Des plantes en péril : les jardins botaniques à court d’espace

Publié le 17 Mars 2025

 Des plantes en péril : les jardins botaniques à court d’espace

Paru sur INPN le 12 fev 2025  suggéré par Sylvie. merci Sylvie

Face au changement climatique, la biodiversité végétale mondiale est confrontée à une crise sans précédent. Les jardins botaniques, acteurs clés de la conservation, alertent face au manque d'espace et de moyens pour protéger les plantes menacées. Dans ce contexte préoccupant, Denis Larpin, responsable scientifique des collections végétales des Jardins botaniques du Muséum, revient sur une étude publiée chez Nature Ecology & Evolution, se fondant sur l’analyse de plus de 2 millions de données issues de jardins du monde entier, dont ceux du Muséum.

Quel est le rôle des jardins botaniques ?

Les jardins botaniques sont extrêmement importants car ils sont des conservatoires de la biodiversité végétale. Ce sont des institutions possédant des collections documentées de plantes vivantes et inertes dont les missions sont la recherche scientifique, la conservation de la biodiversité végétale, la présentation de cette biodiversité, l'éducation ainsi que la diffusion des ressources génétiques par un système d’échanges entre jardins, facilitant la connaissance, l’acquisition et la sauvegarde des plantes.

L'une des missions principales des jardins botaniques est donc la conservation. Ces jardins participent à la connaissance de l'état et de l'évolution de la flore sauvage, indigène et exogène et des habitats naturels et semi-naturels et à leur préservation grâce à des experts en botanique et en ethnobotanique. Ces études contribuent au ralentissement de la disparition des espèces végétales de façon à laisser un héritage biologique important aux générations futures.

La conservation peut prendre différentes formes. Elle peut être ex situ, si les éléments conservés le sont en dehors de leur habitat naturel, sous forme de plantes cultivées mais aussi sous forme de graines, de pollen, de propagules, de cultures cellulaires ou tissulaires et d’individus. Ce stockage hors site d’échantillons génétiquement représentatifs de populations naturelles sert notamment de réserve en cas d’appauvrissement ou d’extinction d’espèces dans la nature.

Elle peut être in situ, lorsque les jardins botaniques œuvrent à la gestion et la restauration des zones naturelles dans lesquelles les espèces végétales sauvages sont menacées de disparition. Cette conservation peut être par exemple menée via des actions de renforcement de population, de réintroduction et de restauration écologique

Enfin, la conservation peut être dite « intégrée » lorsque sont prises en considération les interactions entre dynamiques écologiques et socio-économiques. Cette fonction nécessite les compétences et requiert les savoir-faire de personnels spécialisés.

De plus, toutes les collections d’un jardin botanique constituent un laboratoire vivant riche d’enseignements, notamment pour la recherche scientifique, lorsqu’elles sont correctement identifiées et documentées.

Les collections vivantes d'un jardin botanique sont utiles dans de très nombreux domaines et permettent de développer et de transmettre des connaissances en botanique et en horticulture. Les collections non-vivantes ou inertes conservées dans les jardins botaniques sont des collections de végétaux ou de structures végétales conservées à l’état sec (herbiers, carpothèques, séminothèques, xylothèques) ou dans l’alcool (alcoothèques). Leur intérêt scientifique est également très important, ainsi que leur intérêt patrimonial et pédagogique.

D'autres enjeux des jardins botaniques sont ceux de la sensibilisation aux problèmes environnementaux, de la présentation de plantes nécessitant des mesures conservatoires à l’organisation de programmes de conservation de matériel génétique en banques de semences spécialisées ou en vitro-culture, et à la réintroduction dans leur milieu naturel d’espèces menacées.

 

En quoi les jardins botaniques atteignent-ils leurs limites ?

Les jardins botaniques sont aujourd’hui très nombreux à travers le monde et leurs collections de plantes et de semences vivantes se sont considérablement enrichies au fur et à mesure des années, en taxons et en spécimens.

Dans leur publication récente, pour évaluer la gestion de la diversité végétale ex situ, Cano et al. ont analysé un siècle de données (1921-2021) comprenant 2,2 millions d'enregistrements de 50 collections de plantes vivantes provenant de 19 pays et de 5 continents, le tout constituant une « méta-collection » d’environ 500 000 accessions et représentant 41 % de la diversité mondiale des espèces ex situ. Les Jardins botaniques du Muséum national d’histoire naturelle ont participé à cette étude où diverses caractéristiques (diversité, provenance, espèces menacées, taux de survie en moyenne…) ont été analysées.

Leur étude révèle la dynamique des collections de plantes vivantes connectées au niveau mondial, en fournissant des informations essentielles sur leur évolution historique, leur état actuel et leurs trajectoires futures. Les collections de plantes vivantes restent ainsi une ressource cruciale, mais les défis liés à la gestion de ces collections sont considérables, compte tenu de leurs probabilités de survie médiane, des limites inhérentes aux ressources, des capacités de stockage et de conservation et d’utilisation de la biodiversité, et des contraintes externes, notamment la législation internationale en matière de biodiversité.

Les résultats indiquent nettement que cette méta-collection a atteint sa capacité de charge à la fois en termes de volume et de diversité botanique. La plupart des collections ralentissent, stagnent ou diminuent. De nouvelles collections sont en cours d’établissement, y compris dans le Sud global, mais l’analyse suggère que la taille et le nombre limités de ces collections ne peuvent actuellement pas compenser la décélération des collections plus anciennes, plus grandes et plus nombreuses du Nord global.

Les tendances générales pointent vers des contraintes de capacité, soulignant un besoin critique de priorisation stratégique. La diminution de la taille n’est cependant pas en soi un élément négatif et, au niveau des collections individuelles, peut être le signe d’une meilleure gestion des collections.

 

Comment remédier à ces limites ?

Le réseau mondial des jardins botaniques a donc probablement atteint son maximum de capacité, tant en termes de diversité que de nature sauvage, comme le montrent bien les données de l’étude. Il est ainsi urgent de saisir les opportunités scientifiques émergentes et d’apporter des solutions à la crise mondiale de la biodiversité.

Pour ce faire, il faudra prendre en compte les complexités de la gestion des collections vivantes et de l'adaptation aux contraintes intrinsèques et extrinsèques, en particulier face à l'évolution des contextes environnementaux et législatifs. Des investissements importants dans l'infrastructure numérique sont à prévoir, ainsi qu’une réflexion sérieuse axée sur les données et une culture de l'ouverture des données.

Enfin, quand la plupart des collections vivantes des pays du Nord auront atteint la stationnarité, il faudra repenser l'affectation des ressources existantes et investir collectivement dans le renforcement des capacités et le développement de collections vivantes connectées dans le Sud.

En effet, les collections des jardins botaniques du Sud sont souvent plus jeunes, avec moins de diversité, mais elles sont souvent plus proches des points chauds de la biodiversité mondiale et peuvent être moins limitées par certaines des contraintes géopolitiques quantifiées dans l’article.

Cette étude souligne donc l'importance de maintenir une approche collaborative entre les jardins botaniques, les conservateurs et la communauté scientifique au sens large, afin d'innover et de s'adapter.

 

Comment le changement climatique menace-t-il encore plus les collections végétales ?

Face à la double crise climatique et de la biodiversité, la planète perd de plus en plus de représentants du vivant. Si rien n’est fait pour l’enrayer1, il sera impossible de maintenir un écosystème sain. Les plantes sont souvent négligées dans la recherche sur le changement climatique, bien que celui-ci soit l'un des principaux facteurs de leur extinction.

Les jardins botaniques gèrent des collections vivantes indispensables, mènent des recherches pour atténuer les effets du changement climatique et œuvrent à la protection des écosystèmes dont nous avons besoin pour survivre. Ils documentent régulièrement de nouvelles espèces et étudient la relation de l'humanité avec les plantes.

Pour autant, les collections de plantes sont menacées par ce changement climatique, même si certaines études montrent qu'elles pourraient mieux s'adapter aux changements environnementaux que les systèmes naturels. Les ressources des jardins botaniques doivent ainsi absolument être prises en compte dans les efforts de résilience climatique : elles pourraient fournir des solutions basées sur la nature et sont plus que jamais indispensables.

Entretien avec

Denis Larpin

Maître de conférences et responsable scientifique des collections végétales des Jardins botaniques du Muséum national d’Histoire naturelle (Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité - UMR 7205)

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B
Réponse à Roland:<br /> je voulais dire par là, que si nous détruisons totalement notre environnement , il n'y aura même plus d'endroit où réintroduire ces plantes. Je ne mettais bien sûr pas en doute la nécéssité d'avoir des sites de conservations.<br /> Je faisais une analogie avec les zoo. Quand je vois ces pauvres panthères de l'Amour dans leur cage mon coeur se serre. Les humains sont entrain de détruire totalement leur habitat.
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A
Tu as raison Bern@rd. Elles ne pourront sans doute plus exister de manière sauvage et c'est plus que triste. Elles pourront être replantées dans des jardins et survivre pour être étudiées.<br /> Pour les animaux nous n'avons pas encore de technique de conservation et de restauration.<br /> Roland
T
Merci pour cette réponse très instructive à la question de Bern@rd.
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B
Je me fais l'avocat du diable : A quoi bon conserver des plantes "sous cloche" alors qu'elles disparaissent ailleurs sur la planète ?
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A
Très bien ta question.Bern@rd.<br /> les plantes sous cloches sont extrêmement utiles.<br /> Elles servent à tracer l'historique de présence des plantes puisque chaque part d'herbier mentionne en principe sa localisation et une date.<br /> Aujourd'hui des photos associées à un Gps peuvent faire la même chose.<br /> <br /> L'examen de ces plantes permet d'à étudier les variations des espèces selon leur lieu de récolte et le temps. Souvent certains détails n'ont pas été relevés ou sont passés inaperçus au moment du prélèvement.<br /> <br /> Plus important, des prélèvements pour identification d'ADN sont possibles sur certains exemplaires. Ils permettront sans doute un jour de restaurer à l'identique une plante disparue;<br /> Pour cette raison, des graines de très nombreuses espèces sont stockées dans des "banques de graines" réfrigérées dans le Grand Nord et ailleurs pour conserver intactes les graines et leur Adn<br /> <br /> https://naturealsacebossue.over-blog.com/2019/02/ces-coffres-forts-qui-conservent-les-graines-de-la-planete.html<br /> https://naturealsacebossue.over-blog.com/2019/10/le-museum-d-histoire-naturelle-enrichit-sa-banque-de-graines.html<br /> <br /> Peut-être trouverons nous dans l'avenir une plante issue de ces graines au pouvoir nutritif hors du commun, ou dont des composants seront des médicaments très efficaces ou encore utiles pour concevoir ou produire des matières. innovantes;<br /> <br /> Un très grand nombre d' innovations importantes que nous utilisons dans la vie de tous les jours sont des copies d'organes ou de systèmes existants sur des espèces vivantes, plantes, animaux, champignons, bactéries....<br /> <br /> Roland.
T
Merci pour cet article très intéressant.
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A
Merci Toll<br /> Roland