La Pédiculaire des forêts, Pédiculaire des bois, Herbe-aux-poux (Pedicularis sylvatica)
Publié le 28 Mai 2025
En préparant cet article je voulais vous parler des plantes de marais. En fait je suis tombé sur une pépite, une étude chinoise-suisse sur 41 pédiculaires.
En rapprochant la morphologie des fleurs et des nectaires de ces pédiculaires avec des éléments d’anatomie et de comportement de leurs butineurs, ils ont construit l’arbre généalogique des pédiculaires. Incroyable, non, on en apprend tous les jours..Cette Pédiculaire des bois, de plus en plus rare, fait partie de l'arbre.
Roland
Nom scientifique : Pedicularis sylvatica L., 1753
Origine du nom : de « pediculus », « le pou », en lien avec l’usage fait par cette plante contre les poux voici très longtemps et de « sylvatica » qui signifie en latin «forestier, de la forêt».
Nom en dialecte et allemand : Läusekraut, Wald-Läusekraut
Nom anglais : common lousewort
Date et lieu de l’observation: le 19 mai à la Godivelle (Puy-de-Dôme-63) en séjour Anab et un 5 juin à Vibersviller (Moselle -57)
Famille de plantes : elle appartient à celle des Orobanchacées. ou Orobanchaceae.
C’est une famille recomposée suite aux études des ADN. La génétique est passée par là pour refaire le classement.
Des plantes plus connues comme les rhinanthes, les euphraises, les pédiculaires, les odontites, sont venues rejoindre les orobanches dans cette famille.
Elle compte à présent 2000 espèces réparties en 90 genres (le genre c’est le premier nom latin)
Caractéristiques communes des orobanchacées :
Leur particularité est d’être des plantes parasites de plantes herbacées ou arbres par leurs racines. Pour quelques espèces les cultures alimentaires peuvent être menacées. C’est le cas en centre Europe avec Orobanche ramosa qui parasite les solanacées (pomme de terre, aubergine, tomate) mais aussi les choux et le céleri. Souvent les orobanches sont spécifiques d’une espèce comme l’Orobanche de la sauge qui ne parasite que la sauge. Leurs feuilles sont réduites à des écailles le long de la tige, simples et alternes.
La corolle est à deux lèvres et ressemble à celle de la famille des labiées dont les orobanches sont proches génétiquement..
La plupart des Orobanchacées ne sont plus capables de réaliser la photosynthèse, les espèces dites holoparasites sont entièrement dépendantes de la présence des plantes hôtes qu’elles parasitent souvent par l’intermédiaire des filaments mycorhiziens d’un champignon.
Certaines comme les rhinanthes, les euphraises, les odondites, les pédiculaires sont partiellement chlorophylliennes et sont qualifiées d’«hemiparasites».
Les pédiculaires sont très nombreuses à travers le monde , 982 espèces dont 270 rien qu’en Chine leur berceau de diversification. Elles sont toutes hémiparasites via des organes de succion présents sur leurs racines ou haustories. Nous en avons une quinzaine dans notre flore. Leur couleur varie du rouge vis au jaune. Les feuilles sont souvent très découpées et leurs fleurs ont une symétrie bilatérale à deux lèvres souvent torsadées. Les fruits sont contenus dans une capsule et présentent une surface crevacée, réticulée.
Type : plante en touffe contrairement à sa cousine la Pédiculaire des marais, Pedicularis palustris. Plante hémiparasite, bisannuelle ou vivace
Hauteur: de 10 à 20 cm
Tige : courte, simple, la principale droite, d’autres tiges inclinées partent de la base
Feuilles: elles sont découpées jusqu’à la nervure principale en deux étages (bipennatiséquées). Les folioles se terminent par une fine pointe cartilagineuse.
Floraison: de mai à juin
Couleur des fleurs : rose plus ou moins prononcé Elles mesurent 22 à 26 mm et forment un épi qui porte de 4 à 6 fleurs pédonculées. Les fleurs bilabiées sont deux fois plus longues que leur calice et sont glabres. La lèvre supérieure arquée est plus longue que l’inférieure elle, découpée en 3 lobes. Le « casque », la lèvre supérieure, porte deux dents courtes roses, pointant vers le bas, de chaque côté du bec. Elles sont caractéristiques pour son identification.
Le calice formé par,5 sépales soudés est parcouru de nervures en réseau
Pollinisation : elle est réalisée par des insectes et surtout les bourdons. Les autres insectes ont du mal à atteindre les glandes nectarifères car l'ouverture du tube de la corolle ne mesure que 0.5 mm. Le nectaire est au bas de la fleur et ne peut être atteint que par les insectes à longue trompe. Les bourdons avec leur trompe plus solide déchirent quelquefois ce tube. A noter que chez la Pédiculaire des marais c’est 100 % des fleurs qui sont perforées et apparaissent pour cette raison, très souvent déchirées.
Les bourdons sont ,selon une étude hollandaise (1), Bombus hortorum, B. pascuorum, B. lapidari mais qurtout B. lucorum et terrestris. Le pollen est transporté par les poils ventraux dans 83% des cas. Selon Kwak, les bourdons visitent notre Pédiculaire des forêts avant l’ouverture de la fleur car les étamines sont déjà présentes et toute source de pollen est alors bonne à prendre pour leurs larves.
Pour le fun, les scientifiques inventent des mots (souvent compliqués) pour tout : la plupart des bourdons sont « sternotribiques ». Ils transmettent le pollen par leurs poils ventraux. En fait, j’ai placé ce mot juste pour vérifier si vous avez lu ce paragraphe et aussi pour épater la galerie (faites de même, mais je reconnais que c’est difficile à placer dans une conversation).
D’autres bourdons comme Bombus pascuorum, transportent le pollen par le dos (ils sont dits "nototribiques" 😎). Leur comportement n’est pas le même puisque ceux-ci recherchent du pollen mais surtout le nectar et ce, même après le flétrissement des étamines.
Autre résultat de cette étude (1) : les fleurs fécondées par les insectes avec un croisement de gènes donnent de 5.4 à 9.7 graines par fleur alors que des fleurs encagées (cage anti-insectes avec des mailles de 1 mm) ne produisent par autopollinisation que 1.5 à 3.2 graines par fleur.
Coévolution des plantes avec les insectes
Une étude (4) mixte chinoise-suisse de 2015 très intéressante a mis en évidence l’évolution parallèle des pédiculaires avec celles de leurs insectes butineurs. Leur comportement, la longueur de leur trompe, la récolte de pollen et nectar des bourdons sont étroitement liés à la forme de la fleur et à l’agencement des étamines et pistil.
Les glandes à nectar existent chez les pédiculaires et sont quelquefois non fonctionnelles et très petites. La forme de ces glandes, la production de nectar, le type de pollinisateur ont permis à l’équipe helvético-chinoise de proposer l’arbre généalogique de 41 espèces de pédiculaires. La coévolution des plantes, de leur forme et de leurs nectaires en regard à leurs insectes attitrés est si étroite que l’on peut se passer d’une analyse génétique. La généalogie se devine par les observations très fines de ces critères. Voir une photo extraite de ces recherches en fin d'article.
Parasite : les pédiculaires se connectent aux plantes voisines par leurs racines et y puisent sels minéraux et d’autres nutriments.
Confusion possible : oui, avec d’autres pédiculaires et en particulier la Pédiculaire des marais, Pedicularis palustris, plus grande (20 à 60 cm) répartie en plants uniques et non en touffes comme la Pédiculaire des forêts.
Habitat: cette plante aime l’eau, la lumière, les montagnes et les milieux pauvres en azote. Elle se trouve aussi en plaine et apprécie peu le calcaire. Elle colonise les prairies marécageuses, les marais, tourbières et landes humides jusqu’à 1700 m.
Elle est présente en France surtout dans les montagnes, l’ouest du pays mais toujours en petites colonies. Elle est absente de la zone méditerranéenne.
Elle est exclusivement européenne, Europe du Nord et de l’Ouest jusqu’en Pologne, absente des pays méditerranéens (sauf Nord du Portugal et de l’Espagne).
Fruit : le fruit, une capsule ovale qui contient des graines brun-clair. Elle est entièrement contenue dans le calice et terminée par une pointe (un mucron).
Protection : les menaces sont importantes et communes à toutes ces plantes de milieux humides: drainage, assèchement, eutrophisation, modification du régime d’eau, exploitation inadaptée par un pâturage intensif ou fauches trop précoces (étude 2) , diminution de la diversité génétique, envahissement par les mousses.
Elle est protégée par la loi dans les régions Nord-Pas-de-Calais, Franche-Comté, Ile-de-France. Elle est classée VU vulnérable en Alsace et Haute-Normandie.
Elle est déterminante pour le classement des zones ZNIEFF dans presque tout le pays, soit 14 régions.
Les ZNIEFF, Zones Naturelles d’Intérêt Écologique Faunistique et Floristique ont pour objectif d’identifier et de décrire des secteurs présentant de fortes capacités biologiques et un bon état de conservation à partir de listes d’espèces peu courantes ou rares.
Usage alimentaire : pas d’usage répertorié, plante rare et toxique . Elle contient de l’’aucubine, un hétéroside -monoterpène .aux propriétés anti inflammatoires et anti-bactériennes.
Médecine :
Utilisation à réserver aux plantes cultivées
Texte et photos Roland Gissinger (Anab)
Sources bibliographiques voir index biodiversité
1/ Effects of bumblebee visits on the seed set of Pedicularis, Rhinanthus and Melampyrum (Scrophulariaceae) in the Netherlands Kwak, Actz botanica NL 1979
2/Year-to-year oscillations in demography of the strictly biennial Pedicularis sylvatica and effects of experimental disturbances petru M (2005)
3/Distribution and habitat properties of Carex pulicaris and Pedicularis sylvatica at their range margin in NW Poland
La Pédiculaire des forêts, Pédiculaire des bois, Herbe-aux-poux (Pedicularis sylvatica)- répartition France et Europe selon INPN