Le lynx boréal sous surveillance rapprochée dans le massif vosgien
Publié le 1 Novembre 2024
Arcos, l’infatigable voyageur, que la promesse d’une galante compagnie a stoppé dans son élan, capturé par un piège photographique par l’Observatoire des Carnivores Sauvages
paru sur l'Alsace le 28/10/2024 - transmis par Bernard. Merci Bernard.
La mise en place progressive d’un réseau de pièges photographiques inédit en France sur l’ensemble du massif vosgien et au-delà permet d’en savoir plus sur une espèce fantôme qui risque toujours de le devenir complètement. Dans les Hautes Vosges comme dans celles du nord de l’Alsace, le comportement du lynx boréal est de mieux en mieux décrit, cinquante ans après la première apparition d’un lynx en France.
Dans la catégorie poids lourd, il est le champion incontesté. 26 kilogrammes de muscles et de poils, c’est un record français. Capturé dans le Jura Suisse en 2017 puis relâché dans les forêts du Palatinat, le lynx Arcos est aussi… un excellent marathonien. Le traitement des données télémétriques fournies par son collier émetteur a révélé qu’il a parcouru 350 kilomètres en moins d’un mois pour rejoindre les Hautes Vosges, où ce carnivore s’est taillé un empire de 1 000 km2 à la hauteur de ses mensurations, entre Colmar, Gérardmer et Servance. « C’est un processus connu appelé le homing : l’animal cherche à retrouver son site d’origine. Il a sûrement dû être diverti parce qu’il a trouvé une femelle », suggère Claude Kurtz, président de l’association SOS Faucon Pèlerin, au chevet du lynx depuis son arrivée.
Les colliers émetteurs ne durent qu’un temps. Les spécialistes du plus grand félin européen peuvent ensuite s’appuyer sur les pièges photographiques pour assurer son suivi. Fondateur de l’Observatoire des Carnivores Sauvages, Alain Laurent s’appuie depuis 20 ans sur ces dispositifs jusqu’à animer aujourd’hui un réseau de 110 appareils dans les Hautes Vosges, plus une vingtaine dans le Jura Alsacien, là où des incursions de lynx suisses sont constatées et jusque dans la forêt de la Hardt (en 2023). « Nous avons beaucoup à apprendre sur le lynx, comme la façon dont il utilise son territoire, justifie Alain Laurent. Ce réseau de pièges nous permet de recueillir 300 à 400 données par an. »
Un dispositif inédit en France
Une démarche similaire vient d’être lancée cette année par le Parc naturel régional des Vosges du Nord pour renforcer le suivi du lynx. Initié dans le cadre du Plan Régional d’Actions (PRA) en faveur du lynx boréal (et qui vise à rétablir ce dernier dans un état de conservation favorable rapidement et durablement), ce monitoring photo vise l’installation progressive de 130 appareils. « En s’appuyant sur un réseau de correspondants nombreux, il s’agit d’assurer une couverture fine et la plus large possible de ce territoire, décrit Sandrine Farny, coordinatrice régionale du PRA lynx. C’est un dispositif précurseur par la diversité des partenaires et qui va s’étendre au Palatinat, en Allemagne, dans le cadre d’une coopération transfrontalière inédite. »
« Opposer une vision factuelle aux racontars »
Parmi les correspondants figurent des chasseurs. Ainsi, près de Lichtenberg, une section locale de chasse a déployé plusieurs pièges photographiques. « Il n’y a pas d’intérêt cynégétique pour nous, le but est de renforcer les connaissances générales et d’opposer une vision plus factuelle aux racontars que suscite le lynx », soutiennent Jean-Nicolas Hoerlé et Jean-Philippe d’Herbecourt, respectivement président et vice-président de la société Les chasseurs de Lichtenberg. « Nous avions en particulier constaté une chute des densités de chevreuils sur certains secteurs pendant deux à trois ans. Ce dispositif nous a non seulement permis de confirmer cette situation et de l'associer à la présence du lynx, mais également de constater le retour des chevreuils par la suite» , illustre Jean-Philippe d'Herbecourt.
« L’important n’est pas le nombre de pièges mais le fait de les poser judicieusement », insiste Alain Laurent. « Et les chasseurs savent où les installer », relève Sandrine Farny. À l’échelle du massif, près de 260 pièges photo ont été ou seront posés, auxquels s’ajoutent les 150 à 200 appareils de l’OFB (Office français de la biodiversité) dédiés au suivi du loup et du lynx, disséminé sur l’ensemble du massif vosgien. Sans parler des appareils de l’ONF, des chasseurs, etc. « L’objectif principal est d’effectuer le suivi de la présence du lynx », rappelle Marie-Laure Schwoerer, animatrice du réseau Loup-Lynx à l’OFB. Un animal si discret qu’on le qualifie de fantôme…
ean Nicolas Hoerlé Sandrine Farny, chargée de mission pour le Parc naturel régional des Vosges du Nord et Jean-Philippe d’Herbécourt, VP du groupe local de chasse observent les images pour le suivi du lynx et une caméra de surveillance et de captation d’i mage et de video est utilisée pour les études à Offwiller le 26 septembre 2024.
Également appelé loup-cervier, le lynx boréal était présent dans le massif vosgien jusqu’au XVIIe siècle et en France jusqu’en 1928, dans le Queyras. Il a fait sa réapparition, par les voies naturelles, en octobre 1974, entre Jura Suisse et Ain. C’était il y a cinquante ans…
Dans les Vosges, 21 lynx ont été lâchés entre 1983 et 1993 dans le cadre d’un programme de réintroduction qui reste à ce jour le seul à avoir été initié en France pour cette espèce. En 2016, ils avaient presque tous été décimés et le lynx boréal n’allait pas tarder à disparaître une seconde fois du massif vosgien.
À partir de 2016, les autorités allemandes ont relâché 20 lynx dans les forêts du Palatinat, près de Kaiserslautern. C’était une bouée de sauvetage pour le lynx vosgien
Parce qu’une partie de ces lynx, dont la femelle Lycka, ont franchi la frontière et se sont dispersés dans le massif vosgien.
Preuve en est, la répartition du lynx d’après les relevés de l’Office Français de la Biodiversité entre 2020 et 23. Document Réseau Loup Lynx
Le cas d’Arcos, qui a remporté la médaille d’or française des lynx boréals les plus imposants avec ses 26 kg, est emblématique. Peu de temps après son lâcher, il a franchi la frontière longé Sarre-Union, traversé l’autoroute puis le canal de la Marne au Rhin, contourné Raon l’Etapes avant de s’installer dans les hautes Vosges, sur un territoire de 1 000 km².
’odyssée d’Arcos est emblématique d’une attitude, le homing, qui incite les animaux déplacés à retrouver leur territoire. Pas de chance pour lui, il n’a pas réussi à rejoindre le Jura par la faute d’une jolie femelle… Ph
Le suivi du lynx est une entreprise compliquée. Le lynx est un animal particulièrement discret. Si les félins qui ont été lâchés dans le cadre d’un programme de réintroduction ont été équipés de colliers permettant de transmettre des données télémétriques, ils les perdent au bout d’un certain temps.
’est le cas de l’Observatoire des carnivores sauvages, qui a implanté 150 appareils dans les Hautes Vosges ainsi que dans le Jura pour assurer le suivi de l’espèce.
Ils utilisent les mêmes passages que leurs prédécesseurs de 1984
Tous contribuent à ouvrir un nouveau champ de compréhension de l’espèce. « On a découvert que les lynx actuels utilisent les mêmes passages que leurs prédécesseurs introduits en 1984. Ils relient plusieurs points de leur territoire de façon non aléatoire, ces lignes se croisent en des points de rencontre matérialisés par des bornes de marquage (où le lynx marque son territoire) qui sont les mêmes depuis trente ans. On a également remarqué que des territoires pouvaient se superposer », illustre Alain Laurent. Donnant lieu parfois à de mémorables castagnes, comme celle livrée récemment par Arcos le grand à un concurrent mâle, Keli, qu’attestent les balafres de ce dernier. « Bien que solitaires, les lynx recherchent le contact de leurs congénères et peuvent d’ailleurs s’épuiser à le faire, complète Claude Kurtz. Ces bornes de contact en sont l’expression. » Des rencontres d’autant plus rares que l’espèce est évanescente dans le massif vosgien.
Son avenir est tout sauf assuré. Le maintien d’une population dans les Vosges est considéré comme essentiel pour assurer la nécessaire continuité de l’espèce entre Palatinat et Alpes. « Il y a eu peu de passages entre le Jura et les Vosges, c’est d’ailleurs étonnant, mais sans cette interconnexion, il n’y aura pas de population viable », pèse Marie-Laure Schwoerer. En 2014, le lynx Bingo avait été repéré à Besançon durant l’été puis dans les Vosges du sud en décembre de la même année. « Les frontières sont poreuses, il existe des corridors identifiés », confirme Alain Laurent, qui milite pour la création d’un nouveau passage à faune au-dessus de l’A36, entre Soppe-le-Bas et Fontaine.
Pour Claude Kurtz, un nouveau programme de réintroduction, à l’instar de ce qui se passe actuellement en Forêt-Noire, est vital pour lutter contre l’appauvrissement génétique qui guette une population isolée. « Sans cela, le lynx est condamné », avertit le naturaliste qui mise sur de nouveaux lâchers potentiels dans le Palatinat. Une hypothèse bien plus réaliste de ce côté-ci de la frontière.
Le lynx boréal est une espèce bénéficiant d’un statut de protection forte, sa destruction étant passible d’une amende de 150 000 € et de trois ans de prison. Tout dérangement de l’espèce peut avoir des conséquences dramatiques pour ces animaux. Si vous rencontrez un lynx en difficulté, contactez le 18.
Combien de lynx dans les Vosges ?
▶ Recensement. Actuellement, trois lynx boréals ont été identifiés avec certitude dans les Hautes Vosges et un autre dans les Vosges centrales. Six autres seraient installés dans les Vosges du Nord et une quinzaine dans le Palatinat. Ils proviennent essentiellement de la réintroduction initiée dans le Land allemand en 2016 pour 20 félins. Quant aux 21 lynx introduits du côté français après 1984, ils avaient déjà été décimés.
▶ Carnet rose. Il aura fallu attendre cinq années après les premiers lâchers allemands pour avoir confirmation d’une portée de chatons, par Lycka. C’était la première portée observée depuis le XVIIe siècle. Au total, six reproductions ont été confirmées.
▶ Si jeunesse vivait… Parmi les chatons issus de ces portées, plusieurs ont été retrouvés en grande détresse dans les Vosges du Nord : l’un en juillet 2023, le second en septembre et le dernier, vu récemment à Niederbronn. Si le second a pu être sauvé, les deux autres, trop affaiblis, ont succombé. « La question de leur survie représente un enjeu essentiel », s’alarme Marie-Laure Schwoerer, du réseau Loup-lynx.
▶ Ils nous ont quittés. À part le lynx abattu à Fellering en 2020, un autre félin a été victime d’une collision avec une voiture, près de… Nancy.
▶ Une pensée pour les proies. Même si une médiatrice dédiée aux éleveurs confrontés aux prédations des lynx a été recrutée par le parc naturel régional des Vosges du Nord, peu de cas de prédation de troupeaux sont attribués au félin : « Cela reste exceptionnel, pas plus d’un cas par an et par département », assure Marie-Laure Schwoerer.
50 ans de présence en France
Dans les Vosges, le dernier lynx boréal a été abattu au XVIIe siècle. À l’échelle de l’hexagone, le dernier représentant de l’espèce a disparu en 1928 dans le Queyras. Près de cinquante ans plus tard, le lynx boréal y a fait son retour : un animal a effectivement été détecté dans le Jura en octobre 1974, il y a pile cinquante ans à l’occasion d’un retour par voie naturelle, entre le Jura suisse et l’Ain.