Hervé Berville, l’inquiétant « Monsieur biodiversité » du gouvernement
Publié le 12 Février 2024
Le secrétaire d'État à la mer Hervé Berville à l'Assemblée nationale à Paris, le 21 novembre 2023. -
paru sur Reporterre le 9/2/2024
Le secrétaire d’État chargé de la mer a hérité en plus du portefeuille de la biodiversité. Hervé Berville ne s’est pourtant pas illustré comme un défenseur du vivant.
Le choix a de quoi interroger, voire inquiéter. Dans la soirée du 8 février, l’Élysée a dévoilé, après vingt-huit jours de suspense, l’intégralité du gouvernement de Gabriel Attal. Hervé Berville, 34 ans, a conservé son statut de secrétaire d’État à la mer… et vu le périmètre de ses fonctions s’étendre à la biodiversité.
Depuis son entrée au gouvernement en juillet 2022, ce proche de Richard Ferrand, formé à la London School of Economics et à Sciences Po Lille, ne s’est pourtant pas illustré comme un fervent défenseur du vivant. En mars 2023, l’ancien député des Côtes-d’Armor s’est notamment opposé avec véhémence à l’interdiction du chalutage de fond dans les aires marines protégées. Cette technique de pêche, qui consiste à racler le plancher océanique avec de lourds engins tractés, est décrite par la communauté scientifique comme l’une des plus énergivores et néfastes pour la biodiversité marine. Selon Hervé Berville, l’interdire dans les aires marines protégées serait « une folie pour la souveraineté alimentaire de notre pays ».
Le tout nouveau « Monsieur biodiversité » du gouvernement a également réservé d’âpres critiques au Plan d’action pour l’océan de la Commission européenne, destiné à verdir le secteur de la pêche. Ce document — non contraignant — recommande aux États d’étendre la surface de leurs aires marines protégées, d’établir des limites aux prises accidentelles d’espèces vulnérables (comme le dauphin commun dans le golfe de Gascogne), de soutenir la décarbonation des engins de pêche ou encore « d’éliminer progressivement », d’ici 2030, le chalutage de fond dans les aires marines protégées. De quoi « condamner la pêche artisanale française », d’après le secrétaire d’État.
Selon l’association de défense des océans Bloom, ces propos « pyromanes » auraient alimenté la colère des pêcheurs au printemps dernier, cette dernière s’étant soldée par l’incendie des locaux de l’Office français de la biodiversité (OFB) de Brest. Un ressenti partagé par les agents de l’OFB. Une semaine après les faits, ils confiaient à Reporterre souffrir du manque de soutien du gouvernement et de Hervé Berville. « Le secrétaire d’État devrait nous soutenir et être solidaire des missions qui nous sont confiées. Même si nous ne sommes pas sous sa tutelle, il ne devrait pas s’opposer à notre action », regrettait Sylvain Michel, représentant syndical au sein de l’Office.
« Une politique du mensonge éhonté »
« Depuis deux ans, il a fait tout l’inverse de ce qu’il devrait faire pour la mer », cingle Swann Bommier, de Bloom, qui déplore « une politique du mensonge éhonté ». Le chargé de plaidoyer cite en exemple l’intervention de Hervé Berville lors d’une émission de France 2, en novembre. Face aux journalistes et à la militante Camille Étienne, le secrétaire d’État a maintenu mordicus que les navires-usines n’avaient pas le droit de pêcher dans les aires marines protégées. Une affirmation factuellement fausse, au regard du droit français : ces navires ont le droit de pêcher dans ces aires, et sont régulièrement observés en train de le faire.
Swann Bommier regrette également que le secrétaire d’État ne se soit pas levé contre la senne démersale, une technique de pêche destructrice à laquelle seraient pourtant opposés 98 % des pêcheurs, selon un sondage mené par le Comité régional des pêches de Normandie (CRPMEM) et l’Organisation des pêcheurs normands (OPN) auprès de 205 pêcheurs. « Le gouvernement n’a fait que défendre bec et ongles les lobbies de la pêche industrielle », estime-t-il.
Les mesures proposées par Hervé Berville et ses équipes pour réduire les captures de cétacés dans le golfe de Gascogne ont par ailleurs été jugées insuffisantes par les associations environnementales et le Conseil d’État. « On a dû multiplier les recours en justice pour dire qu’elles n’allaient pas sauver les dauphins, et qu’elles n’étaient pas en accord avec les préconisations scientifiques », regrette Morgane Piederriere, responsable du plaidoyer et des relations institutionnelles au sein de France Nature Environnement (FNE).
Sa seule prise de position un tant soit peu « écolo » : son opposition à l’exploitation minière des fonds marins, qui risque de causer « des dommages irréversibles pour nos écosystèmes marins », rappelait-il lors de la réunion annuelle de l’assemblée de l’Autorité internationale des fonds marins, en juillet 2023.
« Sortir du déni »
En tant que secrétaire d’État chargé de la mer et de la biodiversité, Hervé Berville devra s’atteler, dans les prochains mois, à des dossiers cruciaux : la mise en œuvre de la Stratégie nationale biodiversité, qui risque de rester « un document pour caler les meubles » sans volonté politique forte, signale Morgane Piederriere ; la crise du secteur de la pêche ; le statut de protection du loup, que la Commission européenne envisage de modifier ; la seizième COP biodiversité, qui se tiendra en octobre à Bogotá (Colombie)…
Sa politique sera-t-elle à la hauteur des enjeux ? « On aimerait être rassurés, dit Morgane Piederriere. On a besoin de signaux clairs, de l’entendre dire que l’enjeu de la biodiversité est central, qu’il va se battre pour elle. » « Le fait qu’il ait ces deux portefeuilles [la mer et la biodiversité] l’oblige à la responsabilité, à sortir du déni, juge Swann Bommier. Biodiversité et mer ne sont pas antinomiques. La transition sociale et écologique de la pêche est bonne pour l’emploi, le climat, l’environnement, les finances publiques… »
Sur X (anciennement Twitter), Hervé Berville s’est dit « déterminé à poursuivre le travail engagé aux côtés de Christophe Béchu pour protéger nos océans, préserver la biodiversité et agir dans tous nos territoires pour réussir la transition écologique ». Morgane Piederriere et Swann Bommier partagent une crainte : il a été relégué au trente-cinquième et ultime rang de l’ordre protocolaire. Quoique symbolique, ce classement donne des indications sur l’importance de chaque ministère et secrétariat dans la politique gouvernementale. « On vit la sixième extinction de masse, et la biodiversité arrive en dernier », s’inquiète Swann Bommier. Morgane Piederriere abonde : « C’est clairement un signal négatif. »