À l’Alpe d’Huez, un festival transforme la montagne en Disneyland

Publié le 8 Avril 2024

Le festival Tomorrowland existe depuis 2005 en Belgique et se décline désormais à la montagne, en hiver. -

Le festival Tomorrowland existe depuis 2005 en Belgique et se décline désormais à la montagne, en hiver. -

paru sur Reporterre le 16mars2024

Des opposants au festival de musique électronique Tomorrowland Winter, organisé à l’Alpe d’Huez du 16 au 23 mars, dénoncent son « bilan carbone outrancier » et une « disneylandisation de la montagne ».

Cent cinquante artistes, huit scènes, dont une à 3 300 mètres d’altitude, 22 000 fêtards venus du monde entier et un show grandiose face aux montagnes enneigées. À l’Alpe d’Huez (Isère), le festival Tomorrowland Winter promet une « expérience hivernale unique ». La déclinaison montagnarde du plus grand festival de musique électronique du monde, créé en Belgique en 2005, revient pour une quatrième édition dans la station iséroise du 16 au 24 mars. Les billets, obligatoirement combinés à un forfait de ski, sont partis en quelques semaines malgré des tarifs très élevés : entre 675 euros et 1 405 euros pour sept jours de festival, sans compter l’hébergement, ni le transport.

C’est donc ça, le monde de demain ? Pas pour le collectif Stop Tomorrowland Alpe d’Huez. Le groupe créé en octobre à Grenoble milite pour la disparition du festival, du moins sous cette forme, dénonçant une « disneylandisation de la montagne ». Il tente de sensibiliser les habitants avec plusieurs actions de tractage dans les villages concernés ainsi qu’une marche festive de protestation, samedi 16 mars.

« Tomorrowland Winter est une aberration écologique et sociale », estime Benoît, membre du collectif, selon qui « seule une infime partie de la population peut se permettre d’engager de tels frais pour des loisirs ». Sur le plan écologique, le collectif dénonce un bilan carbone « outrancier ». Alors que 47 % des festivaliers venaient de l’étranger en 2023 selon les organisateurs (88 % en 2019), « on parle ici de milliers de tonnes de gaz à effet de serre rejetées dans l’atmosphère », poursuit Benoît. Au moins 6 000 tonnes d’équivalent CO2, selon un calcul effectué par le mouvement Extinction Rebellion en 2022. Sur le site du festival, on propose ainsi des « packages » en avion à partir d’Amsterdam, Bruxelles et Barcelone jusqu’à Lyon. « En intégrant en plus tous les déplacements en voiture, la logistique du festival et la (sur)consommation pendant l’événement, l’empreinte carbone est comparable à la valeur annuelle de l’ensemble des villageois résidant à l’Alpe d’Huez », soit un peu moins de 1 300 habitants, avance Extinction Rebellion.

La moitié des festivaliers sont étrangers

Un chiffre indécent pour un festival en pleine montagne, selon Sébastien, membre des collectifs Stop Tomorrowland Alpe d’Huez et Scientifiques en rébellion. « Lorsque l’on sait qu’un kilo de CO2 relâché dans l’atmosphère fait fondre environ 15 kg de glacier [1], un seul Brésilien qui vient sur l’Alpe d’Huez va faire fondre irrémédiablement - par son seul vol transatlantique - près de 40 tonnes de glacier », explique-t-il. 

Les organisateurs, qui n’ont toujours pas réalisé de bilan carbone de l’événement, promettent de le faire cette année. En 2023, « la moitié des festivaliers étaient Français et 80 % venaient d’Europe », selon Debby Wilmsen, chargée des relations presse de Tomorrowland. Le reste ? Des gens qui viennent de très loin, c’est à dire des États-Unis, du Brésil ou encore d’Israël. « Nous avons des bus qui partent de onze villes de Belgique, des Pays-Bas, de France et d’Allemagne », poursuit Debby Wilmsen. Concernant ceux qui traversent la planète, elle assure qu’ils « profitent du festival pour s’offrir une escapade prolongée en France ou dans d’autres grandes villes européennes ». Pas de quoi convaincre les militants écologistes.

Une scène à 500 mètres du parc national des Écrins

Il faut également prendre en compte tout l’aménagement du site, indique Rudy Guilhem-Ducléon, chargé de mission développement durable auprès de festivals et qui a travaillé pour la première édition de Tomorrowland Winter en 2019. « Scènes, plateaux, chapiteaux, bars… tout est amené depuis la Belgique par camion », indique-t-il. Pour la scène au sommet du pic Blanc, située à 3 300 mètres d’altitude et à 500 mètres du parc national des Écrins, « le matériel est transporté par hélicoptère ». « Tomorrowland a développé une franchise de festivals qui peut être transportée partout dans le monde par camion ou conteneur. C’est un modèle en contradiction totale avec ce que devrait être un festival, la vitrine d’un territoire », estime Rudy Guilhem-Ducléon. Par ailleurs, tandis que de vastes surfaces sont chauffées sous des chapiteaux, « l’électricité est produite en partie par des dizaines de générateurs qui tournent au fioul », précise-t-il.

À l’Alpe d’Huez, un festival transforme la montagne en Disneyland

Si aucune étude d’impact n’a été menée sur la faune et la flore, « il est évident que la pollution sonore et lumineuse gêne la faune sauvage, le bruit perturbe les animaux en hibernation et réveille probablement les marmottes » affirme Julie Leprince, codirectrice l’association France Nature Environnement (FNE) Isère. Des habitants se plaignant des nuisances sonores, FNE Isère et d’autres associations ont saisi début mars le préfet afin de s’assurer de la mise en œuvre des mesures utiles pour limiter le bruit.

« La montagne, ce n’est pas juste une belle carte postale où l’on peut transposer sans discernement toutes nos habitudes citadines. Au contraire, c’est l’un des derniers espaces sauvages où l’on peut profiter du silence », abonde Fiona Mille, présidente de l’association Mountain Wilderness. Un espace fragile, surtout. Il y a cinq mois à peine, le glacier de Sarennes, situé en face de l’Alpe d’Huez a été déclaré officiellement « disparu » à cause du réchauffement climatique. « Quel signe nous faut-il de plus pour que l’on arrête avec ces événements qui polluent et sont d’un autre temps ? », s’interroge Fiona Mille.

400 000 euros de subventions de la région en 2018

Selon elle, il faut changer la vision de la montagne : « Ici, on la réduit à un lieu où l’on peut faire ce que l’on veut, c’est un déni de tout son potentiel. On pourrait, au contraire, créer de nouveaux imaginaires. » Celle qui assure ne pas être « contre la culture » aimerait que les pouvoirs publics aident davantage les événements plus responsables réunissant des artistes et un public local.

En 2018, la région Auvergne-Rhône-Alpes a accordé une subvention de 400 000 euros à Tomorrowland Winter pour sa première édition. Alors que la manifestation revendique 25 millions d’euros de chiffre d’affaires rien que pour son édition belge, la somme a indigné une partie du monde de la culture. Dans une tribune, plusieurs organisateurs de festivals avaient dénoncé dans le même temps la diminution, voire la disparition de financements régionaux pour des événements locaux. En 2022, la région a consacré 100 000 euros de subvention au festival via une aide à la municipalité d’Huez. L’an dernier, c’était 50 000 euros.

Tomorrowland Winter au moins jusqu’en 2030

Le coût global pour la commune, la Société d’aménagement touristique Alpe d’Huez (Sata) et l’office du tourisme a été estimé à 2,3 millions d’euros pour l’année 2019 dans un rapport de la chambre régionale des comptes. Dans le contrat, la mairie s’était également engagée à ce que 26 000 lits soient disponibles sur son territoire et ceux des communes environnantes. À elle seule, Huez n’en compte qu’environ 12 000 sur le marché de la location. On comprend mieux la frénésie immobilière dans la station, récemment mise en pause par l’annulation du plan local d’urbanisme par le tribunal administratif de Grenoble.

En décembre, la commune et la société organisatrice ont signé une nouvelle convention pour pérenniser l’événement au moins jusqu’en 2030. Elle est contestée par des associations environnementales et des élus locaux, qui estiment qu’elle aurait dû faire l’objet d’un appel d’offres, ce qui aurait permis d’y inclure des clauses environnementales. Les requérants ont déposé mercredi 13 mars une demande auprès du préfet pour qu’il saisisse le tribunal administratif. Si le document n’a pas été rendu public par la mairie, malgré les demandes des associations, il prévoit que la commune débourse 800 000 euros pour agrandir la scène principale du festival. D’une capacité actuelle de 10 000 spectateurs, elle pourra bientôt en accueillir 2 000 de plus.

Pour quelles retombées ? Si la Sata parle de trois millions d’euros par an, « c’est difficile à dire », selon le maire, Jean-Yves Noyrey. Ce qui est sûr, c’est que « l’intérêt économique est là, indique l’élu. Le festival permet d’avoir du monde pendant cette semaine de mars où, habituellement, c’est peu fréquenté. Tomorrowland est connu dans le monde entier. Ça a un énorme impact de promotion pour l’Alpe d’Huez », une station pourtant déjà réputée grâce au Tour de France et au Festival international du film de comédie. Sur les critiques environnementales de la manifestation, le maire répond qu’ « il y a moins de monde dans la station que pendant les vacances de février ».

« L’argent du ski va nous permettre d’affronter les prochaines années »

Avant même Tomorrowland, la station n’a jamais autant fait le plein que cet hiver. « On a eu une saison exceptionnelle, avec un record de 33 000 skieurs jeudi 29 février », se satisfait Jean-Yves Noyrey. Face à l’affluence, la vente de forfaits à la journée sur internet a même été limitée certains week-ends. L’Alpe d’Huez profite du faible enneigement dans les stations de basse et moyenne altitude, mais « on ne sait pas jusqu’à quand on aura encore de la neige, il faut préparer l’avenir, dit le maire. L’argent du ski va nous permettre d’affronter les prochaines années ». Cette stratégie passe par une clientèle plus fortunée et plus internationale, au-delà du festival : depuis 2019, cinq hôtels cinq étoiles ont été créés. « Oui, on accueille une clientèle avec plus de pouvoir d’achat, c’était l’objectif, mais on ne souhaite pas non plus devenir Courchevel ou Val-d’Isère, on ne veut pas monter plus haut », assure Jean-Yves Noyrey.

C’est déjà beaucoup trop pour les opposants, qui comptent bien se faire entendre en marge de l’édition 2024, à partir de samedi 16 mars. Les militants d’Extinction Rébellion avaient promis l’an dernier un « véritable cauchemar » aux organisateurs pour l’édition 2024, assurant qu’elle serait « la dernière ». En attendant peut-être une action d’ampleur le jour J, plusieurs militants ont tagué des remontées mécaniques de l’Alpe d’Huez dans la nuit du 17 au 18 février.

Rédigé par ANAB

Publié dans #Pollution-pesticides

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B
Un seul mot: lamentable !
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A
😫
T
Difficile de ne pas se sentir démoralisé(e) un lundi matin en lisant le blog ANAB (à l'exception du 1er avril).<br /> <br /> Ce n'est pas une critique; c'est une simple constatation.<br /> <br /> Aujourd'hui il est à nouveau question de cette machine à fric qui écrase tout sur son passage.<br /> Il y a aussi la poignée de propriétaires d'Airbnb qui contribuent largement à la crise du logements des grandes villes européennes et ailleurs.<br /> Les gros décideurs politiques qui déplorent les génocides mais les alimentent par la vente d'armes.<br /> Cette consommation de chocolat ou d'avocats qui repose sur des conditions humaines déplorables.<br /> Finalement, une question que je me pose depuis longtemps: si de plus en plus de médicaments sont classés non remboursables, comment se fait-il que les séjours en cure, soit des vacances annuelles remboursées par la Sécu se fassent encore sur ordonnance médicale? Cela aurait-il un rapport avec les grands propriétaires des parcs locatifs de ces lieux de villégiature?<br /> Comme j'ai la chance de pouvoir me changer les idées dans le jardin, c'est précisément ce que je vais faire.<br /> Bonne journée!
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A
Merci Toll. Rien de tel que l'action pour ne pas se démoraliser.<br /> Difficile de passer sous silence toutes les exactions environnementales (et autres) commises par notre classe dirigeante.<br /> Ce n'est qu'un petit aperçu de la réalité dans ces articles du lundi. C'est fait pour réveiller votre sens du bien commun et entretenir , si nécessaire, votre capacité à vous révolter contre les contre-vérités et les discours creux et superficiels assénés par les politiques et les médias complaisants. <br /> Je vois que chez toi c'est fait et tu ne dois pas être démoralisé (e) par ces articles. Tu as encore l'Amour pour tes concitoyens (sauf qq uns) et le Vivant. Bravo.<br /> <br /> Roland
J
C’est une grosse, très grosse usine à fric, quoiqu’il en coûte…pour la nature. Et la musique? est elle au premier plan ? J’en doute très fortement.
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A
Comme tu le soulignes Jpl, certains arrivent toujours à transformer les endroits les plus beaux en zones commerciales ou en horreurs bétonnées (souvent les deux)<br /> Roland