Réponse de géologue au quizalpes Anab: géologie roches métamorphiques dans le Queyras
Publié le 25 Août 2024
ARTICLE réponse 2/2 au quizalpes Anab du jeudi 22 août
Ce quiz était à double entrée. L’approche peut être celle du zoologue qui aura remarqué une forme vivante au centre du cliché.
Elle a également attiré l'œil du photographe lorsqu’il a débouché sur cette crête alpine à plus de 3000 mètres d’altitude. Un autre regard possible est celui du géologue de terrain qui s’aventure dans cet environnement rocheux singulier.
En fin de compte, il est possible de porter un regard de naturaliste qui s’intéresse autant à l’environnement (biotope) qu’aux êtres qui l’occupent.
2.2 Réponse de géologue
Commentaire de la vue en plongée (photo-quiz 2)
Au premier plan, la végétation est plus que rare, une roche noire avec des surfaces verdâtres, parcourue de veines blanches, se débite en blocs anguleux. Plus loin, se présentent un couloir d’avalanche et des blocs couleur rouille: cette roche massive, très sombre est caractéristique d’un ensemble magmatique qualifié d’ultramafique (ma- pour magnésium et -fique pour le fer ferrique) ou ultrabasique car pauvre en silice et riche en magnésium, fer et calcium. A l'arrière-plan, en réalité en contrebas, figure un éperon rocheux formé de couches claires (dalles) d’aspect schisteux ( photo- quiz 1 prise de profil) caractéristiques d’un domaine sédimentaire.
Pour les «sachants», il s’agit d’un affleurement d’ophiolites et de sa couverture comme il en existe en zone piémontaise des Alpes…
1) Quelle est la particularité de ce site?
Il se situe dans le Queyras, au fond de la vallée de l'Aigue Blanche (connue pour abriter, à 2040 mètres d’altitude, Saint-Véran, le plus haut village d’Europe). Après une approche longue de 7 km réalisable en partie en navette, l'accès aux hauteurs se fait par un sentier en lacets qui démarre à 2500 m environ, grimpe dans le cirque glaciaire dominé par la Tête des Toillies (3175 m ou Pic des Étoiles ou Tête de la Noire), puis remonte en raidillon la paroi du cirque avant d'atteindre le Col de la Noire (2956 m). De là, le cheminement le long de la crête ouest (petite Tête des Toillies), par une sente rendue instable après la fonte des névés, permet de gagner la base du Pic des Étoiles, et enfin sa crête sud ( 3080 m).
Photo prise avant l’arrivée au col. Au cours de la traversée sommitale, on côtoie plusieurs ensembles rocheux qui sont successivement des péridotites transformées en serpentinites noires à surfaces polies vertes ou rugueuses et rouges (cf photo-quiz 2 - bouquetin), donnant à la montagne un éclat gras sous le soleil, un piton de gabbro, roche grise à brune présentant des cristaux et enfin le pied (éboulis) de la Tête des Toillies qui comporte un flanc de roche grise en basalte et une coiffe de strates quasi verticales de calcschistes gris. Ces derniers recouvrent également l'arête de la crête sud avec des passages de marbres blonds. Vue de là haut, la partie inférieure du pic est remarquable, elle offre une paroi faite de tubes et de coussins de lave.
Passage sous la Petite Tête des Toillies (3039 m) formée de péridotites serpentinisées (métapéridotites). La roche fissurée se fragmente en blocs à surfaces verdâtres riches en minéraux transformés par l’action de l’eau de mer au contact de la roche initialement chaude (métamorphisme hydrothermal). De ce fait, le nom des roches concernées est souvent précédé du préfixe « méta ».
Piton de métagabbro. Le magma issu de la fusion (très) partielle de péridotites profondes s’est frayé un chemin vers la surface et a subi dans ce cas un refroidissement lent permettant une cristallisation visible à l’œil nu. Le métamorphisme ne l’a pas épargné, pas plus que l’altération actuelle en surface.
Depuis la crête sud sous le Pic des Toillies. La couverture sédimentaire qui couvre la série ophiolitique est réalisée au départ par des boues calcaires et des argiles présentes en proportions variables. Par transformation, ces roches «initiales » donnent des calcschistes à débit en dalles. A noter la présence d’une végétation rare entre les blocs. A droite, la nebbia remonte côté italien.
Face sud de la base du Pic des Toillies. La paroi présente un assemblage de blocs en coussins et en tubes qui correspondent à un épanchement de laves basaltiques en milieu aquatique (pillow lavas). On retrouve la coloration verdâtre à brune de la roche transformée en métabasalte. Dans le coin inférieur droit un piton de serpentinites.
L'association de ces trois roches de couleur sombre ( roches vertes pour les uns, roches noires pour les locaux /rocca nera) a longtemps intrigué les géologues jusqu'à ce que les observations réalisées lors des campagnes océanographiques (Banc de Gorringe en 1977, Faille Vema en 1987-1988...) apportent les réponses aux hypothèses initiales.
Le massif des Toillies correspond à un fragment de socle océanique inclus dans les sédiments de mer profonde et perché au cœur des Alpes. Il en existe toute une série qui jalonne la partie centrale de l’arc alpin. Depuis la crête, il est possible de voir par temps clair, un géant du secteur, le Mont Viso (3841 m).
Ces écailles hecto- à kilométriques de roches vertes ou d'ophiolites (roches évoquant la peau de serpent) coïncident avec des “sutures” océaniques, c'est-à-dire les cicatrices nées du rapprochement entre deux plaques (lithosphériques), en l'occurrence la plaque européenne (eurasienne) et la micro-plaque apulienne (adriatique). Ce rapprochement s'est accompagné de la disparition du plancher océanique de l’océan alpin ou liguro-piémontais dans le manteau terrestre ( = subduction). Il a abouti à la collision des continents à l’origine de la chaîne alpine.
2) Comment ce panneau de socle océanique a-t-il gagné cette altitude?
Échantillons d’ophiolites queyrassines sous forme de galets (1 à 4) et de fragment (5).
1 : Métabasalte : roche d’origine volcanique sombre et dense. Le refroidissement rapide de la lave a limité la cristallisation à des paillettes microscopiques noyées dans un verre amorphe.
2 : fragment de bord externe d’un coussin de lave basaltique. Lorsque la lave sortie des fissures entre en contact avec l’eau de mer à quelques degrés, elle se fige rapidement. Les bulles de gaz restent emprisonnées sous la croûte en formation et donnent cet aspect vacuolaire, microcristallin par la suite. Ces pierres sont connues sous le nom de variolites de la Durance.
3 et 4 : métagabbros à des degrés différents de cristallisation (Gabbro et basalte ont la même composition). En 4, les cristaux sombres de pyroxène présentent une auréole de déstabilisation qui contient des minéraux de métamorphisme comme le glaucophane. Ils sont responsables de la teinte bleuâtre de la roche
5 : serpentinite. Alors que les roches précédentes forment la croûte océanique, issue de la fusion partielle du manteau profond, les péridotites / serpentinites présentes constituent le manteau « appauvri » par ce magmatisme.
Les études approfondies basées sur la microscopie, la géochimie... de ces roches ont fourni des résultats révélateurs d’une histoire singulière.
Elles démontrent que les terrains qui affleurent dans ce secteur ne sont pas simplement des lambeaux de fond océanique passés de l’altitude - 3000 mètres à l’altitude + 3000 mètres. En réalité, ces roches ont effectué un « petit détour » à une profondeur voisine d’une vingtaine de km, dans le domaine de pression et de température que nécessite la formation du glaucophane.
Evolution des roches révélées par les études
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Il existe des noms spécifiques pour certaines de ces roches.
Tectonique des plaques à l’échelle alpine. Modèle synthétique de fonctionnement (très schématique)
L es plaques s’écartent au niveau de la zone de divergence, mettant à l’affleurement le manteau MA (en violet), le vide est comblé par une remontée de péridotites mantelliques déformables profondes et chaudes MA (en violet). A certains moments, du magma s’en extrait, il est à l’origine de poches de gabbro et d’épanchements sous-marins de basalte. Cette expansion est très lente (dorsale lente de type Atlantique). Les roches citées subissent à des degrés divers un hydrothermalisme responsable de la formation d’un cortège de roches vertes ( domaine des schistes verts). Au-dessus de cette croûte C s’accumulent des sédiments S (trait bleu). Lorsque le manteau supérieur refroidit en s’éloignant de la dorsale, il gagne en épaisseur, en rigidité et en densité ML (en vert) ce qui l’amène à sombrer dans le manteau chaud déformable (= subduction / à droite du schéma). Les sédiments S (en bleu) sont boutés au pied de la marge continentale et forment un prisme d’accrétion Pa, une partie est entraînée en profondeur et sous-plaquée (bleu sombre). Il en est de même des écailles de croûte Ec arrachées au cours de la descente. Ces roches subissent un métamorphisme II plus ou moins intense selon la profondeur atteinte.
Lorsque la collision des continents se produit, le prisme est pris en étau entre les panneaux chevauchants, porté en altitude par les effets de la tectonique et livré à l’érosion. C’est surtout l’érosion glaciaire qui va mettre en relief les masses d’ophiolites plus résistantes que les schistes lustrés environnants.
D’autres massifs ophiolitiques aux assemblages variés existent dans le Queyras. Près de Montgenèvre se trouve un lambeau de croûte océanique ayant échappé au métamorphisme II : il n’a pas connu la subduction étant passé directement « par-dessus la pile », alors que côté italien, les unités ont été charriées à de très grandes profondeurs (Mont Viso...)
Et pour terminer, le clin d’œil du botaniste
L’ultime montée avant d’atteindre le pied du pic et la crête sud. Sur l’éboulis ancien, la végétation propre à l’étage nival a colonisé les interstices entre les blocs. Des plantes en coussinet adaptées aux conditions extrêmes (silène acaule) et quelques graminées offrent un spectacle vivant de courte durée et un garde-manger pour les bouquetins.
“ L'air de rien on n'est pas mal tout là haut
On goûte aux étoiles tout là-haut”.
(Paroles de chanson. Tout Là-Haut par Zaz).
Texte, photos et bibliographie Étienne Feuchter (Anab)
Bibliographie , webographie. Pour approfondir le sujet
-Géoportail :Carte topographique et géologique.
- Notice explicative, Carte géologique. France (1/50 000), feuille ... La carte Aiguilles-Col Saint-Martin (2003)
-Stéphane Schwartz. La zone piémontaise des Alpes occidentales : un paléo-complexe de subduction: Arguments métamorphiques, géochronologiques et structuraux. Univ J Fourier Grenoble
Sur Planet-Terre : auteur S Schwartz
-Prisme d'accrétion dans les Alpes 2004
-Un métagabbro peut-il présenter en même temps glaucophane et chlorite 2004