Vie et mort des haies

Publié le 23 Février 2015

Principalement lié au remembrement, le recul des haies est malheureusement un phénomène patent dans nos campagnes. L’élevage de plein air ne cessant de diminuer depuis les années 60 au profit des stabulations et des cultures intensives, la haie persistante naturelle ne présente plus guère d’intérêt et, au contraire, « gène » la circulation et les travaux agricoles ! Résultat : on rase quasi systématiquement un milieu pourtant d’une richesse inouïe et, pourtant, ô combien indispensable à la biodiversité !
La haie, hier…

Jadis, afin de marquer de manière visible les limites des territoires, qu’il s’agisse d’un village, d’un champ, d’un jardin… on érigeait des barrières principalement faites de branches d’aubépines courbées et entrelacées, soutenues par des pieux. On y ajoutait des branches souples de noisetier en les enchevêtrant aux aubépines ce qui donnait à l’ensemble une relative résistance ! Ces limites étaient dénommées, selon les peuplades, haga, hagja, hegga, hegge ou encore haja ! Voilà pour l’origine et pour l’étymologie de notre actuelle haie. La fonction première de ces murs végétaux était donc de constituer une barrière, si possible infranchissable et propre à décourager d’éventuels maraudeurs ! Très robustes, les branches ainsi piquées dans le sol pouvaient prendre racine, fleurir et croître librement ! La « haie vive » était née. Outre son rôle de délimiteur, cette clôture avait l’avantage de mettre les cultures à l’abri des ravageurs et des vents dominants et de cantonner les troupeaux qu’il n’était dès lors plus besoin de garder du matin au soir !

JLS

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L’entretien des haies -les animaux y faisant immanquablement des trous, les tempêtes et autres aléas climatiques y creusant des brèches…- était aussi indispensable qu’utile : le bois récupéré lors de la taille était bien évidemment utilisé comme combustible et permettait par ailleurs la fabrication de nombreux outils et ustensiles nécessaires aux ruraux des temps anciens…

Lièvre d'Europe (Lepus europaeus) JLS

Lièvre d'Europe (Lepus europaeus) JLS

Profitant du biotope créé par les haies qui, au fil des années, gagnaient en densité et en variété, de nombreuses plantes, tant des prés que des bois, y trouvaient également refuge : l’abondance et la richesse de la flore attirant très logiquement une faune tout aussi variée qui trouvait là abri et nourriture ! C’est ainsi que, peu à peu, c’est un véritable écosystème qui est né…

Constituée d’aubépines, de noisetiers, de sureaux, d’érables champêtres, de charmes, de hêtres et de chênes parfois… les haies vives ont fourni des siècles durant bois et fruits divers aux populations ! Ainsi, la haie médiévale était-elle également respectée voire même vénérée pour toutes les fleurs et herbes qui poussaient à son ombre : les vertus tant gustatives que médicinales de chaque plante étaient alors connues et très largement exploitées ! En l’absence de médecins et d’apothicaires, les habitants des campagnes n’avaient d’autres solutions pour se soigner que les remèdes se trouvant à l’état naturel à proximité de leurs habitations. L’observation de leur environnement et des bêtes fournissait également quantité d’informations utiles aux campagnards dont aucun n’ignorait les nombreuses propriétés de chaque simple : du millepertuis tout comme de l’achillée millefeuille on savait extraire un baume pour les blessures, la consoude était déjà réputée pour ses effets bénéfiques sur les os, l’épiaire ou encore l’ortie faisaient des miracles sous forme de cataplasme quant aux feuilles de tanaisie, elles préservaient des accès de fièvre… Les croyances populaires et autres légendes désignaient tel végétal de protecteur contre les serpents et les poisons tandis que tel autre, transformé en philtre, rendait prétendument et indifféremment fécondes les terres arides tout comme les femmes en peine de maternité !

Orchis mâle (Orchis mascula) JLS

Orchis mâle (Orchis mascula) JLS

En ces temps reculés et manifestement très durs, la nature était également pourvoyeuse de plantes comestibles dont on ne perdait rien : le gaspillage alimentaire n’était pas encore de mise… Tiges et feuilles de pissenlit, de mouron des oiseaux, d’épilobe, de lierre terrestre, de berce spondyle… étaient largement consommées en salade bien souvent à défaut de mieux et de plus consistant ! Les fruits –noisettes, mûres, cynorhodons, cenelles d’aubépine, prunelles, pommes etc.- amélioraient le modeste ordinaire de tout un chacun et permettaient même à certains de faire du vin (baies de sureau par exemple). En été, la haie nourrissait également le bétail qui se régalait de fleurs sélectionnées et, en hiver, certaines feuilles remplaçaient avantageusement fourrage et litière…

La haie aujourd’hui…

Mais le temps a passé et, progressivement, les haies furent laissées à l’abandon : l’exode rural, l’industrialisation massive, la modernisation des exploitations agricoles… tout cela a profondément marqué l’évolution de la vie à la campagne et largement redessiné les paysages…

Ainsi, suite aux remembrements, des kilomètres de haies ont été arrachées ! La généralisation des barbelés puis des clôtures électriques a, par ailleurs, permis aux éleveurs d’ériger en peu de temps des parcs pour le bétail : si la mise en place d’une haie permanente est bien longue, son arrachage prend, en revanche, très peu de temps et ce qui, des générations durant, a fait l’objet de soins attentifs, est détruit par les engins modernes en quelques heures seulement !

Chevrette (Capreolus capreolus) JLS

Chevrette (Capreolus capreolus) JLS

Sans doute ne mesure-t-on toujours pas la valeur de tout ce qui est irrémédiablement perdu à chaque fois que disparaît une haie : ce n’est pas seulement un bosquet et quelques arbres mais un véritable écosystème qui, à chaque coup de lame d’un engin, à chaque assaut de tronçonneuse ou de débrousailleuse, est définitivement réduit à néant et, avec lui, toute une faune et microfaune dont le plus grand nombre ne soupçonne pas même l’existence ! Si le paysage en est assurément enlaidi, d’autres inconvénients nettement moins visibles pour l’œil mais aux conséquences diverses et néfastes pour l’environnement découlent directement de ces destructions en règle : ainsi l’érosion –et par voie de fait la stabilisation des sols- et la disparition des microclimats inhérents à la présence des haies pour ne citer que ces effets-là…

Le Tabac d'Espagne (Argynnis paphia) JLS

Le Tabac d'Espagne (Argynnis paphia) JLS

On oublie un peu vite que si la nature peut, sans aucun problème, se passer de nous autres les humains, nous ne pouvons, en revanche, en aucun cas nous passer de la nature.

Texte et photos : Jean-Louis Schmitt (ANAB)

Rédigé par ANAB

Publié dans #Pollution-pesticides

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