Histoire de lichens épisode 12: des colosses aux pieds d’argile (et Physcia caesia)
Publié le 24 Février 2018
Nom scientifique : Physcia caesia (Hoffm.) Fürnrohr
Date de l’observation: 25/12/2017 à Zetting
Division des Ascomycota, famille des physciaceae
Biotope : sur roches en milieu ouvert bien exposé au soleil et en conditions nitrophiles ; également sur substrats artificiels
Nous avons vu dans les épisodes précédents l’importance des lichens pour de nombreux animaux, aussi bien comme abri que garde manger ou matériaux de construction. Dans ce douzième épisode, nous allons découvrir comment les lichens jouent un rôle essentiel dans le cycle de certains nutriments et sont des sentinelles importantes de l’environnement.
Le lichen et l’azote
Le lichen est une association entre un mycobionte (un champignon qui représente 90 % de la biomasse du lichen) et un photobionte (qui est soit une algue ou une cyanobactérie, voire les deux) qui s’organisent en forme de thalle, structure poussant très lentement, en moyenne de 1 mm par an par division mitotique des cellules algales et croissance apicale des hyphes fongiques.
Intéressons-nous aux cyanobactéries. Environ 10 % des lichens contiennent des cyanobactéries (réparties en 16 genres) qui sont soit dispersées dans le thalle, soit groupées à sa surface où elles forment une structure nommée céphalodie.
- Les Nostocales (avec le genre Nostoc) sont les cyanosymbiotes les plus fréquents. Les cyanobactéries, ou cyanophycées, ou encore algues bleues (leur ancien nom), sont des bactéries photosynthétiques, c'est-à-dire qu'elles tirent parti, comme les plantes, de l'énergie solaire pour synthétiser leurs molécules organiques. Pour capter cette lumière, elles utilisent différents pigments : des phycocyanines (de couleur bleu-vert) ou de la chlorophylle. Leur photosynthèse, comme celle des plantes, produit du dioxygène (la molécule O2) Cette production d'oxygène dans les cyanobactéries de l'océan a probablement été à l'origine de Grande Oxydation, ce brutal enrichissement de l'atmosphère en dioxygène il y a 2 milliards d'années. Les cyanobactéries vivent aujourd’hui un peu partout, dans l'océan, les eaux douces mais aussi sur la terre ferme. Elles peuvent vivre en symbiose avec d’autres organismes et on pense d’ailleurs que les chloroplastes des cellules végétales, les organites où s'effectue la photosynthèse, sont les descendants de cyanobactéries symbiontes.
Dans l'eau et dans le sol, elles transforment l'azote de l'air en ammonium et en nitrate, assimilables par les plantes, et produisent de ce fait un engrais. En captant ainsi l’azote de l’air, certains lichens sont aussi des agents de fixation de l’azote et jouent donc un rôle essentiel dans le cycle des nutriments forestiers. Cet azote atmosphérique est donc assimilé et cédé au champignon sous forme d’ammoniaque (grâce à une enzyme de conversion que possèdent les cyanobactéries, la nitrogénase). C’est exactement ce que font certaines familles de plantes comme les fabacées dans des nodules au niveau de leur racine, et grâce aussi à des bactéries. Vous vous rappelez de l’analogie formulée dans les précédents épisodes indiquant qu’un lichen est « comme une plante sans organes ».
Ainsi les lichens absorbent des quantités phénoménales de dioxyde de carbone et d'azote dans l'atmosphère, exerçant ainsi une influence déterminante et méconnue sur le climat. N’oublions pas que les lichens sont la « végétation » dominante. Ils recouvrent près de 8 % de la surface terrestre de la planète.
Un protecteur contre les métaux lourds
Les lichens, tout comme les champignons, permettent la chélation (l’immobilisation) des métaux lourds comme le plomb et des produits radioactifs comme le césium 137. Les métaux et autres éléments sont libérés dans l'atmosphère par des activités industrielles ou par la mise en circulation de particules du sol. Ils sont alors présents dans l’atmosphère sous différentes formes avant de se déposer sur les thalles des lichens puis d’être incorporés, sous forme élémentaire ou associés à d’autres éléments pour former des molécules ayant plus ou moins d’affinités avec des tissus vivants (plus ou moins "bio-disponibles") Brown et Brown (1991) ont énuméré les modes de fixation dans les tissus fongiques des lichens :
- La structure en réseau de nombreux lichens permet un piégeage des particules les plus grossières dans l'espace intercellulaire. A titre d'exemple, Xanthoria parietina possède 20% d'espace libre.
- Les parois cellulaires ont des récepteurs anioniques leur permettant de fixer les métaux lorsqu’ils sont présents sous forme de cations.
- Une incorporation intracellulaire existe, régulée par des processus physiologiques complexes.
Vivre d’air et d’eau fraîche n’est pas sans danger
Le lichen se nourrit essentiellement à partir de l'atmosphère (minéraux sous forme de solutés dans les eaux de pluie), ce qui lui permet de coloniser des environnements variés. Mais ce qui fait sa force fait aussi sa faiblesse. Il peut absorber certes l’eau et les nutriments par toute la surface de son thalle, mais il ne possède aucun filtre contre la pollution de l’air. Si ces organismes sont si sensibles, c’est à cause de leur grande dépendance biologique à l'atmosphère: absence de cuticule de protection, absence de système racinaire, absence de système d’excrétion. William Nylander (1822 - 1899), botaniste finlandais, a été le premier à faire le lien entre la diversité en lichens d’un lieu et la qualité de l’air après des observations effectuées au jardin du Luxembourg à Paris.
Certains lichens sont ainsi de bons indicateurs de la qualité de l’air et contribuent à la continuité écologique des milieux forestiers. Ces organismes sont maintenant des outils dans l’évaluation de la qualité de l’air.
Une autre approche est la détermination en bioaccumulation lichénique en métaux et polluants organiques (dioxines et hydrocarbures aromatiques polycycliques) Également, les données issues de la bioaccumulation des échantillons d'herbiers comparées aux échantillons actuels permettent de retracer l'évolution de la pollution atmosphérique jusqu’aux plus vieux spécimens, âgés de plusieurs siècles.
Les espèces crustacés, aux échanges faibles et à la croissance plus lente, sont moins affectées par la pollution atmosphérique et résistent mieux que les espèces foliacées ou fruticuleuses.
Différentes méthodes pour évaluer la qualité de l’air
Un premier diagnostic de la qualité de l’air peut être avancé en fonction des types de thalles majoritairement présents sur les troncs d’arbres. C’est la méthode de Gaveriaux (1999). Un environnement moins pollué présentera davantage de thalles fruticuleux puis foliacées.
Il existe aussi une méthode de présence absence d’espèces indicatrices, la méthode de Hawksworth et Rose (1970), ainsi qu’une méthode d’évaluation des associations lichéniques, la méthode de Van Haluwyn et Lerond (1986)
Des indicateurs du changement climatique
Plusieurs études récentes montrent que les lichens épiphytes sont des espèces sentinelles pour suivre l’évolution des températures. Certaines espèces autrefois rares en Europe, comme Flavoparmelia caperata, sont désormais observées plus fréquemment. Ainsi de nombreuses études suivent désormais la lichénofonge pour suivre les tendances climatiques sur une région. Les lichens sont aujourd’hui utilisés pour suivre les effets du changement climatique.
Conclusion
Chaque lichen correspond à un milieu qui lui est propre. La présence de telle ou telle espèce permet donc de déduire des niveaux de concentrations de gaz, de lumière ou d’humidité. Certains lichens signalent même une pollution atmosphérique.
C’est ainsi que les spécialistes de la biosurveillance et autres lichénologues parviennent par leurs observations à démontrer la présence excessive d’azote dans l'air ou de métaux dans le sol.
On peut ainsi considérer les lichens comme des sentinelles discrètes qui nous renseignent sur les bouleversements de notre environnement : pollutions acides, azotées, etc. Il faut regretter que les lichens soient souvent les oubliés des inventaires naturalistes, malgré leur omniprésence, car leur présence nous informe sur la qualité de l’environnement. Les données apportées par de tels organismes s’avèrent donc précieuses, tant pour la recherche scientifique, que pour les collectivités territoriales qui désirent informer les populations. Pierre Gascar écrivit en 1972 « Ainsi en me penchant sur les lichens, en ramassant parfois ces espèces d’écailles dispersées un peu partout, je ne cessais de me demander si j’assistais à la mort du monde ou à sa reviviscence »
Et si notre avenir passait par notre aptitude à comprendre le langage des lichens ?
Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab )
Source:
Pour en savoir davantage sur les lichens :
http://cyanobacteries.pagesperso-orange.fr/pages/Physiologie/lichens.htm
http://www.futura-sciences.com/planete/definitions/botanique-cyanobacterie-122/
https://www.sepaq.com/parcs-quebec/blogue/article.dot?id=3d9b2e9a-f437-440f-8adc-774a1f32d2ac
https://www.notre-planete.info/actualites/actu_3507_cryptogames_carbone_azote.php
https://ori-nuxeo.univ-lille1.fr/nuxeo/site/esupversions/8f490368-7e8f-4c51-8224-49a650416fbe
http://www.air-lorraine.org/actualites/344-les-lichens-ces-organismes-qui-nous-aident-a-pister-la-pollution