Regards sur des forêts de fond de vallée au fil des saisons 3
Publié le 9 Avril 2025
Alors que l’eau stagne encore dans les dépressions des prairies gagnées jadis aux dépens de la forêt alluviale, le sol de la ripisylve s’est recouvert en quelques jours d’un tapis de verdure parsemé de touffes d’ail des ours, d’où émergent des îlots de fleurs jaunes ou mauves…
Le monde en jaune
Ce sont les ficaires qui forment les taches les plus voyantes, mais à y regarder de plus près, une foule d’autres espèces plus ou moins disséminées, de tailles variées sont en train de s'épanouir dans les petites clairières, ou au pied des arbres encore nus.
La ficaire, une Renonculacée aux feuilles cordées, aux fleurs à nombreux pétales se multiplie également grâce à des bulbilles situées aux entrenoeuds.
Une plante énigmatique pour le néophyte… On croit reconnaître des caractères d’espèces connues. D’un verticille de feuilles découpées qui correspondent à des bractées, émerge une fleur qui ressemble à celle d’une renoncule. En réalité, il s’agit de l’anémone fausse-renoncule (Anemone ranunculoides).
Serions-nous en présence d’invitées surprises venues des Hautes Vosges ? Non, il s’agit tout simplement de jonquilles échappées des jardins qui profitent de cet environnement propice. Il est même possible de trouver des pieds de la variété naine. A l’arrière, se profile un cordon de touffes vertes de dame de onze heures.
Le monde en mauve
Les corydales sont présentes dans le sous-bois des rives, la plupart du temps sous forme de touffes regroupées en petits amas. Il convient de reconnaître deux espèces qu’il est facile de distinguer en observant la forme des bractées qui accompagnent les fleurs. Celles-ci sont digitées (en petites mains) chez la corydale à bulbe plein (Corydalis solida) et simples chez la corydale creuse (Corydalis cava). A noter également, la corydale à bulbe plein très présente sur ces sols sablonneux, porte des fleurs de couleur mauve, alors que chez sa cousine, la couleur blanche est également répandue.
Il faut beaucoup de lumière pour voir ce spectacle ! Sur le sol de la forêt alluviale, le lierre terrestre (Glechoma hederacea) forme un réseau de tiges rampantes dense d’où émergent les grappes fleuries.
A présent, il nous faut avoir l'œil pour les voir, ces plantes miniatures, parfois perdues au milieu des autres espèces, rarement en peuplements purs. A gauche, mêlée à la ficaire, une plante rampante dont les extrémités portent des fleurs minuscules d’un bleu pâle. Les feuilles rappellent celles du lierre, le lobe central est obtus. Il s’agit d’une véronique (Veronica hederifolia lucorum élevée au rang d’espèce : Veronica sublobata) courante des endroits à terre meuble. A droite, une plante passant presque inaperçue avec ses feuilles découpées comme celles des corydales mais dont l’inflorescence jaune-verdâtre comporte 5 petites fleurs accolées. C’est la moscatelline (Adoxa moschatellina).
Pour terminer la balade botanique, un secteur particulièrement riche…
Et la faune dans tout ça ?
Au moment de ces observations, un tapage soudain parvient depuis la rivière proche. Un animal se débat, on entend des bruits d' éclaboussures. En approchant avec précaution, un spectacle étrange se déroule sur l’eau : deux canards colverts effectuent une danse-poursuite, l’un cherchant à donner des coups de bec dans l’arrière-train de l’autre. Ce manège aurait pu durer, si un troisième individu ne m’avait aperçu. Alors, les trois comparses se sont envolés et l’énigme fut résolue. Il s’agissait d’une joute aquatique que se livraient deux mâles pour la conquête d’une cane…
Plus loin, une autre surprise ! Un saule d’un diamètre voisin de 40 cm est entamé à sa base. Visiblement le castor avait les yeux plus gros que le ventre. Mais la mission n’est pas impossible, car il y a quelques années, en amont de cet endroit, l’animal a abattu un peuplier de même taille dont la chute, par chance, n’a pas barré la route…
Retour
En cette fin mars, les forsythias et pruniers précoces ont commencé leur floraison. Il en est de même des anémones des bois, des primevères élevées et des violettes odorantes. Nous entrons dans la phase du milieu de printemps selon le calendrier phénologique.(voir un prochain article).
Question : comment ces divers végétaux ont-ils passé l'hiver ? Le sujet a déjà été abordé au siècle dernier, par un botaniste danois C. Raunkiær. Il a proposé une classification des plantes en fonction de leur mode de survie.
Les différents types biologiques proposés par Raunkiær sont :
1 les phanérophytes : plantes de type arbre à bourgeons en hauteur : lierre
2 et 3 les chaméphytes : arbrisseaux à bourgeons bas ( à l'abri sous le manteau neigeux)
4 les hémicryptophytes : herbacées à organes de survie au ras du sol : lierre terrestre, ficaire
5 les géophytes : herbacées à organes souterrains de type rhizome : moscatelline, anémone
6 les géophytes à bulbe ou tubercule : jonquille, ail des ours, perce-neige
(7, 8, 9 : plantes aquatiques)
10 les thérophytes qui survivent sous forme de graines : véronique à feuilles presque lobées
Depuis, cette classification a été révisée par d’autres auteurs*, elle demeure une introduction sur le sujet. Une fois de plus, on se rend compte que les solutions adoptées par le vivant sont diverses.
Textes, photos, recherches, et bibliographie Étienne Feuchter (Anab)
*SIRVENT L.,2020. Les types biologiques. Etat de l’art, actualisation des définitions et mise en place d’un référentiel. Conservatoire botanique national méditerranéen de Porquerolles
En ligne :
https://www.researchgate.net/publication/338741056_Les_types_biologiques_Etat_de [...]