Trop jeune, manipulée, payée... Nous avons passé au crible les critiques faites à Greta Thunberg

Publié le 24 Juillet 2019

Greta Thunberg

Greta Thunberg

Article paru sur Franceinfo le 23/7/2019

Avant son passage devant l'Assemblée ce mardi, des députés ont critiqué l'activiste suédoise.

Deux tresses qui dégringolent sur ses épaules, un bonnet enfoncé sur la tête et une pancarte dans les mains. Greta Thunberg est désormais connue du grand public. En grève scolaire pour le climat, la jeune Suédoise d'à peine 16 ans s'est exprimée devant les dirigeants du monde entier lors de la COP24, à Katowice (Pologne) en décembre dernier, ou à Davos (Suisse) pour le Forum économique mondial en janvier. L'adolescente est devenue l'un des visages de la lutte contre le réchauffement climatique et doit venir s'exprimer, mardi 23 juillet, devant l'Assemblée nationale. Mais cette récente célébrité lui vaut de nombreuses attaques, y compris de la part de certains élus français. Franceinfo passe au crible les critiques qui lui sont adressées.

1Elle est trop jeune et devrait retourner à l'école

"La petite Greta, cette gamine de 16 ans devant laquelle il faut plier le genou." Invité de France Inter fin juin, le député Sébastien Chenu (Rassemblement national) n'a cessé de conspuer la jeunesse de l'activiste suédoise, "demoiselle" âgée de 16 ans.

 

Il est loin d'être le seul à le penser. "Les 'Minikeums' seront quant à eux reçus au Sénat. Et 'Flipper le dauphin' dira son attachement à la planète au Conseil constitutionnel"s'est moqué l'animateur Jérôme de Verdière en apprenant sa venue devant l'Hémicycle. "On peut se demander si c'est aux enfants de faire de la politique mais il y a une certitude, Greta Thunberg, pour changer le monde, il faut aller à l'école !", estime encore la députée Les Républicains Valérie Boyer sur Twitter.

Greta Thunberg l'entend volontiers. "Je suis trop jeune pour faire ça. Nous, les enfants, on ne devrait pas avoir à faire ça", se défendait-elle sur Facebook (en anglais) en février dernier, un message traduit par Reporterre. "Si tout le monde écoutait les scientifiques et entendait les faits que j'évoque constamment, personne n'aurait à m'écouter ou à écouter les centaines de milliers d'autres écoliers en grève pour le climat dans le monde. On pourrait tous retourner à l'école."

"C'est bien qu'elle soit jeune, pense au contraire le chercheur Daniel Boy, directeur de recherche au Cevipof, spécialisé dans les mouvements environnementaux. C'est symbolique, ça veut dire que le sujet intéresse les jeunes. Après tout, dans 10 ou 20 ans, les conséquences du réchauffement climatique les concerneront directement."

2Elle est manipulée par des lobbys verts

Pour Valérie Boyer, la jeune militante écologiste est également "sous emprise". Elle serait "instrumentalisée par les ayatollahs écolo-catastrophistes qui veulent imposer aux jeunes une réduction massive de leurs libertés", ajoute même le chirurgien Laurent Alexandre, figure de la tech en France. Les personnes qui gravitent autour de Greta Thunberg sont perçues pour beaucoup comme "inquiétantes" ou "manipulatrices".

Ne pensez-vous pas qu'une adolescente de 16 ans puisse parler d'elle-même ?Greta Thunbergsur Facebook

Et la jeune fille d'ajouter : "Beaucoup de gens aiment répandre des rumeurs disant que j'ai des gens 'derrière moi' ou que je suis 'payée' ou 'utilisée' pour faire ce que je fais. Mais il n'y a personne 'derrière' moi, sauf moi-même." 

Le nom qui revient le plus souvent est celui d'Ingmar Rentzhog. "Petit génie suédois des relations publiques", comme le qualifie l'ex-députée écologiste Isabelle Attard dans une tribune publiée sur Reporterre, il est le cofondateur de la start-up We Don't Have Time, réseau social consacré à la planète, et "le président du conseil du think tank Global Utmaning", lié à un programme du forum de Davos, précise Libération. Activités pour lesquelles il est accusé de "greenwashing", à savoir faire de l'écologie pour se donner une belle image.

Tout est parti d'une photo de Greta Thunberg postée par Ingmar Rentzhog au début de la grève scolaire de la jeune fille, en août dernier. Dans Reporterre, Isabelle Attard dénonce un coup de communication. "En fait, Ingmar Rentzhog et la famille de Greta se connaissent déjà et ont participé ensemble à une conférence sur le climat le 4 mai 2018. Tout a été finement programmé pour transformer la jeune Suédoise en héroïne internationale", accuse l'ancienne élue, pour qui Greta Thunberg a cédé au "capitalisme vert". Des faits que l'intéressée nie : "Il m'a parlé et a pris des photos, qu'il a affichées sur Facebook. C'était la première fois que je le rencontrais et que je lui parlais."

3Elle tient des discours apocalyptiques

"Elle est programmée pour des speechs apocalyptiques", attaque le magazine Causeur. "Non à la moraline et la terreur par la peur", ajoute le député Les Républicains Jean-Louis Thiériot. Il faut dire que dans ses discours, Greta Thunberg n'hésite pas à utiliser des mots brutaux pour faire prendre conscience de l'urgence de la situation. "Notre maison brûle", "je veux que vous paniquiez", reconnaît-elle dans son manifeste Rejoignez-nous, publié en avril en France. 

Lorsque votre maison est en feu, vous ne vous asseyez pas et ne parlez pas de la façon dont vous pourrez la reconstruire une fois que vous aurez éteint le feu. Si votre maison est en feu, vous sortez en courant et vous vous assurez que tout le monde soit dehors pendant que vous appelez les pompiers. Cela exige un certain niveau de panique.Greta Thunbergsur Facebook

La peur est-elle la meilleure solution pour parler de climat ? Si certains s'interrogent sur la posture de Greta Thunberg, sa méthode ne choque pas les scientifiques que franceinfo a interrogés. C'est "difficile à entendre pour l'opinion publique, mais c'est une réalité, soutient Sandrine Maljean-Dubois, directrice de recherche à l'université d'Aix-Marseille. C'est bien qu'elle mette la pression. L'urgence est là. On n'a plus que quelques années pour changer les choses."

Déçue face aux attaques dont Greta Thunberg est la cible, Sandrine Maljean-Dubois n'est toutefois pas "étonnée""A l'origine, c'est des lobbies traditionnels, des gens conservateurs qui ne supportent pas les jeunes et que le discours sur l'effondrement dérange. Ils préféreraient glisser le problème sous le tapis." 

 

4Elle prend la place des experts du climat

Certains regrettent aussi de voir Greta Thunberg prendre la place, à la tribune et plus largement dans les médias, de scientifiques experts du réchauffement climatique. "Hervé Le Treut, Valérie Masson-Delmotte, Jean Jouzel et tant d'autres pour parler climat à l'Assemblée nationale ? Non, Greta Thunberg, adolescente en grève d'école. Agaçant", juge ainsi un utilisateur de Twitter.

Pour le climatologue Robert Vautard, le discours scientifique et le cri du cœur ne sont pas incompatibles. "Chacun est dans son rôle. Mademoiselle Thunberg ne parle pas pour les scientifiques – et je ne l'ai d'ailleurs jamais vu intervenir en ce sens – mais pour sa génération. Et elle appuie ses convictions sur des faits scientifiques. Ça me paraît normal", explique-t-il à franceinfo. Lors de son passage devant l'Assemblée nationale à Paris, Greta Thunberg sera d'ailleurs accompagnée de la climatologue Valérie Masson-Delmotte, vice-présidente du Giec et coordinatrice du rapport sur la limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C.

Par ailleurs, la jeune militante n'a pas à rougir de ses connaissances sur le sujet. "Son discours est très construit, réfléchi. Je pense qu'elle travaille beaucoup et qu'elle a une capacité à intégrer assez impressionnante", estime Sandrine Maljean-Dubois. La chercheuse a déjà rencontré Greta Thunberg, lors de la COP24 en Pologne. "Elle sait trouver les mots qui permettent de concrétiser la menace. Ce discours scientifique jusqu'à présent trop abstrait, elle le personnifie", admire-t-elle.

 

5Elle n'agit pas en accord avec ses paroles

Autre critique régulière à propos de Greta Thunberg : la manière dont elle se déplace pour alerter le monde. Beaucoup la soupçonnent de prendre l'avion, alors même que ce moyen de transport est l'un des plus gros émetteurs de CO2. "Quand elle voyage, c'est à cheval et en bateau ?", s'interroge ainsi un utilisateur de Twitter.

La réponse à cette question a priori rhétorique n'est pourtant pas difficile à trouver. "Pour rejoindre Davos en janvier depuis la Suède, Greta Thunberg avait pris le train : 32 heures de voyage", assure Le Journal du dimanche. Quant à son voyage à New York, prévu en septembre à l'occasion du sommet pour le climat des Nations unies, elle affirme vouloir "essayer tous les moyens possibles" – comme le bateau – pour "s'y rendre sans emprunter l'avion", relaye L'Obs. Une journaliste de Libération qui l'a interviewée précise même que Greta Thunberg "n'a accepté la rencontre" qu'avec une "exigence : que l'on vienne en train".

"Tout le monde n'arrête pas de dire que le réchauffement climatique est une menace existentielle, que c'est le problème le plus important de notre époque, mais tout le monde continue d'agir comme avant, exposait-elle lors d'une conférence à Stockholm. Je ne comprends pas." 

Pour Sandrine Maljean-Dubois, son comportement est tout à fait cohérent avec ses idées. "Peu de personnes le sont. Je travaille sur le sujet depuis 25 ans, mais je ne l'ai pas toujours été", admet-elle. Si cette rigueur dérange certaines personnes, c'est parce que Greta Thunberg "représente la mauvaise conscience. Elle nous met face à nos propres contradictions et nos responsabilités".

 

6Elle gagne de l'argent grâce à son combat

"Papa et maman se sont rendu compte que lui faire arrêter l'école leur rapportait plus d'argent que de l'y laisser", avance une internaute. Comme elle, certains pensent que le combat de l'adolescente n'est qu'un moyen de faire de la publicité à la famille Thunberg. Parents et enfants ont publié, l'été dernier, un livre sur la transition écologique du foyer et ce, "quelques jours à peine avant le début de la grève de Greta", rappelle Le Monde"Une photo de la jeune fille devant le Parlement suédois figure même en couverture de l'édition de poche, publiée en décembre 2018." Sauf que, comme le souligne le quotidien, "en août, personne n'aurait pu anticiper la médiatisation et l'impact de son action". 

"Je fais ce que je fais complètement gratuitement, je n'ai reçu aucune somme d'argent ni aucune promesse de paiements futurs, sous quelque forme que ce soit. Et personne lié à moi ou à ma famille ne l'a fait non plus", défend fermement Greta Thunberg sur Facebook. Elle précise que les bénéfices du livre "iront à huit associations caritatives différentes travaillant dans les domaines de l'environnement, du soutien aux enfants malades et de défense des droits des animaux".

Une information confirmée à franceinfo par le président de la maison d'édition Kero, qui a déjà publié le manifeste de Greta Thunberg en français et s'apprête à traduire le livre familial. "C'est une demande qui vient d'elle depuis le tout début de la proposition d'édition de son manifeste. Il en sera de même pour le livre sur sa famille que nous publierons à la fin de cette année", souligne Philippe Robinet.

 

7Ses proches utilisent son autisme

Greta Thunberg "affiche son Asperger comme un titre de noblesse", critique l'écrivain Pascal Bruckner dans Le Figaro. "En révélant qu'elle est atteinte d'un autisme Asperger, ses parents en ont fait un bouclier humain inattaquable", ajoute l'entrepreneur Laurent Alexandre dans L'Express. D'après ce dernier, "elle aurait besoin d'un stress minimum" et devrait être retirée des projecteurs.

Greta Thunberg, elle, n'est pas de cet avis. Sur Facebook, elle explique que c'est justement ce trouble neurodéveloppemental, un "super-pouvoir", qui l'a poussée à s'engager. "Si j'avais été 'normale' et sociable, j'aurais intégré une association, ou j'en aurais fondé une moi-même. Mais comme je ne suis pas très sociable, j'ai fait la grève de l'école à la place." 

Rédigé par ANAB

Publié dans #Changement climatique

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