Extraction du sable marin : le fléau invisible
Publié le 5 Octobre 2025
Le sable coquillier contient des débris de coquillages qui permettent de lutter contre l'acidité des sols © Radio France
paru sur franceculture le 12/5/2025- suggéré par Christian. Merci Christian
Le sable est la deuxième ressource la plus exploitée au monde après l'eau. Utilisé dans la construction ou l'agriculture, on en extrait 50 milliards de tonnes par an dans le monde, dont six milliards dans l'océan. Mais dans ce domaine, la France fait aujourd'hui figure de bon élève. Explications.
Le code minier qui régit l'exploitation du sable, notamment marin, a changé en 2022. Une réforme qui fait suite à quinze années d'une mobilisation citoyenne emblématique contre l'extraction du sable coquillier en baie de Lannion, dans les Côtes-d'Armor.
Un soulèvement de "Gaulois"
Officiellement, le collectif Peuple des Dunes en Trégor, qui regroupait une vingtaine d'associations, est dissous depuis un an. Pourtant, tous les anciens mobilisés ont répondu présents pour venir raconter leurs années de lutte contre l'extraction de sable dans la baie de Lannion. Tout a commencé en 2010, lorsque la CAN la compagnie armoricaine de navigation, filiale du groupe agrochimique breton Roullier, a présenté un projet d'extraction de 400 000 mètres cube de sable coquillier par an, pendant vingt ans, à seulement 5 kilomètres de la côte de 13 communes concernées.
Ce sable était destiné à l'amendement agricole, pour rendre les sols bretons (où il n'y a pas de calcaire) moins acide. Ce sable devait pour l'industriel remplacer le maërl, une algue calcaire très utilisée depuis les années 1950 pour la fertilisation des sols mais dont l'exploitation est interdite depuis 2010. Lors de l'interdiction, le groupe Roullier s'était vu proposé pour le remplacer, l'extraction du sable coquillier en baie de Lannion sur 4 kilomètres et entre deux zones Natura 2000 protégées.
Plage de Goas Treiz à Trebeurden, à 5 kilomètres de la dune de sable sous marine dont l'extraction a été stoppée par 15 ans de mobilisation locale ©Radio France -
"C'est vrai que nous étions un peu des Gaulois, mais le problème, c'est que dès le départ l'état et l'industriel nous ont menti. Tout ce projet comme tant d'autre, a été fait en ignorant la population et les élus locaux" s'agace Alain Bidal, président du collectif Peuple des Dunes en Trégor. Dès l'enquête publique, les études manquaient. Rien sur l'état initial de la baie de Lannion. Rien sur les besoins réels des agriculteurs en volume de sable coquillier chaque année. Rien sur les impacts environnementaux d'un tel forage. Et pour cause, dans le code minier français ce sont les industriels exploitants le sable qui financent les études d'impact, notamment environnemental.
Ce sont donc les citoyens, les professionnels et les élus locaux qui ont financé de telles études. "Nous avons montré que cette dune sous marine est un lieu d'écloserie pour une espèce que nous connaissions mal, le lançon, et qui est pourtant la base de toute la chaine alimentaire des poissons nobles du type Daurade, Bar ou Saint Pierre, mais aussi des oiseaux marins protégés dans la zone des 7 îles juste à côté." Alain Bidal, président du collectif Peuple des dunes en Trégor.
Très vite, ce projet d'extraction de sable a donc fait localement l'unanimité contre lui ; mobilisant plaisanciers, plongeurs, militants de la Ligue de protection des oiseaux, professionnels du tourisme et bien sûr les 49 bateaux des marins pêcheurs locaux qui défendent une pêche locale et durable en baie de Lannion sans chalutage. Pour eux, l'extraction de sable, avec tous les rejets de particules fines dans l'eau et le bruit sous-marin insupportable, signifiait la fuite des poissons et donc la fin de leur carrière.
Les pêcheurs et les plongeurs qui vivent la même chose au large de Bréhat, où il y a une concession d'exploitation de sable marin depuis vingt-cinq ans, nous l'ont dit. "Là-bas, le fond marin est de plus en plus profond et il est lunaire", confie le président du Cap, le club de plongée de Trébeurden.
Alors le collectif mène et finance des études, lance des actions en justice, organise toutes sortes de manifestations qui réunissent des milliers de personnes à Lannion. L'une d'entre elle organisée par l'association Sauvegarde du Trégor réunit jusqu'à 5000 personnes à Lannion en septembre 2016 alors que l'extraction a lieu en pleine nuit malgré les procédures de justice en cours. Car, malgré des concessions en 2015, l'État et l'industriel s'entêtent contre les citoyens et contre les élus locaux poussés à la mobilisation.
L'affaire devient politique
"L'unanimité des élus locaux était assez inédite. Nous nous mobilisions pour défendre notre environnement, mais aussi nos ressources économiques et bien sûr nos côtes. Parce qu'avec la montée des eaux, toute destruction d'un obstacle sous-marin comme une dune n'est pas acceptable, surtout si c'est pour servir les profits d'un géant industriel." se souvient Joël Le Jeune, le maire de Tredrez Locquémeau, qui présidait alors la Communauté d'agglomération de Lannion Trégor.
En mai 2017, la députée Corinne Erhel, très mobilisée contre l'extraction du sable en baie de Lannion et qui avait rejoint le camp d'Emmanuel Macron, meurt pendant un meeting. Un an après, le président Macron fait marche arrière (en tant que ministre en 2015, il avait soutenu le projet) et suspend l'exploitation du sable et la concession sera finalement officiellement abandonnée en 2024.
Cette mobilisation a fait date, car entre temps le code minier qui régit l'exploitation du sable a changé. Les industriels sont aujourd'hui responsables durant trente ans des possibles dommages environnementaux causés par l'extraction du sable et le règlement impose maintenant plus de concertation avec des tiers, avant le dépôt d'un projet d'extraction. En revanche, les études d'impact environnemental sont toujours financées par les industriels (contrairement à la Belgique où elles sont financées de manière indépendante).
Joel Le Jeune, Jean François Omnes, Jean Legorjus, Philippe Priseur, Patrick Grabos Alain Bidal. "Le combat n'est pas terminé, il y aura d'autres projets de ce type, mais ce sera pour la génération qui suit
30 000 cartes postales de ce type ont été envoyées à Emmanuel Macron pour lui rappeler "l'importance de la démocratie locale." © Radio France
Le combat contre l'extraction de sable continue
Il n'existe pas d'études aujourd'hui sur l'état initial des dunes sous-marines avant extraction. De même, les études sur les impacts croisés des activités maritimes (dragage, extraction de sable et éoliennes, par exemple) sont inexistantes. Très peu d'études existent sur l'impact de l'extraction du sable sur le recul du trait de côte. Résultat : si, en France, l'extraction de sable marin reste limitée (en Bretagne, il reste deux sites d'extraction de sable coquillier contre dix, il y a quinze ans, d'après l'Ifremer), elle est encore loin d'être interdite.
Contacté, le groupe Roullier a refusé de répondre à nos questions, mais une source proche de l'industriel rappelle que les 17 concessions de sable marin en France n'extraient que 2% des 450 millions de tonnes prélevées chaque année dans les terres. Ce qui n'empêche pas le groupe de porter un nouveau projet d'extraction de sable au large de Noirmoutier et de faire à nouveau face à une forte opposition locale.
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