Oiseau emblématique, le courlis cendré disparaît d’Alsace… et lui préfère l’Allemagne

Publié le 7 Avril 2025

Un vol de courlis cendré au-dessus des rieds alsaciens. Cette photo n’est pas loin d’avoir le statut d’archive

Un vol de courlis cendré au-dessus des rieds alsaciens. Cette photo n’est pas loin d’avoir le statut d’archive

paru sur l'Alsace.fr le 29/3/2025. transmis par Bernard. Merci Bernard.

Il est aux rieds alsaciens ce que le grand tétras est au massif vosgien. Oiseau emblématique des prairies humides, le courlis cendré vit peut-être sa dernière année de présence en Alsace. Tandis qu’outre-Rhin, ses populations se portent bien.
Le courlis cendré est l’oiseau le plus connu d’Alsace, ou presque. Et pour cause, sa silhouette triomphe sur l’un des panneaux touristiques qui orne l’A35 à la hauteur de Sélestat. Pour éviter toute publicité mensongère, il faudra peut-être bientôt mettre cette affiche à bas. Car le courlis cendré, oiseau emblématique des rieds alsaciens, ces prairies humides régulièrement inondées qui s’étendent entre Colmar et Erstein, aura bientôt disparu de la plaine alsacienne. Des 350 couples nicheurs recensés dans les années 1960, il n’en restait plus que… quatre en 2024, selon les comptages de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Et probablement zéro en 2025

Les prairies du ried à Herbsheim, zone à enjeu pour le courlis cendré

Les prairies du ried à Herbsheim, zone à enjeu pour le courlis cendré

Le courlis cendré est le plus grand des limicoles, ces oiseaux des zones humides, longues pattes, long bec. C’est un migrateur qui, chaque année, quitte les rivages atlantiques à la fin de l’hiver pour nidifier dans le bassin rhénan jusqu’au début de l’été. Il a trouvé dans les prairies riediennes un havre idéal. Pas toutes les prairies : aux cultures hautes et denses des prairies riches, le courlis cendré préfère les prairies maigres à végétation basse , sur sols plus pauvres, mais qui ne conviennent pas à toutes les pratiques agriculturales.

“La belle source”, une résurgence de la nappe phréatique à Herbsheim.

“La belle source”, une résurgence de la nappe phréatique à Herbsheim.

Le concert est terminé

À l’est de Herbsheim, le ried noir , milieu aussi riche en biodiversité que fragile, déploie ses palettes vertes comme un écrin de 50 hectares protégés par le Conservatoire des espaces naturels autour d’une source phréatique appelée “la belle source”. « On ne voit aucune construction à la ronde », s’émeut François Steimer. Le naturaliste vante les trésors qui fleurissent dans cette zone protégée par le Conservatoire des espaces naturels : « des iris de Sibérie, des glaïeuls palustres qu’on ne voit plus ailleurs ». « Quand je venais ici il y a encore dix ans, j’assistais à la même période à un concert de keuhlî keuhlî , le chant flûté qui a donné son nom au courlis cendré. »

Depuis le XIXe siècle, le courlis cendré trouve dans les prairies du ried un terroir idéal. Jusqu’à l’essor de l’agriculture moderne, dans les années 1960.

Depuis le XIXe siècle, le courlis cendré trouve dans les prairies du ried un terroir idéal. Jusqu’à l’essor de l’agriculture moderne, dans les années 1960.

Au pied de la belle source, les naturalistes Christian D. Muller, Éric Brunissen et François Steimer font le constat de la disparition du courlis cendré de cet espace pourtant protégé.

Au pied de la belle source, les naturalistes Christian D. Muller, Éric Brunissen et François Steimer font le constat de la disparition du courlis cendré de cet espace pourtant protégé.

Seul le silence répond aujourd’hui à François Steimer. Chargé de mission à la LPO, Éric Brunissen assure le suivi des courlis depuis quinze ans. « La dernière année où l’on a vu un couple nicher ici remonte à 2020. Depuis, plus rien. Quant aux derniers courlis alsaciens, leurs nichées ne donnent plus aucun résultat depuis quelques années. C’est une population zombie qui ne se régénère plus. » Il y a trente ans, un signal d’alarme avait été lancé. Mais n’a pas suffi à enrayer sa disparition.

Le tarier des prés : l’espèce a déserté les rieds alsaciens.   Photo Claudie Stenger

Le tarier des prés : l’espèce a déserté les rieds alsaciens. Photo Claudie Stenger

Trop peu de prairies favorables

Pourtant l’espace qui entoure la belle source semble plutôt qualitatif. Pourquoi s’en va-t-il ? « Parce que deux tiers du ried ont disparu depuis les années 1960. Parce que les pratiques agricoles modernes, entre fauche précoce et amendement, créent des biotopes qui ne lui correspondent pas. Parce que les 200 hectares de prairies préservées sont fragmentés et ne sont pas suffisants. Parce que le courlis, comme toute espèce nichant au sol, craint la prédation, or la diminution des prairies riediennes concentre les prédateurs sur de petites surfaces, en particulier les sangliers. Parce que le dérangement humain ne cesse d’augmenter. Parce qu’il n’y a eu guère de volonté politique, à l’exception de l’ancienne sénatrice-maire de Herbsheim, Esther Sittler, pour le protéger. Parce que les mesures réglementaires sont insuffisantes, tout comme le sont les personnels chargés de les faire respecter. Parce que, s’il est protégé en Alsace depuis 2008, le courlis était chassable dans le reste de la France jusqu’en 2020. Or il traverse l’Hexagone lorsqu’il migre annuellement », énumèrent les spécialistes.

On leur rétorquera que le courlis cendré n’étant hôte du ried que depuis le XIXe  siècle, pourrait partir comme il est apparu. « C’est oublier qu’il est une espèce parapluie et que son déclin cache celui de tout un cortège d’ oiseaux des champs , rappelle François Steimer : le râle des genêts, le hibou des marais, le tarier des prés, la bergeronnette printanière, le bruant proyer et j’en passe. Toutes ces populations s’effondrent aussi, voire ont complètement disparu » Le ried ne pépie plus. « Il faudrait de vrais et grands réservoirs de biodiversité. »

 
Le râle des genêts, qui niche également à même le sol : il a quasiment disparu d’Alsace.

Le râle des genêts, qui niche également à même le sol : il a quasiment disparu d’Alsace.

La bergeronnette printanière : elle a également disparu.

La bergeronnette printanière : elle a également disparu.

« Un fourrage qui ne nourrit pas mes bêtes »

Agent principal de la transformation des écosystèmes du ried, l’agriculture est au cœur des enjeux écologiques. En 2023, Éric Christoffel a repris l’activité d’élevage de la ferme Durr à Boofzheim , qui était pionnière de l’agriculture bio en Alsace. Sur les 180 hectares qu’il cultive, 30 sont des prairies naturelles, en partie propriétés du Conservatoire des espaces naturels, sur lesquelles il doit composer avec un certain nombre de restrictions, en particulier la fauche tardive (à la fin de l’été). « Parce qu’elle est tardive, elle produit un fourrage qui n’est pas de bonne qualité. La seule utilité que je trouve à cette herbe, c’est de compléter mes stocks de fourrage les années sèches, comme en 2022. Par conséquent, je ne peux pas m’appuyer uniquement sur ces prairies et ce n’est pas une question d’argent : l’Europe nous accorde des aides dans le cadre des Maec (mesures agro-environnementales et climatiques), mais leur montant est ridicule. Même avec un gros chèque de l’Europe, ce n’est pas ce fourrage pauvre qui nourrira mes bêtes. Je ne peux que me limiter à quelques hectares et encore, parce que les autres cultures me permettent d’être autonome. »

Côté français, la pédagogie est planquée derrière les arbustes.

Côté français, la pédagogie est planquée derrière les arbustes.

Allemagne 14, Alsace 0

Pourtant Éric Christoffel se dit sensible à l’écologie. « Mon but n’est pas de détruire l’existant, mais de le préserver. Il n’y a pas de solution miracle et le dialogue reste primordial. Je n’ai pas l’impression de ne rien faire, sachant que j’ai une entreprise à faire vivre. »

Mais la disparition du courlis cendré n’est pas inéluctable. La preuve : nos voisins allemands ont réussi à le maintenir, voire à le faire prospérer dans les prairies humides badoises. « Contrairement à nous, les autorités allemandes ont réagi avant son extinction et conçu un programme de protection incluant l’élargissement des espaces protégés, la fermeture de certains chemins pour limiter le dérangement par les bipèdes voire la pose de grille autour des nids pour les protéger des prédateurs, ainsi que beaucoup de pédagogie », résument Éric Brunissen et François Steimer. Le résultat est sans appel avec 14 naissances l’an dernier.

La dernière chance samedi prochain

En Alsace, les associations environnementales lanceront le dernier cri du courlis le 5 avril à Herbsheim, à l’occasion d’un grand événement festif. « Parce qu’on se plaint qu’il n’y a plus d’oiseaux, parce qu’on ne peut pas bêtement assister à sa disparition. C’est maintenant qu’il faut être proactif, ce sera trop tard après. Nous avons rappelé au président de la CEA, Frédéric Bierry, sa promesse de créer des espaces naturels sensibles par la préemption et de soutenir la mise en place de protections élémentaires, mais il fait la sourde oreille », gronde François Steimer. Et ce, bien que le chant du courlis cendré soit mélodieux. Et aussi un peu triste, aujourd’hui.

“Courlis reviens !”: grand rassemblement pour le retour du courlis et la préservation des rieds samedi 5 avril dès 16 h à la salle des fêtes Le Courlis de Herbsheim. Gonflage d’une montgolfière, projection de films, etc. Site : https://alsace.lpo.fr/index.php/mobilisons-nous-pour-le-courlis-cendre

Rédigé par ANAB

Publié dans #Oiseaux, #Biodiversité de notre région

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C
Le commentaire de Christian<br /> Voici un franc parler avec lequel on ne peut être que d'accord.Des propos qu'il faut toujours rappeler,,hélas dans tous les domaines.
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C
Il y a bien une solution, mais elle est politique. Il faut que nous reprenions le contrôle de notre pays car à Bruxelles ils ne connaissent visiblement pas l’Alsace, quant au parlement européen de Strasbourg, il est manifestement inutile. <br /> Sauvons notre planète pendant qu'il en est encore temps et malgré les nombreuses espèces qui disparaissent chaque année. C'est à chacun d'entre nous qu'appartient cette sauvegarde.
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A
Merci de ces commentaires et réflexions. Je suis de l'avis de Toll. <br /> Bruxelles peut faire qq chose.<br /> Mais, il faudrait d'abord que la France et je dirais notre Région Grand-Est s'intéresse au sujet.<br /> Bruxelles n'a pas des milliers "d'antennes " décentralisées pour aller voir ce qui ne va pas dans chaque pays.<br /> Roland
T
Bonjour Christian,<br /> La solution est politique, nous sommes bien d'accord. <br /> Par contre, les disparités écologiques soulignées dans ce blog ne sont pas vraiment attribuables au seul contrôle de Bruxelles.<br /> Pour le peu d'importance de l'Alsace et de Strasbourg en Europe, c'est du côté de Paris et non de Bruxelles qu'il faut regarder. <br /> Parmi les acteurs principaux: François Mitterrand et Edith Cresson. Le premier, par esprit de vengeance; Mitterrand n'a jamais pardonné aux Alsaciens de leur avoir préféré Giscard d'Estaing.<br /> <br /> https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/alsace/valery-giscard-estaing-alsace-longue-histoire-amour-1873828.html<br /> <br /> Edith Cresson, elle, voulait que TOUT passe par Bruxelles et non par Strasbourg (avantages fiscaux considérables, terrain favorable à son népotisme et la corruption)
B
Triste constat,espérons que l'oreille du président de la CEA se débouche !
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A
Bern@rd, je crains que cela ne soit mission impossible.<br /> Roland
T
😭😭<br /> Un brin d’ironie: il semblerait que le courlis cendré soit autrement plus capable de comprendre les conséquences d’une politique écofasciste que les humains.
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A
😂 Souvent c'est le cas, les bêtes sont plus malignes que les humains. Déjà, elles ne détruisent par leur environnement et leur territoire de chasse.<br /> Roland;