rochers de la Martinswand sont devant, avec un chamois juste en dessous (non visible sur la photo). Le secteur du Hohneck est connu de longue date pour accueillir une flore très diversifiée. Il est l’un des secteurs les plus riches, pour sa diversité botanique, du massif vosgien

Plusieurs facteurs d’évolution ont été mis en avant. Parmi lesquels la diminution du manteau neigeux qui diminue l’intensité des avalanches. Or celles- ci ont le mérite de créer des couloirs d’avalanche qui suppriment la végétation en place au profit de plantes pionnières, comme l’épervière, qui ne supportent pas la concurrence. Or celles-ci disparaissent

Plusieurs facteurs d’évolution ont été mis en avant. Parmi lesquels la diminution du manteau neigeux qui diminue l’intensité des avalanches. Or celles- ci ont le mérite de créer des couloirs d’avalanche qui suppriment la végétation en place au profit de plantes pionnières, comme l’épervière, qui ne supportent pas la concurrence. Or celles-ci disparaissent

Cet alisier nain (Sorbus chamaemespilus) avait été identifié par les botanistes en 1893. Depuis il ne s’est pas développé, s’est même rabougri au point de mourir, parce que les chamois l’apprécient tout particulièrement et que la neige ne recouvre plus complètement ses bourgeons, en hiver, les laissant à la portée des ongulés.

Cet alisier nain (Sorbus chamaemespilus) avait été identifié par les botanistes en 1893. Depuis il ne s’est pas développé, s’est même rabougri au point de mourir, parce que les chamois l’apprécient tout particulièrement et que la neige ne recouvre plus complètement ses bourgeons, en hiver, les laissant à la portée des ongulés.

Rédigé par ANAB

Publié dans #Biodiversité de notre région, #Pollution-pesticides

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T
Merci pour cet article très intéressant.
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A
Merci Toll