Chez la guêpe parasite, l’hôte et le virus ne font plus qu’un

Publié le 12 Mars 2021

Cette chenille de sphinx du tabac (Manduca sexta) est couverte d’œufs de guêpe parasitoïde. Celle-ci a intégré dans son ADN le matériel génétique d’un virus, qui lui permet de pondre dans le corps de la chenille.

Cette chenille de sphinx du tabac (Manduca sexta) est couverte d’œufs de guêpe parasitoïde. Celle-ci a intégré dans son ADN le matériel génétique d’un virus, qui lui permet de pondre dans le corps de la chenille.

paru sur le site "pour la science le 4/3/2021

Des guêpes parasites ont intégré dans tous leurs chromosomes l’ADN d’un virus qui leur permet de pondre leurs œufs dans le corps de chenilles.

L’infection d’un organisme par un virus n’est pas seulement synonyme de maladie : cela peut aussi être un facteur d’évolution. En intégrant dans son ADN le matériel génétique d’un virus, un hôte infecté peut développer de nouvelles fonctions, susceptibles de redéfinir sa physiologie ou son comportement. Exemple archétypal, les guêpes parasites Cotesia congregata – qui pondent leurs œufs dans le corps de chenilles – injectent à leurs victimes des particules d’origine virale qui empêchent le système immunitaire des chenilles d’attaquer les larves pendant leur développement. Ces mêmes particules virales détournent ensuite les mécanismes physiologiques des chenilles au profit des parasites. Ainsi, sans le virus qu’elles hébergent, le mode de développement parasitique de ces guêpes n’existerait pas. Pour mieux comprendre cette relation, Jean-Michel Drezen et Jérémy Gauthier, de l’Institut de recherche sur la biologie de l’insecte (CNRS), à Tours, et leur équipe ont reconstitué et étudié le génome de ces guêpes. Ils ont découvert que l’ADN du virus a colonisé tous les chromosomes de l’insecte, dont il est désormais indissociable.

Le virus porté par ces guêpes parasites, le bracovirus, a pour la première fois été intégré par l’ancêtre de ces insectes durant le Crétacé, il y a environ 103 millions d’années, quand il n’était qu’un petit nudivirus d’une centaine de milliers de paires de bases. L’ADN viral qui s’insère dans le génome d’un hôte finit le plus souvent par se dégrader et disparaître complètement avec le temps, en général car il n’apporte pas d’avantage à l’hôte. Or l’ADN du bracovirus n’a pas subi le même sort : il s’est complexifié en s’associant à celui de la guêpe et compte désormais un million de paires de bases. Ses gènes sont aujourd’hui répartis dans les dix chromosomes de la guêpe mais certains – spécialisés dans des fonctions virales essentielles au parasitisme, comme la production des particules injectées à la chenille – sont concentrés dans des régions particulières, et notamment sur le bras court du cinquième chromosome.

En comparant ces régions chromosomiques entre C. congregata et une autre espèce de guêpe parasite, Microplitis demolitor, les biologistes ont découvert que cette concentration localisée des gènes viraux et leur organisation étaient similaires et donc déjà fixées il y a 53 millions d’années, époque du dernier ancêtre commun connu de ces deux espèces. Cette observation laisse penser que l’organisation actuelle de l’association entre ces guêpes et le bracovirus s’est établie entre il y a 103 et 53 millions d’années et qu’elle a été suivie par une certaine stabilité évolutive génétique. Enfin, les chercheurs ont établi que le système immunitaire de la guêpe ne considère pas le virus comme un intrus, en dépit des grandes quantités de particules virales produites dans les ovaires de l’insecte.

Au Brésil, les étonnantes capacités de ces guêpes du genre Cotesia sont mises à profit par les hommes. Depuis les années 1980, elles sont relâchées en grand nombre dans les champs de canne à sucre pour lutter contre certaines espèces de papillons, dont les chenilles sont un fléau pour les récoltes. Elles représentent une alternative plus efficace que les traitements phytosanitaires, car, contrairement à ces derniers, elles peuvent facilement remonter les galeries creusées par les chenilles dans les tiges.

 

Rédigé par ANAB

Publié dans #Apprendre de la nature

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