Yukiona, le spectre de la neige
Publié le 23 Novembre 2024
Dans un petit village habitait un paysan avec sa femme et ses deux enfants, Eiko âgée de 9 ans et son petit frère qui s’appelait Haruo. Un jour, après d’incessantes chutes de neige, le temps s’était à nouveau éclairci; le ciel était d’un bleu éclatant et la neige étincelait sous le soleil.
L’air était certes glacé, mais tout le monde était content de pouvoir enfin ressortir. Dès le petit matin, Eiko avait supplié sa mère de l’autoriser à rendre visite à sa tante en compagnie de son petit frère. Le temps étant vraiment beau, la mère consentit, et les enfants quittèrent joyeusement la maison.
Le soleil était encore haut au-dessus de l’horizon lorsque le ciel s’assombrit brusquement et que de lourds nuages s’approchèrent.
« Voici à nouveau une effroyable tempête de neige, je vais chercher les enfants sinon ils ne rentreront plus aujourd’hui » dit la mère. Elle jeta rapidement une veste de coton sur ses épaules et sortit sur le chemin recouvert de neige. Elle se hâta vers l’autre bout du village où habitait sa sœur, mais elle n’y trouva pas ses enfants.
« Il y a plus d’une heure que je les ai renvoyés à la maison » dit la tante. « Eiko s’est avisé que l’oncle de la ville devait venir vous rendre visite, elle n’avait plus envie de rester. Elle a pris le petit sur son dos et elle est partie »
« Sûrement nous sommes-nous croisés sans nous voir, je vais me dépêcher de rentrer. A chaque instant il peut commencer à neiger. »
Mais les enfants n’étaient pas à la maison. « Peut-être sont-ils allés à la rencontre de l’oncle » pensa la mère effrayée. « Dans cette obscurité ils vont se perdre dans la bourrasque. Je dois les trouver ! » Et elle courut à travers la forêt sur le chemin qui menait à la ville proche.
A peine avait-elle laissé derrière elle la dernière maison du village que le ciel s’assombrit encore davantage. Un vent glacé montait de la mer faisant tourbillonner la neige sur le chemin. Il se mit à neiger à gros flocons de telle sorte que par moments on ne distinguait plus la piste.
La mère se demandait ce qui avait bien pu arriver à ses enfants. Avaient’ ils pu s’abriter quelque part ? N’étaient’ ils pas tombés d’une corniche de neige ? Puis elle se souvint des histoires qu’on racontait à propos de Yukionna, le spectre de la neige, et elle s’imagina avec effroi cet épouvantable monstre blanc étreignant ses enfants dans ses bras glacés.
« Eiko ! Haruo ! » Cria t’elle désespérée ; mais la neige tournoyante et la tempête rugissante couvrirent sa voix de telle sorte qu’elle entendît à peine ses propres appels.
Péniblement, elle continuait à avancer dans la neige, là où elle pensait que le chemin devait se trouver. Les flocons tombaient toujours plus drus, mais après un moment, la tempête s’apaisa aussi brusquement qu’elle s’était levée. Le ciel se fit plus clair, et la mère constata alors qu’elle avait dévié du chemin et s’était égarée. Puis elle vit non loin d’elle une forme humaine qui avançait portant quelque chose dans ses bras. « Peut-être es-ce Eiko avec Haruo. » pensa t’elle tout en se frayant un chemin dans la neige pour aller à leur rencontre.
Puis elle s’aperçut que ce n’était pas Eiko, mais une femme qui venait de la ville. Elle portait un paquet enveloppé dans un châle en laine. La mère s’approcha et demanda : « S’il vous plait, n’auriez vous pas rencontré en cours de route deux enfants, une fillette et un petit garçon ? Ils se sont égarés dans la tempête et je n’arrive pas à les retrouver. »
D’un geste délicat l’inconnue enleva son foulard parsemé de flocons de neige et un visage merveilleux et doux, éclairé par des yeux rayonnant et un sourire aimable, apparut.
« Non, ma brave dame, je n’ai rencontré personne, mais là-bas, sous un arbre, gisait un petit garçon. Le pauvre était raidi de froid et pleurait ; alors je l’ai enveloppé dans l’écharpe et je l’ai pris avec moi. Est-ce le vôtre peut-être ? »
« Et s’il s’agissait quand même d’Haruo ? » songea la mère effrayée en allongeant ses mains vers l’enfant. Elle n’avait pas du tout remarqué que cette femme lui tendait le petit et déjà elle le portait dans ses bras. Il était d’un froid glacial. Soudainement, elle sentit qu’il pesait de plus en plus lourd. Elle voulut soulever l’écharpe pour vérifier s’il s’agissait d’Haruo, mais ses forces l’abandonnèrent et elle ne put même bouger ses mains. Ses bras devinrent de glace tandis que l’enfant s’alourdissait sans cesse, la faisant fléchir. En face d’elle, la femme restait silencieuse. Elle la regardait seulement d’un air à la fois suppliant et aimable. Son sourire semblait figé sur ses lèvres blêmes
Puis une rafale glacée tourbillonna autour d’elle, la recouvrant d’un nuage de neige. Brusquement, elle ne fut plus qu’une colonne tourbillonnante de flocons. Son visage devint méconnaissable, son sourire se figea et ses yeux étincelèrent.
La mère ployait sous le lourd fardeau, touchant presque terre. Un froid terrible lui serra le cœur. Le vent avait soulevé un coin de l’écharpe et elle vit un petit enfant inerte recouvert de neige : il était en glace !
Sa vue s’assombrit et elle s’affaissa sans plus aucune force. Alors elle entendit au loin une voix anxieuse qui appelait : « Maman ! Maman ! » C’était les voix de ses enfants : Eiko et Haruo. Elle se ressaisit, et dans un ultime effort, ouvrit ses bras et laissa choir le morceau de glace mortel.
Instantanément, toute l’apparition disparut. Dans la neige fraîche elle distingua çà et là des traces étranges.
Ses enfants, accompagnés de leur oncle, la rejoignirent enfin. « Tout va bien maman ? » « Nous vîmes de loin que tu parlais à quelqu’un dit l’oncle. Mais quand tu tombas, et que le tourbillon de neige se mit à tournoyer autour de toi, je sus immédiatement que Yukionna, le spectre de la neige, voulait te tuer. »
« Quelle chance que nous arrivâmes à temps et que je retrouvai les enfants avant que la tempête de neige n’ait éclaté. A coup sûr, Yukiona avait aussi l’intention de s’attaquer à eux. »
«Ainsi, c’était le spectre de la neige, s’étonna la mère, je pensais que Yukiona était un monstre blanc et non une si jolie femme ! »
« Oui, c’était bien Yukiona, la belle femme blanche, porteuse de mort » confirma l’oncle. « Voyez-vous ces petites marques peu profondes dans la neige ? Ce sont ses traces. Elle ne marche pas, elle plane. C’est seulement lorsqu’elle s’arrête que son kimono effleure la neige et la comprime un peu. »
Les enfants apeurés contemplèrent les renfoncements dans la neige, mais l’oncle les houspilla et les pressa à renter au plus vite avant qu’il ne se remette à neiger.
Conte japonais « Yukiona » partagé et traduit de l’allemand par Bernard Weinzaepflen (Anab)