Regards sur des forêts de fond de vallée au fil des saisons (partie 4)

Publié le 14 Mai 2025

Cette année, le plein printemps s’est installé avant le mois de mai. En l’espace d’une semaine, les arbres de la forêt se sont couverts de feuilles. Dans la forêt alluviale, si les arbustes ont revêtu leur habit vert, les grands  aulnes et frênes ont été moins rapides et laissent encore filtrer la lumière, dont profitent les dernières fleurs. Partons à leur découverte…

 

   

 

Les ombelles de l’ail des ours (Allium ursinum) forment un véritable tapis blanc qui n’est pas sans rappeler les chutes de neige des mois d’avril d’antan. A présent ces fleurs apportent une note de fraîcheur quand les bouffées de chaleur anticycloniques se manifestent et l’ail dégage un parfum qui embaume les environs à sa manière.

 

A quelques pas de là, une zone humide abrite une station “d’herbes en fleurs”. Ce sont des laîches. L’épi mâle (1-2) aux étamines jaunâtres surmonte les épis femelles dont les fleurs à trois stigmates blancs sont prêtes pour recevoir le pollen. Il s’agit du carex des marais (Carex acutiformis) dont les épis femelles sont presque sessiles et la zone de  contact feuille-tige (ligule) est allongée et pointue.

 A l’arrière, on devine une tache jaune…

 

 

Une touffe de populage des marais nous accueille. Enfants, nous étrennions nos bottes en ramassant un bouquet qui se fanait bien trop vite car cette plante est habituée à avoir les pieds dans l’eau. Sa couleur, un jaune somptueux, trouve un  équivalent chez le pissenlit, autre préférée des bouquets d’enfants… À présent que son habitat s’est raréfié, elle est considérée comme menacée dans plusieurs régions (Liste rouge).

 

En gagnant une clairière, nous sommes confrontés à une autre odeur pénétrante qu’on pourrait qualifier de parfum mais seulement à distance, lorsqu’elle est diluée…

 

 

L’aubépine est en fleurs. Il s’agit ici de l’aubépine à deux styles reconnaissable également à ses feuilles ovales, à lobes peu profonds. Les commentaires sur l’odeur des fleurs de cette rosacée sont mitigés et sa cousine monogyne, elle, n’est pas plus divine ! 

A l’ombre des arbres et arbustes, le gouet, dont nous avions aperçu les feuilles dès l’avant printemps, est également en fleurs.

 

Anab blog aubépine

 

 

La bractée florale (spathe) de Arum maculatum abrite cette inflorescence singulière qui aiguise la curiosité des humains et des mouches ! On aperçoit deux insectes en train de s’affairer sur le spadice. Pour la petite histoire, on relira les pages consacrées 

 

blog de l’Anab : arum  et fécondation / stratégies

 

Parmi les fleurs de l’ombre, on en trouve une que l’on croit sûrement  reconnaître. 

 

 

Non ce n’est pas un céraiste, ce n’est pas un silène blanc, ni un myosoton aquatique,  mais c’est une stellaire des bois (Stellaria nemorum subsp nemorum). Les pétales sont profondément découpés et même si les feuilles supérieures sont sessiles comme chez le myosoton, la fleur ne possède que 3 styles (et non pas 4 ou 5). 

Pour autant, les autres caryophyllacées n’ont pas dit leur dernier mot. On les retrouve dans les franges éclairées de la ripisylve

 

 

Voici dans une trouée, au bord de l’eau, une touffe de compagnons rouges. 

Le nom botanique de l’espèce est Silene dioica. Il indique qu’il existe des individus  mâles et des individus femelles. Toutefois, nous ne chercherons pas à connaître leur identité sexuelle au risque de plonger dans la rivière…

Page anab Silene dioica

 

Il y a quelque temps déjà, des belles-d’onze-heures développaient  des bouquets de feuilles fines bien vertes. Que sont-elles devenues ?

 

 

Ornithogalum umbellatum démarre sa floraison. Les fleurs ouvertes en forme d’étoiles présentent des sépales à bordure blanche caractéristique. Cette dernière se voit sur les boutons floraux fermés. A titre de comparaison, une ombelle d’ail des ours figure à droite. La ressemblance est grande entre ces fleurs de type 6 appartenant aux Monocotylédones. 

article blog anab Ornithogale

 

Avant de quitter la forêt alluviale et la ripisylve, nous avons failli oublier cette espèce assez commune dans ces milieux :

 

 

La renoncule à tête d’or (Ranunculus auricomus). En réalité, la corolle de cette fleur est loin d’être parfaite et ce ne sont que quelques rares pétales qui donnent cette illusion de tête dorée. A noter à l’arrière-plan, l'ail des ours en fleurs  et les feuilles de ficaire déjà sur le déclin.

Article sur le blog anab  R auricomus

 

A présent, nous quittons les espaces boisés pour un coin de prairie alluviale. En ce moment, il est entièrement jaune. Le bas du pantalon gardera le souvenir du passage de cette mer de boutons d’or.

 

Quant à la prairie, elle garde la trace d’un ancien bras de méandre sous forme de dépression en croissant,  profonde de quelques décimètres. Elle est inondée temporairement en période de crue (ripisylve visible au fond). Alors que la prairie est couverte d’une mer jaune de renoncules âcres arrivant à mi-cuisse, le fond de cette dépression ne comporte que quelques plaques de boutons d’or.

 

Dans le creux, les renoncules ont des tiges courtes qui dépassent juste la cheville. Elles  diffèrent de celles de la prairie haute par leur couleur d’un jaune  éclatant, alors que les boutons d’or de la prairie ont des fleurs d’un jaune d’or. D’un côté nous avons affaire à la renoncule rampante (Ranunculus repens), de l’autre à la renoncule âcre (Ranunculus acris) favorisée par le pâturage.  A l’approche des premières pentes, on trouve la renoncule bulbeuse (Ranunculus bulbosus).

 La distinction peut se faire par l’examen des feuilles présentes plus longtemps que les fleurs. On examinera plus précisément l’insertion des lobes des feuilles de la base. Les lobes sont directement insérés sur le pétiole chez R. acris (pied de coq), seul le lobe médian possède un petit pétiole chez R bulbosus, quand chez R repens, les trois lobes sont pétiolulés, celui du centre l’étant davantage;

 

Comment expliquer ces différences d’occupation de l’espace chez les renoncules rencontrées?

 

Nous allons nous intéresser à leurs préférences écologiques (= Valeur d'un facteur écologique pour laquelle la réponse d'un individu, d'une population, ou d'une communauté donnée est optimale. Dictionnaire encyclopédique des sciences de la nature et de la biodiversité. François Ramade, 2008) et situer les valeurs (exprimées en unités arbitraires / paliers) sur un diagramme.



 

 

Le graphique situe les espèces par rapport à leurs  préférences qui dépendent de facteurs tels que l'éclairement, l’humidité du sol et le type d’humus (matière organique du sol)... On remarquera que les espèces citées occupent des biotopes dont les caractères varient depuis des milieux moyennement secs à humides d’une part (les espèces aquatiques locales ont été exclues) et des sites ombragés (forêt alluviale/ripisylve) à très éclairés (clairières/prairie) d’autre part. La proximité des exigences de certaines espèces (R auricomus , Ficaria, R. repens, Caltha) fait qu’elles se retrouvent parfois côte à côte quand les faibles variations d’altitude (microreliefs) ou de luminosité (lisières) créent des conditions favorables. D’autres espèces s’excluent, comme la renoncule rampante qui dans son creux bénéficie d’une humidité plus élevée et d’une période à l’ombre, lorsque le soleil est encore bas, tandis que les renoncules du haut de la prairie voient le soleil plus longtemps. D’autres facteurs peuvent intervenir, certains étant liés. Ainsi, les sols détrempés sont riches en matière organique du fait de la lente décomposition de cette dernière. C’est ce type de milieu qui convient à R. repens et Caltha palustris. Cette adaptabilité des renoncules observable ici à petite échelle traduit une variabilité du groupe  “en grand” et reflète leur succès évolutif (2500 espèces).    

 

Et la faune dans tout ça ?

 

Le mot d’ordre est : méfiez-vous des tiques ! Avec les températures plus élevées, et l’humidité atmosphérique qui règne dans la forêt alluviale, elles se sont mises à l’affût…

 

A présent, le catalogue des couleurs va se refermer. On aura déjà remarqué que la palette des couleurs des premières fleurs de printemps a été suivie par un monde coloré moins riche, mais baigné d’odeurs. 

Toutefois, il reste encore quelques pages à découvrir. 

Rédigé par ANAB

Publié dans #découverte nature

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J
Fraîcheur, verdure, fleurs et points d’eau, que demander de plus … merci pour cette promenade !
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B
Merci pour cette agréable promenade au fond des bois.
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T
Merci pour ce bel article - un mélange de jolie prose et de données scientifiques.. Les photos donnent l’impression d’être là, sur place.
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R
Belle balade et belles photos. On visite et on s'y croit. .Merci Étienne.
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N
Super Étienne. Merci.
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