A-t-on raison de craindre ces si petites bêtes que sont les insectes ?
Publié le 30 Août 2024
Les soies de la chenille processionnaire du pin (Thaumetopoea pityocampa) sont chargées de toxines urticantes pour les humains. Les soies de la chenille processionnaire du pain (Thaumetopoea pityocampa) sont chargées de toxines urticantes pour les humains.
Les moustiques, des volants hors pair
Zzz. Réveillé en pleine nuit par son agaçant bourdonnement, vous avez forcément rêvé d’en venir à bout. Ses piqûres nous démangent, et il peut être vecteur de maladies comme le paludisme, la dengue, la fièvre jaune, le chikungunya, ou encore le virus Zika, causant la mort chaque année de plus de 750 000 personnes dans le monde. En réalité, parmi les 3 600 espèces de moustiques recensées sur la planète, présentes pour certaines depuis plus de 100 millions d’années, moins de 200 piquent régulièrement les humains et seules cinq sont impliquées dans la transmission des maladies graves citées.
« Seules les femelles piquent : elles pompent notre sang pour trouver les acides aminés nécessaires à la maturation de leurs œufs », éclaire Frédéric Simard, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement. L’idée d’un monde sans moustique relève selon lui d’une « utopie complète » : « Le fantasme du tout-insecticide a vécu. On sait aujourd’hui que la priorité est de protéger les gens et leur environnement », explique-t-il. Car le moustique assure « des fonctions écologiques » dont on n’a pas idée. Au sein de la chaîne trophique tout d’abord, il alimente, sous forme de larves aquatiques ou d’adultes, de nombreux oiseaux, chauves-souris, araignées, poissons et d’autres insectes.
Le moustique, qui se nourrit du sucre des plantes, pollinise en outre les fleurs – bien que l’on ne sache pas exactement en quelle proportion. Il participe aussi au recyclage de l’azote, « en filtrant les eaux et en évitant le croupissement des milieux », ajoute Frédéric Simard. Enfin, sachez que leur bruit n’est pas à proprement parler une nuisance : le moustique opère en moyenne 800 battements d’ailes par seconde. Un rythme quatre fois plus rapide que celui des autres insectes volants équivalents, qui lui permet de se maintenir dans les airs et aux mâles et femelles de se reconnaître en période de reproduction.
Les chenilles processionnaires, des as du fil d’Ariane très sociables
C’est un spectacle impressionnant à observer… à distance. Car gare à leurs poils redoutablement urticants pour la peau, mais aussi pour les yeux ou les voies respiratoires ! De l’automne au printemps, la chenille processionnaire du pin, qui vit en groupe, construit des nids de soie. « Contrairement à la plupart des insectes, elles ne ralentissent pas leur métabolisme et se développent malgré le froid. Exposé au soleil, un nid voit sa température monter jusqu’à 20°C en plus, décrit Jérôme Rousselet, chargé de recherche en entomologie forestière à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement : un formidable radiateur solaire. »
À noter que « 60 autres espèces », comme des araignées, en profitent pour rester au chaud elles aussi. Les chenilles sortent uniquement la nuit pour se nourrir d’aiguilles de pin. Toujours à la queue leu leu, d’où leur nom. « Les larves tissent ce que l’on pourrait nommer un fil d’Ariane. Il les aide ensuite à retrouver leur chemin vers le nid », précise-t-il. Seules les mésanges, qui raffolent de ces chenilles et ne craignent pas leurs soies chargées de toxines libérées en cas d’agression, parviennent à percer l’enveloppe du nid.
À l’inverse de la chenille processionnaire du pin, qui s’enterre dans le sol pour devenir une chrysalide avant de se transformer en papillon de nuit, celle du chêne, qui se développe entre avril et juin, reste sur l’arbre. Les deux espèces prolifèrent et ont été classées nuisibles pour la santé en 2022. « Le problème, ce n’est pas les chenilles en tant que telles, mais leur présence qui partout s’accroît », tient à rappeler le spécialiste. Les causes – au moins pour la première espèce – sont à la fois le dérèglement climatique « qui a favorisé son développement » et les plantations ornementales de pins « qui lui ont permis de se propager sur le territoire en dehors des forêts », énumère-t-il.
Le frelon à pattes jaunes, fabricant de pâte à papier
En voici une espèce qui a mauvaise réputation : avec un nom à consonance étrangère et associé à ses vilaines piqûres, le frelon asiatique, classé espèce exotique envahissante par l’Union européenne, est souvent érigé comme ennemi numéro 1. C’est pourquoi l’entomologiste François Lasserre, vice-président de l’Office pour les insectes et leur environnement, aime à rappeler que les premières générations de frelon à pattes jaunes – leur vrai nom – sont arrivées en France en 2004. On retrouve aujourd’hui l’espèce partout sur le territoire, sauf en Corse et en France d’outre-mer.

Sa technique de chasse est particulièrement efficace. Positionné en vol stationnaire devant une ruche, il attend la sortie des abeilles avant de foncer dessus et d’en attraper une. Non seulement il réduit ses effectifs, mais il affaiblit la ruche, obligée de limiter le nombre de sorties. « Nos abeilles se défendent mal parce qu’elles ont été affaiblies par des siècles d’élevage, avec des programmes de sélection qui ont privilégié des lignées peu agressives, leurs maladies, parasites, etc. », contextualise le scientifique. Son agressivité est en revanche plus faible qu’on l’imagine : « l’animal est aussi inoffensif qu’une abeille domestique, une guêpe commune ou un frelon d’Europe lorsqu’il est en dehors de son nid, à environ 5 m », insiste-t-il.
Fait moins connu, le frelon à pattes jaunes dévore aussi volontiers des mouches, des guêpes sociales et des pyrales du buis dès lors qu’il s’éloigne des villes et que l’offre d’insectes est plus importante. Comme toutes les guêpes, l’insecte pollinisateur butine en outre le nectar des fleurs et recycle le bois mort en le mouillant pour construire son nid. Enfin, contrairement aux idées reçues, sa piqûre n’est pas plus inquiétante que celle d’une guêpe (hors allergie). « Il faudrait 50 piqûres pour que cela soit dangereux, et environ 500 piqûres pour tuer quelqu’un », précise sur son site internet le Muséum national d’histoire naturelle.
Les sangsues, des vers attachants à l’appétit vorace
On la craint particulièrement lors de la baignade en eau douce… Par son aspect peu reluisant, gluant et gesticulant, cette suceuse de sang dégoûte la plupart d’entre nous. La sangsue n’a pourtant rien d’un monstre. Il existe à travers le monde environ 650 espèces différentes de ce ver d’eau hermaphrodite, dont une petite quarantaine recensée en France depuis 2015 par le Muséum et l’Inventaire national du patrimoine naturel. Leur corps est composé de plusieurs anneaux, avec une ventouse à chaque extrémité.
Seules deux espèces ont toutefois de quoi s’agripper à un mollet. La plupart des autres préfèrent les grenouilles, les poissons ou les oiseaux. La plus connue est sans doute l’Hirudo medicinalis, la sangsue médicinale, qui possède trois mâchoires comparables à des scies, chacune agrémentée d’une centaine de dents. L’être humain vante depuis l’Antiquité ses vertus guérisseuses ; au XIXe siècle, il n’était pas rare de trouver dans les fermes un bocal de ses sangsues « pour pouvoir procéder à des saignées médicales », relève Pierre Noël, expert en crustacés du Muséum, auteur de la fiche consacrée à l’espèce par l’institution.

Les finalités de traitement pouvaient aller de la tuberculose à des troubles mentaux en passant par la pneumonie – aussi diverses que pas toujours utiles, voire néfastes… Toujours est-il que victime de son succès, pêchée activement, l’espèce a failli disparaître d’Europe. Depuis, les prélèvements dans la nature ont laissé place à l’élevage, et la science en a appris davantage sur ses prétendues propriétés curatives. Lorsqu’une sangsue mord, elle aspire lentement le sang et injecte par sa salive des composés anti-inflammatoires et une substance anticoagulante puissante, l’hirudine. Puissante au point que, dans nos hôpitaux, on en trouve encore dans les frigos, pour des cas de chirurgie réparatrice précis.
Les blattes, cafards quasi invincibles
La surprendre en pleine nuit dans sa cuisine a de quoi donner le cafard. La blatte germanique ne subsiste que dans les environnements chauds et humides. Originaire d’Asie – contrairement à ce que son nom pourrait laisser penser –, de couleur marron, elle s’est progressivement répandue en Europe avec les transports et la popularisation du chauffage domestique. Il ne faudrait donc pas la confondre avec la plupart des autres espèces de blattes, qui vivent à l’extérieur. Parmi les 5 000 espèces que compte la planète, une vingtaine existent en France, et 3 apprécient particulièrement l’atmosphère de nos maisons, explique l’entomologiste François Lasserre.
Sa réputation de petite bête ultrarésistante, quasi invincible, la précède. Elle figure parmi les espèces dont les ancêtres sont les plus anciens insectes apparus sur Terre. Une équipe de chercheurs états-uniens a trouvé un fossile vieux d’environ 300 millions d’années, soit bien avant l’ère des dinosaures. Il faut dire que la blatte est un animal « à la fois omnivore et détritiphage (elle se nourrit de débris animaux ou végétaux, d’excrément) qui n’a pas besoin d’aliments spécifiques pour survivre », relève le vulgarisateur. D’autres enquêtes montrent également que l’insecte développe depuis les années 1950 des résistances aux insecticides, ou modifie son comportement pour ne pas tomber dans le piège, afin de survivre.

La structure de sa carapace lui permet en outre de s’aplatir complètement pour passer sous les décombres ou dans les plinthes. Remarquable coureuse, elle fuit également la lumière à une vitesse pouvant aller jusqu’à 6 km/h ! En bref, des capacités remarquables qui inspirent les chercheurs en robotique : une équipe nippo-singapourienne a, par exemple, développé un système électronique capable de contrôler les mouvements de l’insecte afin qu’il aille épauler les secouristes, lors des catastrophes naturelles, dans la recherche des disparus.
Les araignées, des alliées insoupçonnées
Second non-insecte de cet inventaire, cette petite bête solitaire à quatre paires de pattes, souvent associée aux sorcières, connaît aussi son lot de légendes urbaines. L’araignée serait susceptible de nous mordre ou de pondre sous notre peau ; nous pourrions en avaler en dormant ; sa présence serait synonyme de saleté… Soyez tranquille : toutes sont fausses. « Cette peur des araignées est très culturelle et n’existe pas partout dans le monde », remarque Christine Rollard, arachnologue au Muséum et autrice de multiples ouvrages sur le sujet.

Essentiel à l’équilibre biologique, présent sur Terre depuis environ 300 millions d’années, cet animal venimeux est un prédateur carnivore qui joue un rôle d’insecticide naturel précieux. Les araignées pourraient avaler jusqu’à 400 millions d’insectes par hectare et par an. Certaines se mangent même entre elles, ce qui contribue à leur autorégulation. Parmi les plus de 52 000 espèces différentes identifiées à ce jour, la très grande majorité sont inoffensives pour les humains. Ça tombe bien : la petite dizaine d’espèces qui apprécient particulièrement de squatter nos intérieurs et de grignoter leurs « indésirables » – moustiques, mouches, mites, blattes – en font partie.
La plus courante est la tégénaire, reconnaissable à son corps mesurant environ 1,5 cm et ses longues pattes sombres et velues. « Comme la plupart des araignées, elle a huit yeux et est très “sensorielle” percevant les vibrations et les odeurs autour d’elle grâce aux soies réparties sur ses pattes », décrit Christine Rollard. Cette espèce appartient à la famille des araignées qui tissent une toile en forme de nappe prolongée par un entonnoir dans lequel l’animal se repose durant la journée. Elle ne se poste à l’entrée, pattes étalées sur la nappe, qu’à la nuit tombée, attendant passivement les proies qui passeraient sur son piège soyeux. Pensez-y la prochaine fois que vous serez tenté de passer un coup de balai !
Les fourmis, les génies de l’organisation collective
Lorsqu’elles s’invitent dans notre cuisine, on n’hésite pas à les écraser. Voilà pourtant des animaux qui nous fascinent davantage qu’ils nous dégoûtent. Si leur cerveau n’est pas plus grand qu’une tête d’épingle, les fourmis sont des insectes capables de prouesses extraordinaires. Elles peuvent transporter jusqu’à 15 fois leur poids et construire des autoroutes sur des centaines de mètres. Certaines pratiquent l’agriculture, cultivent des champignons ou élèvent des pucerons, d’autres réalisent des actes chirurgicaux et amputent leurs congénères blessées…
À ce jour, 15 000 espèces ont été décrites, et il en existe au moins le double selon Audrey Dussutour, myrmécologue au Centre de recherches sur la cognition animale de l’université Paul-Sabatier de Toulouse, et coautrice de l’ouvrage l’Odyssée des fourmis (Grasset, 2022) : « Elles sont présentes partout sur la planète, excepté en Antarctique, depuis au moins 180 millions d’années. » Selon les espèces, la taille des colonies diffère de quelques dizaines à plusieurs millions d’individus. Leur composition est toutefois globalement toujours la même : il y a la ou les fourmis mères, la « reine » et les ouvrières, ses filles stériles et chargées d’œuvrer à la survie de la colonie. (Les mâles (que l’on confond souvent avec des moucherons) n’ont qu’un rôle reproductif et n’ont pas droit de séjour dans la colonie après l’accouplement : ils s’envolent généralement au printemps.)

« On compare souvent leur organisation à une société, mais l’analogie la plus adaptée est celle d’une famille. Le sens du collectif et l’esprit de coopération des fourmis ouvrières issues de la même colonie s’expliquent par le fait qu’elles partagent une grande proximité génétique (jusqu’à 75 %) », précise la chercheuse. En fonction de l’expérience et de l’âge de chacune, les rôles sont ensuite répartis. Les « soldates » protègent la colonie, les « nourrices » élèvent leurs sœurs et les « charpentières » creusent par exemple les galeries. « Quant à la récolte de nourriture, elle est généralement réservée aux fourmis en fin de vie, car il s’agit d’une tâche dangereuse : les fourmis peuvent mourir de soif, se perdre, se faire écraser ou tuer par un prédateur », décrit la spécialiste.
Les punaises, des nettoyeuses des jardins
Il s’agit d’une petite bête que l’on va avoir du mal à présenter sous son bon côté ! Qu’elle soit rouge foncé ou verte, on n’en veut surtout pas dans nos lits ni dans nos jardins. Les démangeaisons et les boursouflures provoquées par les piqûres des punaises de lit ; les dégâts causés dans le potager et l’odeur nauséabonde de la punaise verte lorsqu’on l’écrase… Elle fait sans aucun doute partie des insectes qui alimentent le plus nos angoisses et notre paranoïa. Mais halte aux amalgames : toutes les punaises ne sont ni des vampires ni des fléaux pour les cultures. Il en existe plus de 35 000 espèces répertoriées dans le monde.
Certaines vivent sur la terre ferme et d’autres en milieu aquatique. Leurs couleurs varient selon les familles. « Les punaises se caractérisent principalement par leur appareil buccal dit piqueur-suceur. Elles se nourrissent ainsi de sang, de petits insectes, ou bien, et c’est le cas de la grande majorité d’entre elles, de la sève des végétaux », définit l’entomologiste Éric Guilbert, spécialiste de l’insecte au Muséum national d’histoire naturelle. Autre particularité : leur fameuse mauvaise odeur. « Cela n’arrive pas que lorsqu’on les écrase. Les punaises vident leurs glandes odoriférantes lorsqu’elles se sentent menacées. Le mécanisme leur permet de se défendre », relate-t-il.

Le spécialiste aime à rappeler que la majorité des punaises sont « inoffensives pour l’être humain » – y compris les punaises de lit, dont la piqûre ne présente aucun danger ! Certaines espèces peuvent même être de puissants alliés. Exemple avec les gendarmes, aisément reconnaissables à leurs bandes rouges et noires, qui se régalent des graines que l’on ne récolte pas, et qui vont s’attaquer aux cochenilles et aux pucerons qui abîment nos cultures.
Les mouches, redoutables éboueuses pas si louches
La première image qui nous vient à son évocation est loin d’être ragoûtante… Synonyme de souillures ou d’agacements lorsqu’elle vole trop près de nos oreilles, souvent associée à la putréfaction des cadavres, la mouche est particulièrement mal-aimée dans nos imaginaires. Il semble pourtant difficile d’imaginer un monde sans elle. Incluses dans l’ordre des diptères, au même titre que les moustiques ou les taons, les mouches représentent environ 15 % de la biodiversité sur Terre (contre 0,5 % pour les mammifères !).
Nombreux et essentiels sont par ailleurs les services que les 80 000 espèces de mouches recensées rendent à l’humanité. Formidables éboueuses de la nature, les mouches nous débarrassent d’un certain nombre de déjections animales et de cadavres. Elles sont également de précieuses pollinisatrices, notamment en zones montagneuses, où les abeilles ne vont pas toujours. Enfin maillon indispensable de la chaîne alimentaire, les mouches, aussi bien au stade larvaire qu’en tant qu’adulte, servent de nourriture à de nombreuses espèces d’oiseaux, d’insectes et de mammifères. À noter que plusieurs entreprises aujourd’hui en Europe misent sur la mouche soldat noire pour produire des farines alimentaires à destination notamment des poissons d’élevage.

Antennes olfactives, yeux globuleux et soies des pattes confèrent à la mouche domestique une agilité remarquable.
Enfin battons en brèche l’idée reçue selon laquelle la mouche, indépendamment des germes pathogènes et des parasites qu’elle peut parfois transporter, serait sale : l’insecte passe son temps à se frotter les pattes afin d’éviter que la moindre poussière rende ses soies sensorielles qui les recouvrent moins précises. Combinées à des antennes olfactives et à des yeux globuleux avec une vision à 360 degrés, ces soies dotent les mouches d’une agilité remarquable. Plutôt pratique lorsqu’il s’agit d’éviter nos coups de tapettes !