Vers luisants… et la lumière fut !
Publié le 20 Août 2024
Paru sur lavie le 31/72023
L’été, vers luisants et lucioles illuminent nos soirées. Marcel Koken, spécialiste de la bioluminescence, nous éclaire sur ces espèces.
Après le coucher du soleil, des étincelles vivantes dansent parfois dans l’obscurité des prairies et des friches. C’est comme si la terre était soudain saupoudrée d’infimes poussières d’étoiles. « Je peux m’asseoir et regarder pendant une demi-heure le spectacle des vers luisants ou des lucioles qui scintillent dans un champ ! Leurs flashs, les lueurs jaunes et vertes, c’est tout simplement magnifique », s’embrase Marcel Koken, chercheur en biologie moléculaire au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste de la bioluminescence.
Dans son bureau où il nous reçoit, à Plouzané, une commune près de Brest, l’heure n’est pas encore à l’ouverture du bal de ces fugaces loupiotes. Dans un aquarium, quelques poissons filent comme des astres, dans une eau piquetée d’imperceptibles crevettes bleues. « Le bleu est très rare dans la nature », souligne Marcel Koken, en nous accueillant.
En ce début d’été, l’émerveillement tarde dans le Finistère. « Nous devrions être en pleine période d’observation, mais on ne comprend pas ce qu’il se passe… Il n’y a presque pas de vers luisants sur l’île de Groix, qui est pourtant un paradis pour eux. La sécheresse, sans doute, et le fait qu’il fait beaucoup plus chaud… », s’inquiète ce scientifique néerlandais. Installé en Bretagne depuis 2000, il est à l’origine de la fondation en 2015 d’un Observatoire des vers luisants et des lucioles (OVL), un programme de sciences participatives initié avec le groupe associatif Estuaire, une organisation de protection de l’environnement basée à Talmont-Saint-Hilaire, en Vendée. « Actuellement, nous effectuons environ 15 000 observations par an en France. Il est certain que les vers luisants et les lucioles sont en régression ! ».
Vers luisants ou lucioles ? Les naturalistes en herbe confondent souvent ces coléoptères, qui appartiennent à la famille des lampyridés. Quatorze espèces existent en France, plus une nouvelle venue, une luciole d’origine sud-américaine : le lampyre corselet marqué (Photinus signaticollis), observé pour la première fois en 2020 à Maureillas-las-Illas, dans les Pyrénées-Orientales. Une invitée sans gêne qui se déplace de 10 km par an et qui, très vorace, engloutit des vers de terre…

« Chez les vers luisants, qui présentent un dimorphisme sexuel, les femelles sont dépourvues d’ailes (aptères). Elles émettent une lumière continue pour attirer les mâles, qui possèdent des yeux hypertrophiés. Précisons que les mâles d’une espèce appelée Lamprohiza splendidula peuvent faire un peu de lumière, mais très faible. Chez les lucioles, en revanche, le mâle et la femelle sont ailés et bioluminescents. Ils diffusent une lumière clignotante, sous forme de flashs », précise Marcel Koken.
Spécialisé dans la bioluminescence, la capacité de certains organismes vivants à produire et à émettre de la lumière, le scientifique décrit avec force détails ce mécanisme. Un fascinant et complexe phénomène chimique de « lumière biologique » que l’on se contentera ici de résumer, tant il nous semble plus simple d’appuyer sur un interrupteur pour faire de la lumière ! La bioluminescence résulte d’une réaction entre une molécule, la luciférine, une enzyme, la luciférase, et l’oxygène.

Larves de Keroplatidae, des mouches aux allures de moustiques, de type tipule, qui sont appelés "vers luisants" en Nouvelle Zélande.
« La bioluminescence possède trois fonctions : se défendre, attaquer et communiquer. Dans le cas des vers luisants, elle permet aux femelles d’attirer un partenaire sexuel. Elle sert à se reproduire, mais aussi à informer les prédateurs qu’ils sont toxiques. Peu d’animaux se risquent à les manger. Quelques chauves-souris, des grenouilles… Même un crapaud, qui est un insatiable gourmet, ne mangera jamais de vers luisant », rappelle le chercheur. Passionné, volubile, Marcel Koken a notamment travaillé sur un poisson des abysses, le Malacostus niger, qui aime se faire remarquer. « Toutes les autres bêtes des grands fonds émettent une lumière bleu-vert, il est le seul à produire une luminescence rouge ! ». Si la bioluminescence est rare sur la terre, observable chez quelque 2 000 insectes, des champignons et des vers de terre, elle est répandue sous les eaux. « Tout est fait de lumière dans les océans ! Méduses, poissons, crustacés… Entre 150 m et 1 500 m de profondeur, environ 80 % des bêtes font de la lumière ».
Retour sur le rivage, où malheureusement l’avenir paraît s’assombrir pour les vers luisants et les lucioles. Marcel Koken se souvient des récits de son père qui pouvait autrefois admirer les brillances de 120 vers luisants dans une seule haie, comme si elle rayonnait sous les reflets de fragments d’émeraudes. « Les pesticides, soyons clairs et nets : c’est mauvais ! Les limacides sont également néfastes pour les larves, qui se nourrissent de gastéropodes. Les fauchages sont une ineptie absolue. Et que dire de la pollution lumineuse ! », s’enflamme encore le savant.
Les lumières nocturnes sont une menace pour les insectes, en exposant le funeste appât de la lumière blanche des LED, qui les captive et les désoriente. Les mâles, abusés par l’éclat de ces chandelles artificielles, vont délaisser leurs compagnes habituelles pour conter fleurette à la très grande et sinistre luciole : le lampadaire public ! Une catastrophe pour Marcel Koken, qui s’applique avec ardeur à tenter de déchiffrer ces féeriques signaux que s’adressent vers luisants et lucioles. Le morse enchanteur de leurs farandoles est une énigme. « Il y a encore tellement à découvrir sur les danses de ces bestioles qui crépitent dans la nuit, et tellement à comprendre sur ces parades poétiques », conclut le scientifique, qui étudie actuellement les lucioles de Madagascar. Dans cette enquête sur ces romantiques escarbilles tombées du ciel, qui clignotent dans nos nuits estivales, toute la lumière reste encore à faire !
En savoir plus
Observatoire des vers luisants et des lucioles (OVL) : asterella.eu
Groupe Associatif Estuaire : estuaire.net

Un brillant abdomen
Si on leur octroie le nom de vers, en raison du corps des larves, les vers luisants sont bel et bien des insectes. Leur lumière verte, produite par réaction chimique, provient des trois derniers segments abdominaux, qui sont luminescents. Cette lueur leur sert à attirer les mâles. « Si un mâle lui tombe dessus dans la même nuit, il meurt 24 heures après ! S’il ne s’accouple pas, sa durée de vie est d’environ une semaine. La femelle, de son côté, pondra quelques jours après la fécondation entre 20 et 100 œufs, avant de mourir à son tour. En l’absence de mâle, elle peut vivre davantage, un mois maximum », explique Marcel Koken.
Bioluminescence
Cette « lumière biologique » est une réaction chimique d’oxydation avec deux ingrédients : un substrat, la luciférine, et une enzyme, la luciférase. Cette mécanique a été étudiée par le physiologiste lyonnais Raphaël Dubois (1849-1929). « Si le principe est toujours identique, il est réinventé dans les différentes branches de l’évolution », précise Marcel Koken, spécialiste de la bioluminescence. Luciférine, luciférase… Doit-on s’inquiéter de l’intervention d’un diable quelconque dans ce processus ? Nulle inquiétude : « lucifer », en latin, signifie simplement « porteur de lumière » !
Où et quand les observer ?
Dans nos contrées, c’est à la nuit tombée, environ une demi-heure après le coucher du soleil, que les vers luisants et lucioles se prêtent le mieux à la contemplation. Ils sont observables dans toute la France, de mai à septembre. Dans l’Hexagone, où une luciole, de l’espèce Luciola lusitanica, est présente dans la région niçoise, la majorité des parades lumineuses provient des vers luisants, et principalement du grand lampyre, ou Lampyris noctiluca, le plus commun de la famille.
Un brillant abdomen
Si on leur octroie le nom de vers, en raison du corps des larves, les vers luisants sont bel et bien des insectes. Leur lumière verte, produite par réaction chimique, provient des trois derniers segments abdominaux, qui sont luminescents. Cette lueur leur sert à attirer les mâles. « Si un mâle lui tombe dessus dans la même nuit, il meurt 24 heures après ! S’il ne s’accouple pas, sa durée de vie est d’environ une semaine. La femelle, de son côté, pondra quelques jours après la fécondation entre 20 et 100 œufs, avant de mourir à son tour. En l’absence de mâle, elle peut vivre davantage, un mois maximum », explique Marcel Koken.
Bioluminescence
Cette « lumière biologique » est une réaction chimique d’oxydation avec deux ingrédients : un substrat, la luciférine, et une enzyme, la luciférase. Cette mécanique a été étudiée par le physiologiste lyonnais Raphaël Dubois (1849-1929). « Si le principe est toujours identique, il est réinventé dans les différentes branches de l’évolution », précise Marcel Koken, spécialiste de la bioluminescence. Luciférine, luciférase… Doit-on s’inquiéter de l’intervention d’un diable quelconque dans ce processus ? Nulle inquiétude : « lucifer », en latin, signifie simplement « porteur de lumière » !
Où et quand les observer ?
Dans nos contrées, c’est à la nuit tombée, environ une demi-heure après le coucher du soleil, que les vers luisants et lucioles se prêtent le mieux à la contemplation. Ils sont observables dans toute la France, de mai à septembre. Dans l’Hexagone, où une luciole, de l’espèce Luciola lusitanica, est présente dans la région niçoise, la majorité des parades lumineuses provient des vers luisants, et principalement du grand lampyre, ou Lampyris noctiluca, le plus commun de la famille.