Un tout petit bout de monde
Des reculées jurassiennes en pays du Muschelkalk ?

Aujourd’hui nous allons nous pencher sur quelques particularités du relief local rencontrées lors de la prospection (sur le terrain) pour l’article consacré aux cascades du Muschelkalk. Il est apparu que certains vallons présentaient un air de ressemblance, de « déjà vu » avec les sites des reculées du Jura.

La page présente d’abord deux reculées jurassiennes typiques pour lesquelles elle s’inspire de l’article publié sur le site Planet-Terre et dans lequel l’auteur* distingue deux types de reculées.

* Pierre Thomas. Image de la semaine 07/12/2015. Les reculées du Jura. Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Les reculées du Jura

1) Une reculée typique : Baume-les Messieurs

Vue sur la Reculée de Baume depuis le sud (belvédère D 471 à l’est de Lons-le-Saunier). La reculée est bordée d’une corniche calcaire impressionnante, des éboulis occupent les pentes. Au pied du cirque (cul de sac), le site offre une série de curiosités : grottes, résurgences, cascades, rivière du Dard… Baume-Les-Messieurs se situe au fond à l’entrée de la reculée.

Vue cartographique 3D de la reculée depuis le NNE (d’après le site Géoportail. Données carte IGN BRGM). La photo précédente a été prise depuis l’extrémité de la Reculée (haut de la carte). Plusieurs branches rectilignes de reculées coexistent. La rivière,le Dard, prend naissance au fond de la reculée

Une reculée est une forme de relief qui désigne une vallée encaissée dans un plateau formé d'épaisses couches calcaires horizontales qui reposent sur des terrains marneux (pentes et base) imperméables. Elle se termine en amont par un cirque en fer à cheval au pied duquel naît une rivière (résurgence) issue d'eaux infiltrées (karst*) sur le plateau surplombant. Ce cirque recule au fil du temps par éboulements (gel, action de sape à la source) et les produits sont exportés par le cours d'eau. Des eaux de ruissellement à la surface du plateau peuvent tomber en cascade, mais n'entament guère le rebord de la falaise qui recule (plus vite) par effondrement. L'installation d'une reculée est souvent lié à la présence d'une faille qui favorise l'existence d'un karst. Ce type de vallée existe dans le Jura, en Bourgogne, dans les Causses... Un exemple célèbre est connu en Lorraine : le Cul du Cerf à l'ouest de Neufchâteau.

*Karst = paysage typique des pays calcaires modelé par l’action de dissolution des eaux chargées en dioxyde de carbone. Des formes caractéristiques existent en surface et en profondeur.

2) Une reculée avec gorge et cascades

Cascade du Grand Saut. On connaît un autre type de reculée où une rivière, ici le Hérisson, dévale du plateau par une série de cascades. Les deux les plus hautes (Grand Saut et Eventail cumulent une hauteur de 120 mètres) et se déversent dans une gorge profonde en sculptant la paroi en fonction de la résistance des roches.

Vue Géoportail 3D sur la Reculée du Hérisson. La morphologie globale de cette vallée étroite rappelle celle d'une reculée. Une partie des eaux de la rivière s'infiltre aussi en amont dans les niveaux calcaires et ressort dans le fond de vallée. Ce dernier point rapproche cette formation des reculées de type Baume.

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B) Des candidats en Alsace Bossue ?

1)- Un exemple de ravin à cascade : le Tiefe-Brunnen-Klamm (= ravin de la source profonde)

Une vallée de ruisseau au nord de l’Alsace Bossue, proche de la frontière, dont le trajet ne fait pas plus de 1 km présente dans son cours inférieur une gorge profonde butant sur une cascade.

Tracé du ruisseau d’après un extrait de carte ( Géoportail 3D)terrains : en orange pâle, Couches à cératites / en orange, Calcaire à entroques / en rose saumon, Couches grises /en vert clair (ajouté), cône de déjection alluvionnaire

Entrée du vallon. Au premier plan, l’extrémité amont du cône de déjection (mousses) que le ruisseau entaille sur la gauche. Le vallon s’engage entre des flancs redressés occupés par une hêtraie. Des arbres tombés se mêlent aux éboulis de pente. A l’arrière, on devine des parois rocheuses et une cascade.

Vue sur la cascade depuis le rebord du ravin à deux périodes. En automne, malgré les premières pluies, la cascade ne coule pas alors que le ruisseau en amont est alimenté. L’eau disparaît dans la dalle à quelques mètres du rebord de la chute. En hiver, après une période de pluies soutenues, la cascade est active. Toutefois, son débit actuel n’arrive pas à entraîner les amas de branches et débris rocheux à sa base.

Cascade vue de face. La chute ( 2 mètres) tombe par-dessus de gros bancs (20-50cm) qui appartiennent au Calcaire à entroques. L’inégale épaisseur des couches et leur fracturation ont permis l’érosion de la partie supérieure de la série. L’accumulation de débris au pied de la chute masque sa véritable hauteur. En amont, l’entaille du vallon dans les Couches à cératites n’est plus que de 2 à 3 mètres.

Contact entre deux niveaux du Muschelkalk dans le flanc droit du ravin, sous la cascade : à la base du hêtre, affleurent les marnes des Couches grises facilement érodables, au-dessus se situent les bancs du Calcaire à entroques partiellement fracturés

Vue sur la gorge depuis le haut de la cascade. Le rebord de celle-ci se situe au 1/3 inférieur de la hauteur du cliché. Les flancs de cette « reculée » très pentus sont surmontés par la corniche calcaire (mousses). Le dénivelé atteint la quinzaine de mètres.

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Portion de fond du ruisseau couverte d’un travertin (tuf calcaire). Ce dépôt calcaire avec impuretés (argiles, débris végétaux) correspond à la précipitation du carbonate de calcium à partir de bicarbonate initialement dissous, favorisée par la présence d’organismes et la turbulence des eaux...

2)- Un autre site au cœur de l’AB : la vallée haute du Breitmatt Graben près du Kirchberg (Thal)

Vue 3D d’après Géoportail de l’indentation du vallon du Breitmatt Graben (= ruisseau de la prairie large) dans le rebord de la Côte de Lorraine. Le relief de côte créé par le Calcaire à entroques se suit dans le paysage après l’abandon par l’agriculture des terrains en pente (*) et le retour de la forêt. Cette vallée a des allures de reculée comme sa voisine immédiate au sud du Kirchberg. Les ruisseaux naissent à partir de sources situées au pied de la côte, dans les Couches grises.

4) Discussion

Les deux sites locaux (Breitmatt et Klamm) cités répondent -ils aux critères de reculée identifiés dans le Jura ?

De cette comparaison, il ressort que les deux ruisseaux locaux présentent des points de ressemblance avec les reculées du Jura, l’un -Breitmatt- pour la reculée-type de Baume, l’autre – Klamm- pour le « modèle » du Hérisson. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’hypothèse de reculées en « modèle très réduit » dans le territoire d’Alsace Bossue paraît plausible. Deux points méritent d’être signalés qui illustrent cet aspect : - la faible épaisseur de la barre calcaire à l’origine du karst et de la falaise/abrupt qui encadre la reculée dans notre secteur. - l’altitude générale modérée par rapport au Jura, qui modifie l’impact des facteurs climatiques et par là l’érosion actuelle mais surtout passée (périodes glaciaires).

Textes, photos (sauf mention), recherches, et bibliographie Étienne Feuchter (Anab)

Remarques complémentaires

1/ Le réseau karstique a été étudié dans les terrains Muschelkalk de la région.
Des formes de reculées ont été signalées sur le front de la côte de Meuse

-Frischmann E. (1997) - Le Muschelkalk supérieur de la périphérie du bassin houiller :problème de karstification, aménagement et gestion des ressources. Mém. maîtrise géographie, Univ. Metz, 111 p

2/ Des formes de reculées ont été signalées sur le front de la côte de Meuse

- « la côte de Meuse est échancrée par de petites reculées où naissent des ruisseaux anaclinaux » Structure de l’est du bassin parisien. Yvonne Battiau-Queney.

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