Village de Blatten enseveli en Suisse : pourquoi les glaciers deviennent des bombes à retardement
Publié le 9 Juin 2025
Petit-Basilic alpin méridional (Ziziphora granatensis subsp. alpina Clinopodium alpinum) - à Blatten
Village enseveli en Suisse : pourquoi les glaciers deviennent des bombes à retardement Le village suisse de Blatten a été transformé en un amas de roches et un lac artificiel par l'éboulement du glacier
paru sur Reporterre le 31/5/2025
Photos du village et un aperçu de sa flore avant sa destruction ...
/image%2F1479375%2F20250602%2Fob_d089ea_20110707-lauchernalp-d7c-2800-1.jpg)
L’effondrement d’un glacier a détruit le village de Blatten, en Suisse. Une catastrophe qui a « un lien fort » avec le changement climatique, explique à Reporterre un géomorphologue qui surveille d’autres sites sensibles des Alpes.
La catastrophe était attendue, ses images n’en sont pas moins choquantes. Mercredi 28 mai, des millions de tonnes de glace et de roche se sont déversées sur le village de Blatten, dans le canton du Valais, en Suisse, suite à l’éboulement du glacier voisin du Birch. L’effondrement du géant de glace a détruit environ 90 % des habitations et donné naissance à un lac qui risque d’inonder une partie de la vallée. Un homme de 64 ans est porté disparu. Les dommages sont estimés à plusieurs centaines de millions de francs suisses.
L’écroulement du glacier avait heureusement été anticipé par les scientifiques. Ayant constaté de nombreux éboulements de roche dans les jours précédents, les autorités ont fait évacuer les 300 habitants de Blatten la semaine dernière. De leur village, il ne reste presque plus rien : le fond de la vallée est recouvert de roches, rapporte le journal suisse Le Temps ; la rivière Lonza est obstruée ; même le clocher de l’église a disparu, enseveli sous les débris, qui s’étendent sur 2 km de long et 200 mètres de large. « C’est le pire des scénarios envisagés qui s’est produit », a expliqué à nos confrères Raphaël Mayoraz, chef du Service valaisan des dangers naturels.
Interrogé par Reporterre, le géomorphologue Ludovic Ravanel estime que ce drame a « un lien fort » avec le changement climatique. Le glacier de Birch, explique-t-il, était surveillé par les scientifiques depuis les années 1990, en raison d’une succession d’avalanches de glace. Ce suivi a permis de mettre en évidence, mi-mai, le fait qu’une partie de la paroi rocheuse surplombant le glacier bougeait. Les « grandes déstabilisations rocheuses » observées sont très probablement dues à la dégradation du permafrost, selon Ludovic Ravanel. Ces sols perpétuellement gelés, sorte de « ciment » des montagnes, sont mis à mal par le changement climatique.
Résultat : des dizaines, voire des centaines de milliers de mètres cubes de roches se sont détachées de la paroi, dont « une bonne partie » se sont déposées sur le glacier de Birch. « La surcharge était absolument phénoménale », décrypte le géomorphologue. Cela a eu pour effet « d’accélérer », c’est-à-dire de faire avancer le glacier… Jusqu’à ce qu’il s’effondre, emportant avec lui tous les matériaux rocheux qui le surplombaient.
« L’homme dérègle profondément le climat, ce qui rend les glaciers plus vulnérables »
« La Terre est un objet dynamique. Depuis que les glaciers existent, il y a toujours eu des catastrophes, rappelle le glaciologue, géomorphologue et coordinateur du projet Ice&Life Jean-Baptiste Bosson. Néanmoins, l’homme dérègle profondément le climat sur Terre depuis la période industrielle, ce qui rend les glaciers plus vulnérables. »
Le chercheur pointe plusieurs facteurs de risque : tout d’abord, le changement climatique rend les glaciers plus petits. « Si [le glacier du Birch] avait été plus gros, il n’aurait peut-être pas réagi pareil. Là, il s’est quasiment liquéfié sous le poids des roches qui lui sont tombées dessus », dit-il.
Lire aussi : Dans les Écrins, la fonte du glacier condamne un refuge historique
Les chutes de blocs en haute montagne ont « toujours existé, explique-t-il à Reporterre. Mais dans un contexte de réchauffement climatique et de déglaciation, il y en a de plus en plus. » Les glaciers, poursuit-il, peuvent par ailleurs jouer un rôle de « stabilisateur » des parois rocheuses, en exerçant une pression sur leurs côtés. « Quand le glacier s’amincit, comme ça a été le cas en Suisse, c’est un peu comme si un mur perdait son soutien latéral, détaille-t-il. Ça crée des changements de pression, et peut entraîner des fractures qui génèrent encore plus d’instabilité. »
L’effondrement massif du glacier du Birch relève de paramètres topographiques et glaciologiques particuliers. « En France, pour l’instant, il n’y a pas de lieu qui nous pose véritablement problème », dit Ludovic Ravanel. Certains sites sont néanmoins surveillés de près. C’est le cas du glacier de Taconnaz, près de Chamonix, qui pourrait se déstabiliser « en partie ».
Un énorme paravalanche a cependant été installé au pied du glacier, et pourrait retenir ce qui en tomberait. « Le prochain événement nous surprendra, et sera dans un secteur où l’on n’a pas travaillé », nuance le chercheur.
Si l’on ne peut espérer stabiliser tous les glaciers d’Europe, il est possible d’anticiper les risques, via la surveillance scientifique, et évacuer la population en cas d’urgence. Depuis 2005, avec d’autres scientifiques, il a mis en place un réseau d’observation de plusieurs massifs, notamment grâce aux guides et aux gardiens de refuge. « Le souci, dit-il, c’est qu’on a besoin de financement. La deuxième phase du projet, que l’on a déposée l’automne dernier, n’a pas été financée. »
En juin 2022, dans les Alpes du nord de l’Italie, le glacier de la Marmolada s’est effondré partiellement, tuant onze personnes. Là encore, les scientifiques pointent du doigt le rôle du changement climatique, et la manière dont la chaleur estivale inhabituelle avait accéléré la fonte de la neige et de la glace. Quelques heures avant que cet immense amas de glace et de roche ne se détache, la température au sommet du glacier avait atteint 10 °C.
Plus récemment, en juin 2024, le hameau de la Bérarde a été dévasté par une crue torrentielle, générée entre autres par la rupture d’un lac glaciaire en amont, sur le glacier de Bonne-Pierre. Ce lac était né en 2016 de la fonte du glacier. Dans la nuit du 20 au 21 juin 2024, il s’est brutalement vidangé suite à un orage, venant grossir les flots des torrents de montagne qui ont rasé La Bérarde.
« La catastrophe de Blatten, c’est un signe avant-coureur »
La fréquence et l’intensité de ces phénomènes devraient augmenter à mesure que le climat global se réchauffe. Dans son rapport spécial de 2019 sur l’océan et la cryosphère, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat estimait, avec un « haut niveau de certitude », que le recul des glaciers et la dégradation du permafrost devraient réduire la stabilité des pentes montagneuses. Les glissements de terrain et les inondations, écrivaient-ils, « apparaîtront également là où il n’y a pas de traces d’événements antérieurs ».
« Si l’humanité ne veut pas faire face à ce type de situation, il faut absolument sauver les glaciers et agir pour le climat, insiste Jean-Baptiste Bosson. Il faut que l’on comprenne à quel point on ne peut vivre sans eux, parce qu’ils régulent le climat, le cycle de l’eau, le fonctionnement des océans… La catastrophe de Blatten, c’est un signe avant-coureur du drame que serait l’extinction des glaciers sur Terre. »
Pour l’instant, constate-t-il, les dirigeants semblent « à côté de la plaque » : à la conférence internationale sur la préservation des glaciers, qui a lieu en ce moment au Tadjikistan, presque aucun chef d’État n’a fait le déplacement.
Vidéo prise avec vue sur la fracturation des roches au sommet de Blatten par toposwiss
https://share.dma.swiss/s/omktaF5kTki9rFC?dir=undefined&openfile=28062222